Please S.T.O.P ft. gilbert Pantzer

Entre deux cours Candice prenait plaisir à profiter du soleil de printemps qui commençait à réellement pointer le bout de son nez. Son tote bag pendant à ses côtés, ses lunettes installés sur son crâne, elle avançait joyeusement, espérant trouver un coin confortable pour lire. A ses yeux, cette période de l’année était sa favorite. Ni trop chaude, ni trop froide, elle aimait les fluctuations ainsi que le vert propre à cette saison ; plantes comme arbres s’épanouissaient si joliment après tout.
Tandis qu’elle poursuivait sa déambulation, son esprit pressé de retrouver le cours de littérature, elle soupira gaiement puis s’arrêta pour vérifier l’horaire exact de sa prochaine classe. Le planning s’afficha promptement, permettant à la jeune femme de prévoir ce qu’elle pouvait faire. Prendre un café frappé puis s’installé sur la pelouse était une option particulièrement alléchante et ce fut ce pour quoi elle opta. Sa cadence toujours aussi guillerette, elle poursuivit son escapade jusqu’à gagner Starbucks.
Ces deux mains désormais repliés sur le gobelet en papier, Candice s’extirpa de l’établissement déjà rempli par divers étudiants dont la soif désirait être étanché. Elle but une gorgée de son breuvage puis reprit sa route. Peu importait le nombre de mois qu’elle venait de passer entre ses murs tant elle raffolait à se perdre entre les bâtiments. L’atmosphère de ce lieu l’imprégnait toute entière et cela la grisait pour une raison inconnue, peut-être simplement son amour des vieilles pierres ? Allez savoir.
Pourtant, quelque chose clochait. Un je-ne-sais-quoi envahissant qui turlupinait sévèrement la demoiselle au point de la faire jeter un œil par-dessus son épaule ; une décision qu’elle ne regretta pas. Gilbert était sur son talon, l’air décidé à discuter de nouveau avec elle. Bon sang !
Un clignement d’yeux plus tard et un souffle coincé dans la gorge, Candice leva les yeux au ciel comme simple prière. Cela faisait des jours qu’il tentait de la rattraper, de la coincer, et bon sang elle en avait marre. Vraiment marre.
Elle resta donc sans bouger, à contempler la menace imminente s’approchant de sa personne, sa paille entre les dents. A peine avait-il pénétré dans le dernier mètre qui les séparait qu’elle attaqua "malgré elle".
« Non. Je ne veux pas parler. »
Puis elle tourna les talons, fière de sa prestation. C’était décourageant, non ?

La dernière soirée avec le bus l'avait vraiment laissé perplexe, au point qu'il en avait discuté avec Sihan. Il lui avait toujours semblé éviter les problèmes et comprendre les relations qui l'entouraient, mais force était de constater que ce n'était pas le cas au sujet de Candice. Alors il ne voyait qu'une solution : la confrontation directe. Il pouvait l'ignorer sinon et faire comme si elle n'existait pas, mais ça lui trottait beaucoup trop dans la tête. La frustration de ne pas la comprendre prenait trop vite le pas.
Alors il l'avait cherchée. Les jours qui ont suivi, il tenta de l'aborder, de la retrouver, mais à chaque fois elle parvenait à s'éclipser ou des urgences intervenaient, l'empêchant de la voir. La retrouver sur son lieu de travail lui avait effleuré l'esprit mais, comme c'était sous-entendu, elle y était pour travailler, pas pour discuter et la dernière chose qu'il voulait c'était lui attirer des problèmes.
Alors la voir là, passer au Starbucks où il était assis, c'était un signe.
« J'vous laisse, j'ai une urgence. »
avait-il lâché dans la précipitation à ses partenaires de table avant de s'enfuir, jetant son sac sur son épaule et gardant un dossier sous le bras. Il s'élança dehors, s'arrêta pour chercher autour de lui la silhouette élancée de la demoiselle ; trouvée un peu plus loin déjà, il se mit à trottiner dans sa direction. Il s'apprêtait d'ailleurs à l’interpeller lorsqu’elle se retourna la première. Gilbert s'arrêta alors et la regardait, sérieux, avant d'être surpris par ses mots. Directe et inquisitrice ; non, c'est non. Bien pris au dépourvu, il la regarda faire quelques mètres pour s'éloigner de lui ; devait-il renoncer ? Non, clairement pas. Si ça continuait comme ça, la situation allait toujours être tendue entre eux ─ même si là, il prenait le risque de l'empirer. Ses jambes relançant le mouvement, il la rattrapa pour venir se placer devant elle.
« Candice ! Stop ! Attends ! »
Il ouvrit les bras pour faire barrage, suivant ses mouvements pour l'empêcher de le dépasser, lâchant des "Haaa !" à chaque tentative. Le message était clair, la discussion s'imposait.
« Pourquoi tu veux pas ? Je t'ai fait quoi ? T'as changé radicalement de comportement du jour au lendemain, ça fait aucun sens ! »
Autant aller droit au but non ? Dans tous les cas, il n'avait pas l'air en colère ni paniqué ou inquiet. La situation était inconfortable mais pour lui c'étai surtout de l'incompréhension. C'était comme se retrouver face à un puzzle dans un jeu et ne pas savoir ce qui se trouve derrière ; comme il ne pouvait savoir si le trésor qui se cachait derrière en valait la peine, il allait prendre le temps de réfléchir et essayer. Autant qu'il le pouvait.

Si la fuite avait semblé facile au premier abord le fait que Gilbert la rattrape compliquait davantage la chose. Il s’agitait et gesticulait comme pour dompter un taureau en cage, sa voix émettant des sons de temps à autres comme pour l’empêcher de bouger. La paille toujours entre l’émail de ses dents, Candice fixa ce qui s’apparentait à son adversaire après s’être finalement immobilisé : la bête s’avérait plus tenace que prévu. Tant pis ! Il était temps de monter sur le ring, surtout que la patience de la jeune femme avait été mise à rude épreuve avec toutes ces histoires à coucher dehors concernant le fameux geek. Relâchant la pression autour du mince bout de plastique qu’elle conservait en bouche, la brunette s’encra calmement dans le sol. En prenant cette posture elle se sentait capable de tout affronter.  
« Pourquoi ça t’intéresse hein ? Pourquoi tu me suis ?! Pourquoi t’es comme ça hein ? » Fit-elle dans un élan désespéré.
C’était clair pourtant : elle voulait qu’il lui fiche la paix ! La voix animée par des trémolos involontaires, l’étudiante mordit dans la muqueuse charnue de sa lèvre afin de se contenir une dernière fois, mais c’était trop tard. Elle venait d’ouvrir les vannes d’une certaine façon et ce qui s’apprêtait à sortir avait beau être un simple quart de ce qui la détruisait, elle ne pouvait plus se taire.
« Pourquoi t’agis comme si t’avais un minimum…de… je ne sais pas… considération pour moi ?  Hein ? »
Le visage tendu par la colère, la belle n’inspirait plus du tout son énergie habituelle. Cette fois tout était sec, brutal, mordant ; elle se vengeait au travers de cette discussion dont le sens déchirait son âme en deux. Voyant que son interlocuteur ne répondait pas, elle poursuivit avec la même verve.
« Qu’est-ce-que t’en as à foutre d’une pauvre fille qui veut juste mener sa vie tranquille ? Dis-moi Gil pourquoi ça te dérange ? »
Elle avait volontairement insisté sur le surnom en question. C’était une trace de leurs conversations durant la nuit sur discord, un souvenir appartenant au passé qu’elle crachait avec violence comme pour s’en débarrasser.
« Ça te fait chier que tu ne sois pas adulé ? Que je ne me traîne pas à tes pieds ? Ben oublie ça. Maintenant laisse-moi tranquille et bouge ! »
Et d’un mouvement de poignet, elle lui fit signe de se décaler sur la gauche. La douce fille qu’elle était se muait en un dragon cracheur de flammes dont le feu avait pour unique cible son interlocuteur. Elle n’était plus elle-même. Candice ne répondait plus qu’a l’appel de sa peine et de sa colère.

L'agressivité qui émanait de Candice était totalement inattendue. Pour lui qui s'était attendu à devoir encore lutter contre une façade, il ne s'était absolument pas préparé à se prendre de l'acide en pleine face et cela se voyait ; la surprise était on ne peut plus présente sur son visage, pour ne pas dire le choc même. Pourquoi plein de choses ; visiblement, elle avait également son lot de question à son sujet ─ et de reproches. Car s'il y avait bien quelque chose qui ressortait fortement de sa réponse, c'était qu'elle était en colère, salement en colère. Mais pourquoi ? Que lui avait-il fait ? Les bras ballants, toujours sous le coup de la surprise, Gilbert ne répondait pas. Il encaissait en se questionnant sur tout ça, se demandant également si ce n'était pas finalement elle qui avait un problème et non lui, parce qu'il ne voyait vraiment pas où se trouvait son tort. Qu'avait-il fait pour mériter sa colère ? L'avait-il lourdée à ce point ?
« Je... »
Abasourdi, c'était le mot. Il n'avait juste, là, pas de réponse claire à lui offrir. Il déglutit, prenant le problème plus au sérieux qu'il ne l'avait fait précédemment. Se ressaisissant, la jeune homme pris une profonde inspiration avant d'ordonner ses pensées le plus clairement possible.
« Il me semblait qu'on s'entendait bien avant, je comprends juste pas pourquoi ce changement de comportement soudain à mon égard. »
Incompréhension totale. Sa voix était calme et s'il ne se sentait pas forcément en tort dans la situation actuelle, il y avait bien une petite voix qui lui disait qu'il avait forcément merdé quelque part. Sauf qu'il n'était pas médium et plus le temps passait, moins il savait.
« C'est trop difficile de juste me donner une raison ? Tu crois qu'en m'ignorant et jouant la reine des glaces ça va me faire fuir ? On déteste pas subitement les gens sans raison, y'a forcément une explication, tu veux juste pas la donner. »
Et la lassitude le prenait un peu, tristement. Il ferma les paupières, soupir et haussement de sourcils. C'était compliqué, et pour quelle raison ? Son regard revint sur elle.
« Sérieusement, ça te tuerait de me dire pourquoi tu fais la tronche ? »
Ah, la délicatesse.

Gilbert semblait aussi surpris qu’un poussin tout juste sorti de l’œuf. L’image aurait pu être attachante au point d’apaiser le mode furie de Candice, mais le point de non-retour était si proche que c’était inenvisageable. Son cerveau était verrouillé. Son cœur aussi. Les muscles de la mâchoire de la brune se crispèrent pour former ce qui semblait être un bloc d’acier, un roc ; tel un pitbull elle ne lâcherait pas l’affaire. Pas après ce qu’elle avait ressenti. Pas après cette bile qui lui tapissait le palais. Inclinant la tête sur le côté, elle prit une première respiration en attendant que l’étudiant ai fini son laïus.
« C’est bon ? T’as fini ? »
Le gobelet contenant tout le liquide émit un premier crissement de supplice entre les doigts de la jeune femme, mais elle n’y prête pas attention. Elle avait conservé la même posture depuis bientôt deux minutes et semblait vouloir la maintenir ; lui qui voulait qu’ils discutent, ils allaient discuter.
« Tu l’as dit toi-même : on s’entendAIT bien. C’est du passé. Les choses ont changé ! C’est tout ! J’ai pas de compte à te rendre, ni encore moins à me justifier face à toi. »
Elle amorça un mouvement dans sa direction, néanmoins le camp adversaire ne sembla pas réagir. Ses prunelles d’ordinaire si lumineuses prirent une teinte orageuse d’une tempête lors d’un été trop chaud et sa bouche se resserra en un mouvement agacé.
« Je te repose la question Gil : pourquoi ça t’intéresse ? »
Les mots avaient été soigneusement prononcés, un à un, comme une menace. Peut-être que s’il répondait enfin à sa question, il saurait ? Non. C’était trop simple et puis à quoi bon lui dire, lui expliquer ! Candice galérait elle-même à formuler tout ce qui lui passait par la tête alors le balancer, là, c’était purement impossible.
« Et j’avoue que oui, j’espérais que prendre de la distance vis-à-vis de toi était la meilleure solution, mais… C’est fou. » Elle fit une pause avant de prendre un air pensif « Je ne t’ai jamais autant vu depuis que j’ai commencé à me montrer désagréable. Étonnant, n’est-ce-pas ? »
Les sourcils froncés, elle reprit son air le plus neutre, le plus maîtrisés. Candice devenait méchante, blessante, mais c’était tout ce qu’il méritait pour l’avoir écorché vive. Quand bien même il n’était pas responsable de ses traumas, de ses angoisses, de ses doutes, il avait cristallisé tout ce dont elle avait peur lors de cette rencontre : le rejet et l’indifférence.
Il méritait la pire des sentences, car en vérité, il avait fini d’abîmer le peu d’estime que conservait Candice. Gilbert l’avait condamné à se détester.

Plus ça allait, moins il comprenait les raisons, mais plus il saisissait que le combat était perdu d'avance. A moins de la pousser à bout, ce qu'il ne voulait pas spécialement, il n'allait pas avoir son explication. Pourtant, la frustration était là et il voulait savoir. Les choses ont changé, oui, mais pourquoi ? C'était ça, sa question ─ qu'il avait demandée en premier d'ailleurs, s'il entrait en mode gamin il allait lui rabâcher et ignorer tout le reste jusqu'à ce qu'il ait sa réponse. Nullement en colère, Gilbert eu un mouvement consterné l'espace d'une seconde face aux dernières paroles de Candice.
« Bah, c'est sûre que si le lendemain de notre première rencontre tu te mets à me snober, tu m'auras juste jamais connu en étant agréable. »
A ses yeux, c'était un fait. Elle avait été sympa et amicale lors de leur première rencontre et après, c'était foutu. Forcément, à se baser sur ça, il n'avait jamais eu l'occasion de faire ses preuves différemment. Une de ses mains venant se caler dans sa poche, preuve physique du détachement émotionnel qu'il pouvait avoir, Gilbert finit même par hausser les épaules.
« Et je te l'ai dit, ça fait aucun foutu sens, donc je cherche à comprendre. T'as qu'à me répondre et une fois que j'ai mon explication, je disparais. Poof. Comme ça t'auras la paix. »
Son corps se permis même d'appuyer l'indifférence avec laquelle il semblait prendre le problème. Le fait de ne pas comprendre rendait la situation assez complexe car il ne savait pas comment se situer ni comment s'impliquer. C'était flou. Il ne se souvenait pas avoir commis d'impair et pourtant, avait forcément fait une erreur ; laquelle ?
« A moins que ce soit justement ton but, que je continue à te courir après parce que j'ai besoin de comprendre, et t'en profites pour me faire tourner en bourrique. Elle est où la difficulté là dedans ? »
Soupir, regard vers le ciel, puis sur elle.
« Explique moi, c'est tout. »

Il s’en foutait. Tout son corps, ses gestes, le criaient pour lui et ça rendait la jeune femme encore plus furibonde. C’était l’indice de trop qui fit exploser Candice.
« Tu veux des explications ? Okay. Très bien ! » Commença-t-elle pour simple échauffement, la veine de son front ressortant subitement sous le coup de l’exaspération.
« Parlons-en de cette première rencontre. Attends… Rappelle-moi tes mots exacts ? Non, laisse-moi deviner tu ne t’en souviens pas ! Evidemment ! Dans ce cas ouvre bien tes oreilles et écoute. « Ah ouais c’est toi l’abonnée régulière. Je te croise souvent. C’est cool. Merci pour tout. ». Merci putain ! »
Et voilà que sa gorge commençait à se serrer.
« Je pensais que j’allais rencontrer un… une personne que je connaissais, que j’appréciais. Ça fait des années que je suis là tous les putains de soir. Alors peut-être que pour toi ce n’est rien, mais moi, dans ma vie de merde, avec ma mère qui est une vraie salope, mon père qu’est juste une voix au téléphone, ça m’apportait de la joie ! De la putain de joie de discuter avec toi ! J’avais l’impression d’avoir tissé un lien, ne serait-ce qu’un truc minuscule… de… d’avoir ne serait-ce qu’un peu de distinction et voilà que tu me compares à toutes tes groupies ?! Et après tu dis que c’est moi qui t’ai snobé ?! Mais regarde-toi dans la glace bordel ! » Cria-t-elle, la gêne s’étant envolé depuis plusieurs minutes.
Un hoquet s’imposa le temps que Candice retrouve un peu d’air, mais elle n’avait pas fini pour autant. Le visage désormais ravagé par des larmes affluant aux recoins de ses yeux, elle fixa Gil avec noblesse.
« Alors, tu vas me dire « Oui, tu te prends pour je ne sais pas quoi… », mais la vérité Gil c’est que tu es le seul, en dehors de ma meilleure amie, Nadia, à avoir eu un semblant d’intérêt pour ma gueule durant toutes ces années. J’étais heureuse de ça ! Je… Je te considérais comme un ami. Je… Je me suis dit que… Je ne sais pas. »
L’étudiante n’essuya pas son visage où les perles salées continuaient de pleuvoir. Elle était droite, froide, distante et tout à coup l’émotion changea.
« J’ai compris ce jour là que j’étais une parmi les autres et j’ai encaissé, parce qu’au fond c’est ce que je suis et c’est ce que je serai toujours. J’ai regretté de t’avoir accorder un peu de mon temps et je le regrette encore.»
Le gobelet émit un nouveau sifflement alarmant, mais elle n’en tint pas compte. Candice était aveuglé.
« C’est vrai que c’était drôle de te voir galérer, courir partout, mais maintenant je pense qu’on peut se dire salut. On n’a plus rien à se dire. Tu voulais savoir ? Ben c’est le cas. Tu peux me traiter de folle, de conne, de débile et peut-être que t’as raison, mais moi je n’oublie pas les gens. Je n’oublie pas leur présence, leur soutien. Je n’oublie rien ! Et encore moins ceux qui comptent ! Mais visiblement c’est ton cas ! »
De son index, elle appuya sur le buste de Gilbert sans faiblir. Elle en devenait sombre.
« Maintenant. Bouge. »

Il voulait des explications, il les obtenait. Mais tout lui échappait. Ce qu'il pensait pouvoir saisir lui glissait entre les doigts et il se prenait une astronomique somme de reproches qu'il n'arrivait pas à trouver illégitime. Le choc était présent, réelle, et son mutisme en était la preuve la plus tangible. Chaque mot qu'elle prononçait, chaque intonation colérique et chaque regard qu'elle lui lançait ne passaient pas inaperçu. Il la fixait sans louper une seule seconde de ses explications. L'indifférence et le détachement qu'il avait jusqu'à lors éprouvés foutaient le camp pour laisser place à une confusion comme il n'en avait jamais connue. Était-il comme ça ? Avait-il vraiment réagit de la manière dont elle le décrivait ? Il ne savait pas, il ne se rappelait plus. Le mots qu'il avait oubliés, elle s'en souvenait et il n'avait strictement aucun argument pour lui prouver le contraire.
S'il n'arrivait pas à analyser correctement ses propres émotions, il voyait en revanche très bien celles de Candice et la peine qu'il lui avait infligée. Il voyait combien ses attentes et espoirs avaient été déçus et que quelque chose s'était brisé violemment sans même qu'il ne s'en aperçoive, et que sa propre indifférence face au problème avait empiré les choses. Avait-il encore le droit de faire des réflexions, maintenant ? Certainement pas, et il le savait. Que pouvait-il lui dire ? Qu'il était désolé ? Elle ne le croirait pas, d'une part, et il était encore trop confus pour vraiment avoir réfléchis sur ses actions. Alors, son visage devenu très sérieux, il expira lentement et son regard se perdit dans le vague, vers le sol, quelques courtes secondes. Son épaule se décala, puis son buste ; le reste de son corps suivi. Il avait voulu des réponses, il les avait obtenues. Si la vérité n'était jamais plaisante à entendre, elle était parfois nécessaire pour avancer et apprendre de ses erreurs, n'est-ce pas ? Alors, sans rien dire, il lui laissa le champ libre ; pire -mieux ?- encore, il fut le premier à s'éloigner. La dépassant en silence, Gilbert releva le visage pour regarder devant lui. Il n'accorda pas un seul regard à ce qui l'entourait et fixait droit devant lui, ses pas tranquilles l'éloignant de la jeune femme qu'il abandonnait lâchement sur le passage. Ni merci, ni désolé, ni merde ; rien, il partait juste, purement et simplement. Le pourquoi de son départ allait demeurer un mystère, fusse-t-il l'acceptation des faits et exauçant le souhait de Candice, ou parce que les rôles s'étaient subitement inversés, rien n'était moins sûr. Dans tous les cas, il allait falloir un moment de réflexion sur tout ça, au calme, posé, loin du reste.

Son vœu sembla enfin s’exaucer lorsque la silhouette du garçon s’effaça face à elle. Sans même lui jeter un regard, elle avança dans le sens opposé, affichant un visage triomphant, car sa victoire venait de la galvanisé. Ce sourire piquant, un brin provoque, annonçait une nouvelle étape dans la vie la jeune femme, ou du moins c’est ce qu’elle pensait ; elle pouvait désormais parler sans crainte. Pourtant, lorsque son macchiato frappé explosa entre ses doigts après une mince série de pas, Candice revint à la raison. Le cri que sa bouche laissa filer eut l’effet d’un gong et les gouttes qui l’aspergèrent furent la douche glacée dont elle avait besoin. Elle quitta cette torpeur qui l’avait engourdie tout entière et cligna des yeux dans le vide, l’air incrédule. Toute sa tenue était tâchée et le cadavre de son gobelet gisait sur le sol de façon tragique.
Elle était sous le choc.
Ses membres tremblant de concert, elle pivota pour observer les vagues contours du corps de Gilbert qui disparaissait dans un énième bâtiment du campus. C’était un soulagement, mais aussi une tragédie, car pour la première fois de sa vie l’étudiante normalement ‘exemplaire’ venait de péter les plombs en public. Sans demander son reste, elle regroupa ses affaires de façon machinale puis essuya une ou deux giclures de café accroché à la peau moite de ses joues avant de jeter les anciennes traces de sa boisson dans une poubelle voisine.
Mortifiée.
C’était le terme le plus juste pour dépeindre l’état actuelle de la demoiselle. Les cours de l’après-midi, aussi intéressants étaient-ils, ressemblaient davantage à un bourdonnement de fond qu’a une véritable classe. Celle qui n’avait jamais manquer un jour sans raison valable rentra la tête vide ce soir-là. Son cœur était gros, douloureux, débordant de ressentiment contre sa propre personne. Le PC resta éteint, tout comme la télé. Même lire s’avéra inenvisageable. Des excuses seraient vaines. Tout était fichu…S'exprimer était une bonne chose, mais à quoi si l'on venait à se montrer aussi piquant qu'un aspic ?!
Roulée dans un plaid sur le cuir vieilli de son canapé, Candice se laissa bercer par l’unique musique qu’elle trouvait apaisante ce soir-là : celle de la ville. Les klaxons qu’elle trouvait d’ordinaire détestable formèrent une mélodie délicate, ponctuant presque son sommeil.