@Andres T. Pettersen WILLARD BROOK STATE FOREST, JAN, FRI, 14:30 Un plan merdique. T'as clairement embarqué Andres dans un plan merdique. A l'image des kilomètres qui défilent, de nombreuses idées traversent ton esprit. Comment tu vas lui expliquer pourquoi ici, pourquoi maintenant. Et surtout, ce que tu vas pouvoir lui baratiner pour expliquer le fait que tu lui ai fait faire presque une heure de route pour arriver jusque là. Là. Dans le domaine de Willard Brook State Forest. Le matin même, tu t'es pointée devant la Adams House, à la recherche d'une âme égarée à manipuler. Une trop bavarde petite blonde t'as appris que son compatriote bleu Tiago avait prévu de venir courir dans cette forêt dans l'après-midi. Très rapidement, ton esprit d'analyse et d’enquêtrice hors pair a trouvé ça étrange qu'il fasse autant de kilomètres pour venir simplement courir. C'est vrai, Cambridge et Boston regorgent de parcs aussi géniaux les uns que les autres, pourquoi donc venir jusqu'ici ? T'as tout de suite compris que c'était simplement une excuse et qu'il était en train de tramer quelque chose de louche. Un rendez-vous secret ? Très probablement. Tu as donc rapidement fait faux bon à la petite blonde pour te rendre chez toi et envoyer un texto à Andres. Tu viendrais te balader avec moi ? Une pfo m'a parlé de supers sentiers pas loin d'ici, on y va cet après-midi ? Ça avait commencé ainsi, avant de se terminer ici. Assise sur le siège passager, les jambes repliées contre toi et les lèvres pincées, tu n'oses pas croiser le regard d'Andres. A l'heure qu'il est, il doit te maudire, et tu n'as absolument pas le courage de l'affronter. Les minutes défilent, les musiques expulsées par la radio également, et tu redresses enfin pour tourner la tête vers Andres. « Bon, il faut que je te dise, on ne va pas dans cette foret par hasard, mais parce que je sais de sources sures que Tiago y est. » Le "de sources sures" tu aurais clairement pu t'en passer. Mais sur le moment, tu t'es dis que cela passerait mieux. De prime abord, il ne semble pas spécialement contrarié, c'est peut être une façade, mais ça a le mérite de te rassurer. Après presque une heure de route, vous arrivez sur le parking donnant accès aux sentiers piétons et tu sautes hors de la voiture, en prenant un grand bol d'air frais et en t'étirant. Bon, le plus compliqué s'annonce, à savoir, de feindre que tu sais où tu vas. Maintenant que t'es là, à la merci de la brise fraîche et dans l'ombre écrasante des grands pins, tu perds un peu tes moyens. Au mieux, c'est une après-midi filature auréolée de succès, au pire, c'est une après-midi sportive en bonne compagnie. Ben oui, après tout, c'est loin d'être une torture de passer l'après-midi avec lui. Tu l'aimes bien Andres, tu l'as toujours bien aimé. Tu l'observes fermer la voiture derrière lui, avec un léger sourire aux lèvres. Au hasard, tu prends le premier sentier, celui de huit kilomètres. Tu commences sérieusement à regretter d'avoir embarquer Andres dans tes conneries. T'as désormais peur qu'il te prenne pour une grosse cinglée. Ce n'est pas comme si tu pouvais déjà être sûre que Tiago trouve ici, dans cette forêt, aussi loin de l'université. Jusqu'alors, tu n'as pas trouvé une seule trace de son passage, et tu ne saurais surement le faire, même avec toute la volonté du monde. Force est de constater que tu l'as perdu. Force est de constater que tu t'es perdue.
(Katalia Borgia)