Un bonnet vissé sur la tête, il eut le temps à peine de sortir de chez lui qu’une pluie s’abattu sur la ville pour venir le frigorifier. Heureusement pour lui, il prit son véhicule, une vieille bécane datant des années quatre vingt dix qui fonctionnait encore pour se rendre sur son lieu de travail, comme une deuxième maison pour lui. Sa box n’était pas immense, elle n’avait pas une capacité d’accueil d’une salle hyper pointu mais elle avait ce côté familial qu’il aimait dans ce métier. Le parking était désert, il était bien trop tôt pour qu’une âme vivante ose s’aventurer dans les locaux rustres et poussiéreux de l’Invictus.
De la paperasse, de la comptabilité, tout un univers mathématique qui ne lui plaisait pas mais qu’il devait bien apprivoiser, et le voilà en train de préparer le W(orkout) O(f) the D(ay). De la corde à sauter et de l’haltérophilie. Parfait. Il écrit alors sur le tableau ce que son groupe allait faire, l’échauffement (warm-up) et l’apprentissage des mouvements (skill). Puis vint le moment pour lui de se chauffer, de chercher à connaitre son propre entrainement et il profita du calme avant la première vague de neuf heures pour découvrir ce qu’il venait de créer. Parfait.
L’horloge tournait, son timer venait de se terminer et il put enfin poser sa corde de vitesse pour la ranger. Il voyait déjà des voitures arriver sur les graviers de sa box et il allait se préparer en essuyant sa nuque et son dos de la transpiration qu’il venait de dégouliner. Certains visages étaient bien connus et il tapait du poing d’un simple check avec eux, le bonjour officiel des crossfiteurs en général.
Charlie se gara sur le parking en se demandant ce qui lui avait pris de s'inscrire au crossfit. Franchement, elle ne pensait pas avoir le physique ou encore des muscles pour faire ce genre de pratique. Mais la princesse ne voulait pas mourir bête et s'était mise en tête qu'un peu de changement dans son plan sport ne pouvait pas lui faire du mal. Et ça lui permettrait d'éliminer tous les burgers et autres pizza qu'elle avait tendance à ingurgiter à longueur de journée comme si la faim s'était abattue sur elle. Elle ne comprenait pas cette phase de malbouffe dans sa vie et pourtant, elle ne faisait rien pour palier à tout ça. La jeune femme avait besoin de remuer ses fesses pour garder une silhouette décente. Il fallait dire que si les autres ne voyaient pas les deux kilos qui s'étaient installés, elle elle les voyait, vivait avec et les détestait. Tout ceux qui passaient devant elle avaient l'air si sûr d'eux. Au point que Charlie sentit la pression monter, se demandant si elle ne faisait pas une connerie au fond. Soupirant doucement, Charlie attrapa son sac et quitta sa voiture pour rejoindre le groupe qui était déjà bien trop préparé à son goût. Alors qu'elle se préparait à affronter la violence de la douleur, Charlie ne put s'empêcher d'admirer un peu le professeur qui lui tournait le dos. Assurément le crossfit lui allait bien de ce qu'elle pouvait voir de la où elle était. Ce n'est que lorsqu'il se retourna qu'elle pâlit, prenant probablement la couleur d'un cachet de doliprane. Depuis combien de temps elle n'avait pas vu ce visage ? Un visage qu'elle avait aimé, désiré, choyé. Le visage qui aurait du se mêler au sien à la naissance d'un petit ange. Elle l'avait abandonné, lui, celui qu'elle avait aimé de tout son être, celui pour qui elle aurait sûrement renoncé à la couronne, à ses titres, à ses richesses. À sa vie de princesse. Parce qu'il était tout pour elle, parce qu'à l'annonce de la maladie il avait été son meilleur soutien. En vérité, il avait tout vécu avec elle, peut être plus fort, plus violemment. Elle n'en savait rien. Charlie tenta de reprendre contenance, se planquant derrière un homme plus grand qu'elle en se demandant comment elle pouvait prendre la fuite avant que Levi ne la remarque. Dans son poignet résidait une petite fleur de lys. En amour à cet enfant qui n'a pas eu la chance de vivre avec ses parents. Pourtant, ils auraient fait une famille si parfaite, Charlie le savait. Elle sentait sa gorge se serrer, des larmes poindre aux coins de ses yeux qu'elle devait vite effacer. Depuis combien de temps elle n'avait plus songé à tout ça ?
Les adhérents du groupe de neuf heures entraient tous petit à petit et ce fut rapidement que Levi perdit le fil du compte tellement la salle était pleine. Quatorze corps à choquer, à traumatiser pour mieux l’élever et voilà qu’il s’installait devant le tableau. Il regardait le wod tout en discutant avec un ami et adhérent de la box de la prochaine compétition, Levi était en plein préparatif nutritionnel et physique pour amener une vraie plus-value à sa performance. Il récupéra la tablette afin de faire l’appel sur tous les participants. A chaque fois qu’il citait un nom, il relevait la tête pour confirmer car malgré tout, au moins douze visages sur les quatorze étaient connus. Mais un nom apparut tout en bas de la dernière page, et il devint livide. Il n’osait même pas relever la tête pour l’apercevoir ou la chercher du regard, sans même respirer, sans oser piper mot. Charlie. Charlie était là ? Pourquoi ? Savait-elle que c’était lui, l’headcoach et propriétaire d’Invictus ? C’était peu probable, elle l’avait fui après… après elle. Il n’osait même pas penser à son prénom tant la douleur qu’il avait réussi à enfouir ce qu’il ressentait au plus profond de son corps, dans les parties les plus retranchées. Il avait tout gardé pour lui, n’avait jamais décompensé de cette perte parce qu’il ne s’y était jamais autorisé. Le contrôle du corps pour garder un mental militaire. Oh ! Levi, t’as vu un fantôme ou quoi ?! Et son corps partit en avant quand on lui offrit une tape dans le dos, le déséquilibrant et le réveillant de sa transe. Puis il se permit d’observer la salle, sans apercevoir Charlie… qui se cachait derrière Ronald. Ce dernier se décalait pour aller chercher sa corde et voilà qu’un fantôme de son passé éclatait à son visage comme une vieille rancœur qui s’était noué loin, bien loin dans son cerveau. Il se raclait la gorge légèrement pour tenter de reprendre contenance, ne pouvant décemment pas abandonner son cours. Ok. Aujourd’hui c’est le Flesh License Plate. Pour les nouveaux adhérents, déjà bienvenue. Ils étaient trois. Dont Charlie. Aujourd’hui on va faire un wod en deux blocs de travail. Pendant 1 minute 30 vous allez sauter à la corde, on appelle ça des Simple Under. Et pendant 1 minute 30 vous allez faire des frontrack dumbell lunges, en gros vous aurez des haltères sur les épaules et vous ferez vingt mètres de fentes. Chaque mouvement devrait vous prendre une minute, ça vous laissera quelques seconds de répit pour changer d’exercice. Vous allez devoir passer cinq fois à chaque exercice. Il appréhendait, tentait d’expliquer au mieux mais le fait d’avoir l’amour qui aurait pu être celui de sa vie dans la même pièce changeait l’ambiance. Pour le warmup, ça sera trente sauts simples à la corde, dix fentes, trente secondes de planches et des pas chassés avec un élastique entre les genoux en position squat. Le tout deux fois. Levi entreprit de montrer chaque exercice à chaque fois qu’il les énumérait pour être certains que tout le monde puisse comprendre le concept.
Il l'avait vu. Elle avait bien vu qu'il l'avait vu. Elle avait bien remarqué qu'il avait buté sur son nom et qu'il ne l'avait même pas appelé du coup. Le cœur serré, la gorge nouée, Charlie n'avait pas bougé de sa place jusqu'à ce que le grand parte et la dévoile. Furtivement, elle avait croisé son regard et avait fini par observer le sol, faisant semblant d'être dans une concentration incroyable. Elle savait qu'elle n'aurait jamais du mettre les pieds dans cette fichue salle, prendre ce fichu abonnement. Faire ce fichu sport dont elle n'avait absolument rien compris. Les yeux ronds et vitreux, Charlie observait les autres s'affoler comme s'il fallait s'en aller au bagne. Ou bien c'était son esprit qui donnait cette sensation que tout le monde était dans le même état qu'elle. Morte. Charlie finit par se frotter le front et imita le groupe, les observant faire avant de se dire qu'elle ferait mieux de se coller dans un coin pour ne blesser personne. Elle tenta alors de se lancer dans le saut à la corde. Mais sincèrement, son esprit était ailleurs. Trois elle prit la corde dans la tronche, se la mettant une fois dans l’œil. Son bras portait déjà les stigmates de fouet, dont deux qui avaient pris des coups plusieurs fois. Déjà fatiguée, Charlie essayait de faire comme les autres mais c'était plus catastrophique qu'autre chose. En vérité, la course à pied était sûrement le moyen le plus sûr pour Charlie de faire du sport. Bien qu'elle savait parfaitement qu'elle ne tenait pas sur ses jambes. Combien de photos étaient apparues dans les journaux en montrant une Charlie à la cheville à 90° ? Elle ne comptait plus. Ce n'est qu'en se lâchant un haltère sur le pied que Charlie couina et s'écarta du groupe pour se frotter le pied, à deux doigts de pleurer comme une gamine. Parfois, elle avait se côté petite fille capricieuse qui ressortait normalement que lorsque Ross était là. La princesse retira sa basket pour se masser le pied, pas certaine de ne pas s'être cassé un truc.
C’était étrange comme sensation. Si à la fois il ne pouvait pas voir ni croire que Charlie respirait dans la même pièce que lui, il était dans un état bien plus étrange qu’il ne l’aurait cru. Levi aidait alors ses adhérents à faire correctement les mouvements, d’autres étant des habitués qu’il pouvait laisser en autonomie pendant le warmup sans soucis. S’il tentait tant bien que mal d’oublier la présence de Charlie, son devoir professionnel était mis à rude épreuve parce qu’il voyait bien qu’elle n’était pas dans son élément. Il n’avait pas le choix, il devait lui parler, au moins pour l’aider à conquérir les mouvements qui lui semblait complètement inconnu. Discrètement, en corrigeant quelques postures au passage, il s’approchait de la princesse britannique. Il se devait de briser la glace en premier parce qu’il était le coach, qu’il était celui qui connaissait tout ça. Soupir. Tu n’as rien de cassé. C’est une haltère de cinq kilos, ça va juste être endolori quelques minutes. Est-ce qu’il venait de lui parler ? Est-ce que les tremblements dans sa voix transparaissaient complètement ? Parce qu’il était certain qu’elle pourrait entrevoir toute la complexité et la demi-mesure exagéré qu’il tente de poser dans le cadre de sa tête. S’il préférait focaliser ses yeux sur son pied, il n’eut pas le choix que de relever la tête. Et bordel, il était certain qu’elle devait bien rire de le voir si petit, si minuscule face à la couronne qu’elle portait. Elle était essoufflée, elle transpirait, ce wod n’était pas le plus reposant de la terre, bien au contraire. Même lui l’avait testé et s’était rendu compte de l’état de fatigue dans lequel il se trouvait. Tu vas mettre ta jambe là et… tiens les haltères comme… ça. Il les récupérait en main pour les poser sur ses épaules, tentant autant que faire se peut de ne pas toucher ne serait-ce que son haut de sport. Et… tu avances en te concentrant sur ta jambe avant. C’est normal que tu sois déséquilibrée, pense à écarter un peu plus les jambes pour trouver de la stabilité. Il parlait trop pour couvrir l’idée de lui demander ce qu’elle faisait là, pourquoi, combien de temps et depuis quand. Il jetait un regard vers un de ses adhérents, levant un peu la voix. Sergueï, garde les jambes tendus pour tes DU (double unders) ! Et il utilisait cette échappatoire pour s’éloigner de Charlie, bien rapidement.
Les minutes s’égrenaient et le chronomètre finit par arriver au bout des dix minutes. TIME ! Qu’hurla Levi pour annoncer la fin du WOD, certaines personnes sur le sol à cracher leurs poumons pendant que d’autres faisaient le tour de la salle pour ramasser les haltères et taper dans la main de tout le monde pour les féliciter. En attendant, Levi demandait les scores de chacun afin de les noter au tableau.
La princesse se demandait si ce n'était pas une vengeance du destin. Ou Levi qui venait de la maudire et qui avait décidé qu'il était temps qu'elle paie pour ce qu'elle lui avait fait. L'un comme l'autre, c'était douloureux. Bien entendu, elle n'était pas partie parce qu'elle ne l'aimait plus. Mais elle ne supportait pas l'idée d'avoir échoué à lui donner une famille, une jolie petite famille que leur petite puce aurait complété. Elle aurait aimé l'épouser, le voir paterner, chouchouter sa fille avec un amour inconditionnel. Elle aurait aimé voir cette petite grandir dans un foyer rempli d'amour. Et tout ça, elle l'avait foiré. Elle se sentait coupable d'avoir porté un enfant malade et de ne pas avoir su le concevoir normalement dans son ventre. Alors, pourquoi elle aurait du lui expliquer tout ça ? Toute princesse qu'elle était, elle ne méritait pas un gars comme Levi. Il était beaucoup trop bien pour elle. Beaucoup trop bien pour la princesse qu'elle était. Charlie soupira, massant son pied meurtri par la douleur quand Levi apparu près d'elle, manquant de la foutre par terre de peur. « OK non ça va ! » Lança t-elle en reposant son pied et en remettant la basket en hurlant de douleur intérieurement. Pourtant, à l'extérieur, elle voulait paraître tellement normale. « Ça va passer. » Et encore un mensonge. Elle aurait un hématome énorme et puis elle aurait mal le reste de sa vie. Ah non, c'est son cœur ça. Charlie déglutit nerveusement, observant tout de même Levi comme si elle cherchait à lui dire quelque chose. Mais rien ne vint. Elle avait des envies qu'elle avait refoulé, oublié même. Le prendre dans ses bras, prendre tendrement sa main sans le regarder, juste lui faire sentir sa présence. Sa tendresse qu'elle lui portait. Finalement, elle se leva pour suivre ce qu'il lui disait, répétant ses mots comme si ça allait changer quelque chose à sa nullité. Et avant qu'elle n'ai pu le remercier, il s'envola vers quelqu'un d'autre.
L’entraînement fut douloureux, compliqué pour Charlie. Son pied lui faisait mal et pourtant, elle voulait vraiment suivre ce cours. Elle s'y mit à fond après le départ de Levi vers les autres, faisant les choses comme il se devait. Levi n'était pas revenu vers elle et pourquoi il l'aurait fait ? Les dix minutes qui passèrent lui parurent presque mille ans. La jeune femme soupira de soulagement quand ce fut terminé, restant debout pour reprendre sa respiration. Elle remarqua Levi près du tableau de scores mais il n'était pas encore abordable. Elle attendit que tout le monde passe pour s'approcher de lui, un peu trop déterminée à son goût. Elle se planta à ses côtés. « Levi ! » Et se rendit compte qu'elle ne savait pas quoi lui dire ni comment lui dire. Elle tripotait ses doigts en se tortillant. « Levi... Je... J... » Il fallait qu'elle y arrive. « Je suis désolée... » Et ça ne suffirait pas, elle le savait. Elle savait que c'était foutu de toute manière.
Le cours se passait plutôt bien, au bout de plusieurs mois de coaching, Levi était devenu beaucoup plus à l’aise dans son rôle pédagogique et prenait plaisir à voir l’évolution de ses adhérents, surtout pour ceux qui étaient alors incapables de faire des mouvements il y a de cela six mois et qui aujourd’hui partageaient une vraie passion pour ce sport complètement sous-cotés. Charlie avait eu tendance à le repousser pour faire ce qu’elle souhaitait faire, et il la laissait alors, sans pour autant la lâcher du regard puisqu’il était plus fort que lui d’avoir toujours un œil vissé vers elle. Elle tentait, elle essayait, elle se motivait et c’était un début si prometteur pour elle qu’il espérait presque la revoir mais… non. Il ne pouvait pas. Il n’avait pas la force mentale pour gérer un tel impact dans sa vie. Les dix minutes passaient, et tout le monde se faisait des embrassades pour se féliciter de l’effort fourni. Il écrivait alors avec son feutre noir les scores, les gens s’éloignant petit à petit pour rentrer chez eux ou vaquer à leurs occupations. Il récupérait la deuxième partie du tableau afin d’écrire et de dessiner tant bien que mal les mouvements pour la catégorie teens et la catégorie kids du surlendemain mais une voix, son prénom sortait de ces cordes vocales précisément le figea sur place. Bien sur qu’il comprenait les raisons de ses excuses, mais il irait jouer les idiots. Il était hors de question de raviver ce genre de souvenir, d’émotion, de passion ardente qui l’avait tellement terrassé qu’il s’était mut dans un silence pendant des années la concernant, gardant ce secret si précieusement qu’il était devenu fossile. T’inquiète pas, c’est la première fois que tu fais du crossfit, les prochaines fois ça irai mieux. Il n’avait besoin que de ça pour détourner l’attention, impossible pour lui de creuser. Il y a des vestiaires au fond de la salle avec des douches si tu veux. Levi ne levait pas la tête, n'osait pas la regarder, ne prenait pas le temps de lui dire au-revoir. Parce que d’un regard, il aurait pu chialer comme un enfant.
Il ralentissait cependant sur les mots qu’il inscrivait parce que ce moment, cette sensation et cette aura qu’elle dégageait vers lui le rendait fébrile à toute animosité qu’il aurait pu éprouver envers Charlie et si Levi n’était pas obligé de garder une contenance professionnelle, il aurait déjà pu perdre un peu de son contrôle. Il tendait le bras pour récupérer, sur la petite table, un document et le tendre à Charlie. Ce sont nos horaires, t’as juste à réserver le cours sur l’application et le tour est joué. Inspire. Expire. Inspire. Expire.
Elle avait fait son pas en avant et pourtant, elle avait la sensation d'avoir pris un mur en pleine figure. La princesse cligna des yeux, l'air ahuri, ne comprenant pas tout de suite pourquoi il lui parlait de la session douloureuse qu'elle venait de faire. Il croyait réellement qu'elle était en train de s'excuser pour sa nullité en matière de Crossfit ? Ou alors il niait tout simplement ? Charlie inspira profondément, prête à lui dire qu'elle s'en foutait des douches à l'instant même. Mais au fond, elle compris que ça ne servait à rien de lui dire ça. Elle souffrait encore. Elle souffrait de ce passé sur lequel elle avait choisi de faire une croix. Au fond, ce qui les avait tué, c'était elle et pas la perte du bébé.
Quand il présenta la fiche des horaires, Charlie ne prit même pas la peine de la regarder, de la prendre. Elle ne bougeait pas, lançant un regard à Levi qui en disait long. Peut être qu'elle avait envie de lui parler, qu'ils parlent de tout ça, qu'ils mettent les choses à plat. La princesse finit par croiser les bras contre sa poitrine, un brin exaspérée. Elle se sentait tout de même pas mal décontenancée. Il était toujours aussi beau et elle n'avait eu de cesse de profiter de ces lèvres qui semblaient parfois l'appeler. Elle redressa les épaules. « Tu crois vraiment que je suis venue m'excuser parce que j'ai pris une corde à sauter dans l’œil deux fois ?! » Charlie gonfla les joues, roulant des yeux. Non mais sincèrement, elle comprenait qu'elle avait merdé mais là, il ne faisait pas le moindre. Elle inspira, cherchant à rester le plus calme possible. « Je pense pas revenir... » Souffla Charlie avant d'aller chercher ses affaires. Elle comprenait. Elle savait. Discuter ne servirait sûrement à rien. Il devait la détester encore plus qu'il ne l'avait aimé. Elle ne savait pas comment ni pourquoi elle voulait s'excuser, elle savait que ça n'effacerait rien. La jeune femme soupira doucement, claudiquant à moitié. La salle était vide et elle savait qu'elle pourrait parler un peu plus librement. « Je suis désolée de t'avoir abandonné. D'être partie sans donner de nouvelles. D'avoir été lâche. Je sais que ça n'excuse rien, que ça fait trois ans. Mais voilà, je suis désolée. Et je comprends que tu t'en fiches. » Mais au fond, elle avait besoin de s'excuser, de prendre ses responsabilités en main. C'était une chose de perdre un enfant mais c'en était une autre de briser une personne. Mais si, elle s'était brisée elle même en retour.
Il était perdu. Là. Levi ne s’était jamais aussi senti peu à sa place que dans sa propre box de crossfit et tout ce qui l’importait, c’était l’indécence dont il voulait faire preuve en oubliant les formules de politesse pour se barrer en courant. Est-ce qu’il lui en voulait vraiment ? Parce que dans toute l’empathie dont il pouvait faire preuve, elle avait été celle qui portait l’enfant non ? Et donc par extension celle qui avait subi ce curetage, cette abomination d’un accouchement, de sentir son corps changer et devenir mère avant même de l’être réellement. Il avait tellement occulté ce qu’il avait pu ressentir qu’il ne s’était jamais posé un instant pour se demander ce que lui avait besoin d’exprimer.
Là, Charlie s’excusait. De quoi ? Il fronçait légèrement les sourcils, en pinçant les lèvres. Il ne soulevait pas sa réflexion concernant la corde à sauter, qui semblait être une parole vaine dans l’étalage de sentiment dont elle était en train de faire preuve. Mais c’était plus fort que lui, et si irrésistible était-elle, il se devait de garder une contenance. J’ai pas besoin de tes excuses. Wow. Même lui ne pensait pas que cette phrase sonnerait aussi douloureuses en utilisant les mauvais mots. Il y avait du venin tout droit sorti d’une langue serpentine qui le surpris plus que de raison. Je… j’voulais pas être si virulent. C’est bon, ne t’excuse pas. Tu as des responsabilités. Quel était l’intérêt après tout ? La princesse de Windsor n’avait pas autre chose à faire que de chercher l’approbation d’un pauvre gamin du Canada ? Bien sûr qu’il savait qu’elle l’avait aimé. Il n’avait jamais été le genre à pleurer sur un manque de confiance vis-à-vis de tout ça, il connaissait l’amour de Charlie. Il connaissait sa façon de porter dans le creux de ses mains son cœur pour l’élever et le rendre aux étoiles. Mais tout ce qui comptait désormais, c’était l’incommensurable perte et ce trou noir qu’il ne voulait pas voir apparaitre. Il avait tout fait pour l’enterrer avant même qu’il vienne au monde, comme elle. Ce n’était pas le moment de flancher et de prendre une pelle pour en faire apparaitre les immondices. Pas pendant cette année si importante vu qu’elle annonçait l’année la plus charnière de l’histoire de sa carrière professionnelle. Reviens généralement le midi, je n’y suis pas. Ca nous évitera de se croiser. Mais il avait besoin de la regarder. Et ses yeux refusaient. Ils étaient froids et distants même si ses artères faisaient cavaler un sang qui le rendait dingue. Migraine ou nausée. Il avait besoin de reprendre son souffle.
Levi aurait planté un poignard dans le cœur de Charlie qu'elle en aurait sûrement moins souffert. La jeune femme pinça les lèvres, blessée par la rudesse de ses mots. Mais pouvait-elle vraiment lui en vouloir ? Non. C'était de sa faute à elle s'ils en étaient là. Au fond, elle savait qu'elle aurait aimé que leur relation dure toujours, qu'elle soit éternelle. C'était tellement idiot ce genre de sentiment. Rien ne durait éternellement. La suite fut encore plus cruelle pour Charlie. Il s'imaginait qu'elle l'avait quitté aussi salement pour ses responsabilités ? Pour de vrai ? Il croyait qu'elle préférait la couronne à lui ? Non, s'il l'avait vraiment voulu, il aurait pu lui demander. Elle aurait tout abandonné pour lui. Son titre, ses richesses, sa famille. Pour lui. Parce que c'était lui, à l'époque, qui lui avait fait découvrir l'amour, le vrai. Le seul qui donnait envie qu'on se batte pour lui. Et pourtant, elle l'avait piétiné comme une gamine irresponsable et capricieuse. Déglutissant légèrement, trouvant tout ça difficile à avaler, Charlie pinça les lèvres. « Te fatigue pas. Je ne reviendrais pas. Et... Mes responsabilités n'ont rien à voir avec tout ça... » Elle soupira doucement, secouant son visage avant de quitter la salle, se jurant de ne pas y remettre les pieds. C'est le cœur lourd qu'elle regagna sa voiture, pas certaine que cette journée soit réellement comme elle l'avait espéré. La jeune femme avait mal au pied, aux bras, à la tête mais surtout, son cœur semblait meurtri, se décomposant dans sa poitrine. Il y avait longtemps qu'elle n'avait plus voulu songer à tout ça pour ne plus en souffrir et maintenant, ça revenait. Charlie inspira et démarra, elle devait prendre cette responsabilité en main. Mais pas maintenant. Trop tôt. Trop dur à supporter.