Chloe Greene ► Taylor LaShae

Oh petite poupée, tu souris à tout va, tu danses tout le temps, tu sautes de joie, tu pleures de rire, mais dans le fond, t'espères. T'espères que jamais rien ne changera, que l'amour que tu vis au quotidien jamais il ne se désintégrera. T'espères que certains jours sombres ne soit que du passé, et que seul l'avenir sera radieux. Oh petite poupée, t'espères chaque jour durant, que ton petit noyau dur composé de vous quatre restera intact, t'espères que les sourires resteront indélébiles sur les visages de chacun, et que ces marques d'affections resteront immortelles sur ton derme albâtre. Parce que tu en as besoin, de cet amour, revigorant, vivifiant. T'as besoin de l'amour de ta mère, qui prend soin de ton existence à chaque maladresse, à chaque chute ou chaque cauchemar. T'as besoin de l'amour de ton frère lorsqu'il cède à tes caprices pour jouer conjointement, de ses caresses dans tes cheveux lorsque tu as mal. Mais surtout petite poupée, t'as besoin de l'amour de ton père, de son regard bienveillant sur ton être, de ses découvertes intellectuelles qu'il te partage chaque jour, de ces histoires nocturnes avant de te coucher. Oh petite poupée, tu l'aimes ton cocon familial, et pour rien au monde t'y renoncera. Parce que t'es princesse sur un trône doré, parce que tu leur rends cet amour au centuple, toi, petite brune à l'amour démesuré. Toi, petite brune au caractère bien trempé. Toi, petite brune dont l'instabilité semble envahir ton ADN à chaque chamboulement dans ta vie quotidienne. Au fond, tout ce que t'espères petite poupée, c'est de ne jamais t'éclater au sol. Parce que alors, tes failles t'envahiraient, et ça serait la fin de ta bonté, de ta générosité, la fin de ta clarté. La fin de tout. T'as voulu éclaircir le gris régnant dans la maison, par tes couleurs, par tes sourires, par tes jeux. T'as essayé de toutes tes forces de t'accrocher à ce bonheur, de ne pas voir le mal régnant en ton sein. T'as souris à ta mère, qui te l'as rendu brièvement en caressant tes cheveux ce soir-là, t'as fait rire Martin en espérant qu'il garde cet éclat de liberté sur le visage, et surtout t'as serré ton père contre toi, fortement, espérant que ce n'était qu'une averse, nullement une tempête, espérant que jamais il ne te quitterait.

T'avais onze ans petite poupée. Onze petites années. Et tu t'es éclatée. En mille morceaux. Face contre Terre. Parce que ce soir-là, il t'a serré contre lui, et il a attendu que tu dormes pour prendre son sac, et quitter ton nid. Et il n'est jamais revenu.

Tu t'en es jamais réellement remise de ce départ. Et chaque matin, tu te lèves le cœur serré parce qu'il te manque, terriblement. T'as pleuré des jours durant, son absence, comme on pleure un être disparu, mais même tes larmes au téléphone ne parvenaient à le faire revenir. Comme s'il avait créé un fossé entre lui et toi, comme si ce père présent devenait un membre absent. Et tu l'as pas supporté petite poupée brisée, t'as pas su le gérer. Tu t'es renfermée, tu t'es défigurée, même outragée. T'as tout essayé pour qu'il vous revienne, le chantage, le supplice, et même le suicide. Scarifiant tes poignets blancs. T'avais treize ans, mais il n'a jamais cédé. Et les seuls bras que t'avais pour te consoler fut ceux de Martin. Pour toujours et à jamais. Alors t'as cessé de pleurer, et t'as commencé à dériver. Lentement, dans des eaux sombres et troubles. À mesure que tu prenais en âge, tu prenais plaisir à délier ta langue, à devenir vipère, capricieuse. Tu refusais le refus, et t'étais prête à tout pour qu'on te cède. Parce que t'avais ce creux, constant, au cœur de ton myocarde qu'il fallait combler. Plus jamais t'as prononcé son nom, plus jamais tu ne lui as adressé le moindre mot. Tu t'es enfermée dans tes dessins, dans ta curiosité intellectuelle, t'as perfectionné ton apparence pour jouer avec les amalgames.

T'es allé au-delà de tes ambitions, et à dix-huit ans, t'as frôlé l'excellence sous tes airs minaude. Oh petite poupée brisée, t'en a éclaté des cœurs par ta beauté divine, et t'as pris plaisir à jouer avec eux. Parce que derrière ces maux, se cachaient les tiens, bien plus puissants. Colère muée en haine, sournoise et vicieuse. T'as forgé un caractère si fort, que le seul à te contrôler, c'est Martin, ton frère protecteur. T'as beau le détester, au fond, tu l'aimes si fort que tu pourrais tuer pour lui. Sans sa présence, tu ne serais plus de ce monde, et tu le sais, putain c'que tu l'sais. Mais lui montrer ton amour serait s'adouber, et t'en est incapable petite poupée. Parce que le monde t'appartient, et que ton seul tyran sera toi-même. Excellente joueuse, t'as toujours su tirer le meilleur partie de tes cartes, et le jeu de ta vie, se fait selon tes règles, dont personne ne sait réellement l'enjeu. Tu joues avec le feu, et les corps, sans jamais réellement t'attarder, et au grand damne de ton frère, tu t'enlises dans le noir profond. Tu ne sais pas tellement où ça te mènera, mais pour toi vers le haut et non le bas. Parce qu'Harvard t'as ouvert ses portes, parce que ton charme te mènera loin, parce que tes ambitions te feront toucher les étoiles, et ton talent t'offrira la galaxie.

Mais bien loin des portes de l'université, t'es toute autre petite poupée brisée, t'es une fêtarde invétérée, t'es l'amie du monde, et tu rayonnes sous tes sourires et tes danses. T'es belle, t'en profites, et t'aimes ça. Plaire, séduire, vivre ta vie. Tellement que lorsque ton regard à croiser le sien dans ce bar, que ses mots ont franchi la barrière de ton audition, t'as dit oui tout de suite, sans hésiter. Parce qu'il y a quelque chose entre lui et toi, d'indescriptible, de brûlant, de grisant. T'as passé ta nuit dans son lit petite poupée, et la suivante, et celle d'après, comme une drogue, comme un poison irradiant. Et quand t'as vu le contrat, tu l'as signé, mais sous tes conditions. Uniquement tes règles et pas les siennes. Oui. Oui pour une nuit, oui pour d'autres. Oui, pour ton corps contre ces billets. Ta part, la sienne, et il est à toi quand tu le désires. Giovanni, le boss de ce bar, de ce réseau. Mais ton chemin faisant, t'es devenue bien plus qu'une simple prostituée dans cette chaîne, t'as prouvé à Giovanni que ta place était à ses côtés et nulle part ailleurs. Et régulièrement, ton corps se mêlait au sien pour des danses dont seuls vous aviez le secret.

Sauf que t'as pas prévu ça, petite poupée. L'attachement. Vicieux, tapis dans l'ombre. Tu te refuses à voir que quelque chose se profile, de plus fort, de plus intense. Alors t'essayes de moins t'attacher, de moins le rencontrer, mais c'est difficile, tellement difficile. T'es ancré dans ton monde de princesse doré, mais aussi dans le monde de reine enflammée, et tu sais qu'un jour, les deux, vont s'embraser. Incompatibles, impossibles, indivisibles. Ils sont deux parties de toi. La lumière et l'ombre. Le soleil et la lune. Le blanc et le noir. Le bien et le mal. Le Ying et le Yang. Martin et Giovanni.