ALBUS JASINSKI ► Oliver Jackson Cohen

Quand on parle de la Pologne. On voit le froid. La Neige. L’est. L’Europe. Quelque chose de métallique, un brin de glace. Il n’en était rien lorsque j’ai pointé mon nez un jour chaud et sec du mois d’Août. La ville était écrasée de soleil, une chaleur incomparable. Une mère seule pour me mettre au monde. Un père mobilisé pour amasser les derniers éclats de la chute du mur et du rideau de fer qui séparait alors Est et Ouest.

Pour les Anciens, nous sommes de la génération insouciante, des Nantis après des années de lutte et de privation. L’austérité était pourtant encore belle et bien présente mais pas de quoi se plaindre. Je suis un gamin plutôt sage, silencieux, qui observe beaucoup, curieux sur tout. Des facilités à l’école et surtout un tempérament volcanique. Qui explose dans le pire comme le meilleur. J’ai peu d’amis, je n’en vois pas l’intérêt, ils ne comprennent pas mon monde intérieur. Fantaisiste, coloré, plein de dragons et autres légendes de notre contrée. A la sortie de l’école, quelques notes de piano s’échappent, attirent mon attention. Je suis médusé, attiré par ses touches délicates d’ivoire saupoudrées de croches de jais. Je ne peux m’empêcher d’admirer et le professeur improvisé m’invite à jouer. C’est la révélation. La rencontre de mon monde et d’un instrument. La fin de ma bulle aussi. Ce soir là quand je rentre, révélant une joie spontanée dont seuls les enfants sont capables, je rencontre le tranchant du poing de mon Paternel. Pas de ça chez nous. C’est pour les pédés, les tendres garçons. Ma lèvre fendue qui pleure les larmes de sang que je ne suis pas capable de verser autrement. Pas de place pour la sensibilité chez les Jasinski. Mes poings se serrent mais je n’ai que sept ans et sous la mine apeurée de ma mère, mon père ne cueillera que mon silence finalement. Je me fais cette muette promesse. Ne jamais lui ressembler à Elle. Ne jamais subir la volonté des autres sur ma personne.

Les années passent, l’adolescence s’offre. Je deviens un jeune homme toujours aussi mutique et discret. Je ne manque pas de confiance au contraire, mais j’ai appris à m’endurcir sous les coups répétitifs. On ne parle pas de ces choses-là, alors je m’abstiens. Je cultive mes secrets, ma mère m’autorisant à suivre les cours de piano en secret. Personne ne saura si ce n’est elle et moi, ainsi que ce professeur que je considère comme mon vrai père. D’apparence, je suis le fils parfait pour mon Paternel, rude, redoutable, silencieux, prestant. Je m’adapte, je deviens Caméléon. Je m’éprends de quelques regards, masculins d’abord, mais cela fait partie de ces secrets qu’on apprend à garder. J’ai dix huit ans lorsque je pars pour l’armée et fait mon service militaire. Je suis toujours aussi brillant, suis formé au grade d’infirmier puis initié aux rudiments de médecine. Mes facultés font que j’apprends facilement et qu’à l’issue d’un échange international, j’obtiens une bourse pour la Harvard Medical School à Boston. De ce genre d’opportunités qui ne se refusent pas. La Terre Promise pour moi. Un moyen d’échapper aux lugubres racines familiales.
J’effectue dix années au sein de l’université. Je me révèle être un élève appliqué, discipliné, rigoureux. Redoublant d’efforts pour apprendre à la fois la médecine et la langue anglophone. Je m’attise les jalousies, l’admiration aussi mais je tiens bon. Je m’éprends toutefois d’une camarade, une femme forte, riche surtout. Elle s’éprend de moi également. Mais finalement me rejette. Je reste à ses yeux un pauvre issu des banlieues maussades de Krakow. Le cœur se brise et ne se réparera sans doute jamais. Je me hisserai sur le trône de mes ambitions, je deviendrai plus riche que les riches, plus puissant que les rois, qu’importe le prix, qu’importe à quoi il faudra renoncer.

Je me destine finalement à la médecine légale, sans doute parce que la mort révèle un tas de pouvoirs sur la vie. Les causes, les circonstances. De quoi punir les coupables, exaucer les innocents. Avoir une influence. Caché sous les strates d’asphalte, c’est le plus morbide des pouvoirs que je façonne. Je ne suis pas toujours loyal au côté bon. Je vais là où me dicte ma propre morale, mes intérêts d’une certaine façon. Je reste discret, souple d’apparence. Tantôt inoffensif, tantôt redoutable. Discret ou bien plus expansif. Selon l’intérêt, selon ma stratégie. Je monnaie mes services et toujours aux plus offrants. Ma réputation dans le milieu fait que je me bâtis un abri solide, des revenus confortables.
Côté cœur, je deviens ce monstre froid, aussi volage que charmeur, de quoi faire pâlir le plus sombre des Vampires. Je ne me laisse dicter que par mes instincts, rarement pour plus qu’une nuit. J’ai cette règle d’or inscrite dans mes veines, je ne m’attache plus. J’écume les soirées, j’accumule les excès, les vices, les pires mondanités, les coups les plus tordus.  Je séduis, je virevolte, j’évolue, par intérêt, par envie, je suis libre, incandescent, seulement dompté par mon ambition toujours plus grande, toujours plus dévorante. Laissant ma sensibilité à mes touches de piano, seule confidence de moi-même au monde, que je ne partage plus avec personne.

Vous me jugerez selon l’intérêt que je vous porte. Magnétique, inconsistant. Chaleureux ou bien glacial. Solaire ou bien Lugubre. Je reste insaisissable, un homme à la beauté redoutable mais à une armure bien plus solide encore. Je me révèle loyal pour quelques personnes seulement, elles sont suffisamment rares pour ne pas être le commun. Pour les autres :  Méfiez-vous de l’eau qui dort, d’un sourire trop aimable, d’une caresse trop lascive, je veille. Pour faire de votre vie mon trône, de vos souffles éperdus, vos pires cauchemars.