L'histoireGhost of youUne enfance paisible. Née à Portland, dans le Maine, de parents aimants, j'ai grandi dans un cadre presque idyllique. Nous n'étions pas une famille qui roulait sur l'or, mais nous étions heureux dans la petite ville de Ellsworth, dans le Maine. Ma mère travaillait comme aide soignante dans la maison de retraite de notre petite ville alors que mon père était cuisinier dans le restaurant à l'entrée d'Ellsworth. Ainée de deux enfants, j'ai toujours pris mon rôle de grande soeur au sérieux. Lily, ma petite soeur, avait deux ans de moins que moi et toutes les personnes qui nous connaissaient pourront vous dire que nous étions proches. Ellsworth est une petite ville idéale pour grandir. Composée de sept mille habitants, c'est une ville sûre qui ne fait pas beaucoup de vague. L'été, mon père nous amenait au Branch Lake afin que nous nous baignions. J'ai toujours été beaucoup plus proche de mon père que de ma mère, qui ne disait pas grand chose est était assez effacée. Papa nous racontait qu'il avait rencontré maman à une période de sa vie où elle était très malheureuse, et qu'elle nous en parlerait peut-être un jour quand elle serait prête. Lily et moi adorions inventer des histoires et partir à l'aventure dans la ville afin de trouver de quoi écrire. A dix ans, je savais déjà ce que je voulais faire dans la vie : journaliste. Je voulais partir à l'aventure, enquêter, trouver la vérité et l'exposer à tout le monde dans mes écrits. Fouineuse, c'est l'adjectif qu'on a le plus utilisé pour me décrire quand je suis entrée au collège. Brillante, est l'adjectif qu'a le plus souvent utilisé mes professeurs pour me décrire auprès de mes parents. Et si tout le monde me prédisait un avenir brillant, personne ne s'attendait à la tragédie qui viendrait entâché cette petite vie parfaite.
Extrait du Maine Sunday Telegram, 14 mai 2015
UN TIREUR FOU A ELLWORTH MAINE HIGH SCHOOL
C'est la vie de vingt deux élèves et trois professeurs qui ont été fauchés au lycée de Ellworth, Maine. A 10h59, ce vendredi, un élève de terminale est entré dans l'enceinte de l'établissement avec une arme à feu. Il a ainsi ouvert le feu dans le couloir d'entrée avant d'aller dans le gymnase où l'équipe de basket du lycée s'entrainait. Une trentaine d'élève et quatre membres du staff de l'établissement ont été blessés, nous rapporte le shérif du comté. "Nous avons retrouvé le lycée dans le chaos le plus total", nous raconte un agent de police appelé sur place afin d'arrêter l'individus. Le communiqué officiel de la police stipule que les agents des forces de l'ordre ont "retrouvé l'individus enfermé dans le bureau du directeur. Ce dernier s'était ôté la vie avant même que nous ayons pu l'arrêter ou l'interroger". Une cellule psychologique a été ouverte par le lycée pour l'ensemble de ses élèves, professeurs et famille des victimes. Les motivations de Simon, le tireur, sont encore inconnus.
Séance du 20 mai 2015
Mes doigts s'agitent nerveusement contre l'accoudoir du canapé dans lequel je suis assise depuis plus de dix minutes, sans dire un mot. Mon regard, perdu dans le vide, je peux seulement entendre la psychologue dire mon prénom. "Eowyn". Je ferme les yeux, les ouvrent et regarde la trentenaire assise face à moi, un stylo entre les doigts. "Désolée", que je lance avant de tourner à nouveau mon regard ailleurs. C'est la deuxième séance. La deuxième séance pendant laquelle quasiment aucun son ne sort de ma bouche. "Dis moi à quoi tu penses, Eowyn. Tu es en première, c'est ça ? Ta soeur -" Et là, je n'entends plus rien. ta soeur. ma soeur. Elle venait d'entrer au lycée, elle était tellement heureuse d'avoir enfin quitté le collège, de se sentir enfin comme une vraie adolescente. Je déglutis et coupe la psychologue. "Elle voulait venir avec moi, ce matin là." Je regarde la femme, surprise que je dise autre chose que "bonjour", "désolée" et "au revoir". "Vendredi dernier, j'ai fait semblant d'être malade pour partir après mon premier cours de la matinée. Je voulais aller en ville parce que mon écrivain préféré passait faire une dédicace de son nouveau livre. Lily voulait venir avec moi, mais je lui ai dit de rester en cours. Je lui ai dit de rester là-bas." Et voilà le résultat. Ma soeur est morte à cause de moi. Mes yeux se voilent et j'inspire doucement. Mon coeur bat à la chamade dans ma poitrine. Il bat tellement fort que j'ai l'impression d'étouffer. "Ça n'est pas ta faute, Eowyn. Tu ne pouvais pas savoir." - Ça n'est pas ta faute. Quelque chose qu'on continuera à me répéter, encore des années après. Une culpabilité qui continue de me hanter.
Une nouvelle vie
Je n'avais plus qu'une seule obsession, après ça. Partir. Partir du Maine, partir loin. Lily croyait en moi, croyait en mon écriture. J'étais douée, d'après elle. Alors je voulais la rendre fière. Mes notes me rendaient éligibles à une bonne bourse d'études, alors j'ai postulé à trois universités différentes : Drury University, dans le Missouri, réputé pour son programme de journalisme, Berkeley University, en Californie et enfin, Harvard, dans le Massachusetts. Si mon choix se portait plus sur Drury, je n'ai pas réussie à dire non à Harvard lorsque j'ai reçu ma lettre d'admission. Mes parents n'aimaient pas trop l'idée que je quitte la maison et l'Etat, mais ils ont compris et étaient rassurés car Harvard était l'université la plus près de chez nous.
Malgré les années, je suis toujours autant touchée par la disparition de ma soeur. Lorsque je suis rentrée chez moi à Noël dernier, ma mère s'est enfin décidée à me parler de son passé, quand elle a rencontré mon père et j'ai eu beaucoup de mal à y croire au début. Plus jeune, elle a eu une fille. Mais ne se sentant pas prête, elle a disparue du jour au lendemain pour changer de vie et c'est là qu'elle a rencontré mon père. J'ai donc une demie-soeur, quelque part, et je suis bien décidée à la retrouver. Je ne sais pas encore que celle-ci se trouve dans la même ville que moi.