Mathilde Ionesco ► Lily James

Back in the days.
University John Hopkins,
Ma.
2013

Elle a des airs de gamine, elle a toujours eu. Les boucles, la peau pâle, les yeux rieurs... l'exotisme européen un peu inexpliqué d'un père grec et d'une mère parisienne. Pas française. Parisienne c'est plus classe. Elle porte du rouge à lèvre et coco mademoiselle avec sa blouse blanche, ça alimente le fantasme. Joueuse Mathilde, avec son accent. Elle séduit. Élève brillante, lycéenne à Henri IV à Paris, danseuse classique et violoniste talentueuse... elle a tout pour elle Mathilde. Maman actrice oscarisée, adulée, hissée au rang d'icône. Papa éclipsé, auteur et philosophe, c'est le Montmartre bourgeois, pluie contre la fenêtre, elle frôle la tour Eiffel du bout des doigts. Elle est l'aînée. Après elle - le déluge - Oscar et Augustine. Des jumeaux, éloignés de huit ans et qu'elle n'a jamais réussit à comprendre vraiment. Elle les aime profondément mais les savoir de l'autre côté de l'océan ne la dérange pas. Vieille image, la famille unie c'est un voile. Pour cacher une vérité p't'être un peu plus sale.

Elle s'est barrée aux USA, faut dire c'qui est. Elle a prit le premier avion pour San Fransisco au moment ou elle a su qu'elle était admise à l'université de Stanford pour ses quatre premières années de pre meds. L'American Dream couleur soleil, front brûlant contre le désert de Californie. Mathilde dix huit ans, le french accent risible et la green card en guise de passeport. Stanford, ça été le goût des premières fois. Sexe, alcool, drogues. Plus vraiment une gamine. Première relation aussi, complètement foirée pour faire comme les autres. Il l'aimait, elle l'aimait... pas assez. Elle ressort major de promo, obtient une bourse d'étude à l'âge de vingt deux ans pour aller faire son internat à John Hopkins, la meilleure université de médecine au monde.

Psychiatrie, ça a surprit au début. Mathilde, la favorite on la voyais chirurgienne, cardio thoracique, pour bien assurer la pérennité d'une domination contrôlée. As de pique n'aime pas le rouge, elle laisse le sang à dame de cœur. Six ans d'internat à Baltimore, pour finir encore une fois major, auréolée de gloire. Psychiatre. Spécialisée dans le traumatisme, son sujet de thèse posait les questions du PTS appliqué au cas de soldats de l'armée américaine. Ambition brûlante dans les prunelles, elle est embauchée à la clinique John Hopkins à l'âge de trente ans.    




Augustine est malade. Accro à la morphine, amorphe et sans vie réelle. Son monde se résume à Oscar qui la fuit, un garot bleu délavé et une aiguille. Mathilde c'est sa seule chance de la sauver, de la réparer pour qu'elle devienne une bonne mère... Ezra, deux ans. Un accident "pas assez vite prit en charge" d'après la génitrice. Ezra deux ans, les yeux verts, autiste Asperger. Intenable, vivant chez ses grands parents. Ezra gosse perdu et pas assez aimé. Alors Augustine, elle a prit son fils et elle s'est barrée à Baltimore, venue sonner en mars 2018, frigorifiée en manque et sous la pluie. Mathilde s'est donnée six mois pour sa sœur, flippée et agacée, en pleine préparation de thèse. Augustine a pas tenu deux mois sa cure de désintox. Elle s'est barrée de l'institut et a disparu. Ezra, elle l'a laissé seul, chez Mathilde. Elle pourrait être morte qu'on le saurait pas. Ça a détruit toute la famille cette connerie. Drame familial, y'en a partout, c'est d'un banal.

Ezra c'est pas son fils mais un peu quand même. Il a quatre ans aujourd'hui et elle est la seule qu'il laisse le toucher. C'est pas grand chose, une paume, un front, mais c'est déjà ça. Les administrations françaises et américaines on été conciliantes sur l'adoption du petit, peu regardantes sûrement. Les grandeurs du privilège. Ils vivent tous les deux dans son appart de Boston, il aime la ville. Les buildings ont tendance à le calmer. Parfois Mathilde, elle voudrait qu'il existe pas. Parfois elle pense que sans Ezra sa vie n'aurait pas de sens. Le plus souvent ça oscille entre les deux. Elle reste une gosse bancale.   


Trauma, Baltimore
Ma.
2019

Les risques. Un peu vagues, sans réelle présence autre que celle de quelques mots sur des papiers. Vus en cours, pris au sérieux pour quelques jours. Puis la confiance s'installe. Le patient qui vient, toutes les semaines. Religieusement. Diagnostique - dépression à tendances paranoïaques. Cas classique, clinique presque. Ordonnance à prescription médicamenteuse, thérapie. Rien de complexe. 

Il s'appelle Ashton. Vingt quatre ans sans histoire autre que cette putain de maladie qui lui dévore le cerveau, qui l'agresse à coups d'obsessions et de crises, qu'elle est la seule à comprendre un peu. Mathilde c'est sa drogue. Sa Nemesis. La personne qui lui a prescrit ce fichu séjour en hôpital. Elle comprend pas, elle comprend pas qu'ils ont besoin l'un de l'autre. Que les séparer c'est une erreur. Le problème c'est que Mathilde elle écoute pas. Pas assez.

19.24.08 Il faisait chaud et il était relativement agité dans la salle d'attente. Ça le prenait parfois comme ça, de faire une crise parce qu'il avait pas prit son traitement, qu'il était pas volontaire. Il est rentré, il s'est assis. Pas de bonjour, pas de regard en coin pour observer ce qu'elle portait, comme à son habitude. Elle a remonté ses lunettes, s'est assise en face de lui, à croisé les jambes. Silence. Space oddity, cinq minutes qui passent comme des heures, mais elle attend, qu'il craque et parle en premier... ou qu'il s'en aille. Il fait comme il veut. Il s'est levé oui, les yeux injectés de sang, perdus et un peu fous, laissant ses mains s'enrouler autour de la gorge de sa psychiatre, et serrer un peu plus fort à chaque instant, laissant son corps absorber les coups de plus en plus faibles de Mathilde. Elle suffoque, elle panique. Si elle perd connaissance, c'est finit. Il a des larmes qui coulent sur ses joues en même temps, qui se mêlent à ses cris déments. Elle a à peine eu le temps d'entendre la porte s'ouvrir, de voir cet autre patient se précipiter sur Ashton pour finir par le maîtriser. Ça cogne fort contre ses tempes. Elle voudrait dormir mais ça fait trop mal. Y'a pas assez d'oxygène dans ses poumons, ça brûle. Elle étouffe, souffle erratique qui l'empoisonne. C'est flou après. L'hôpital, le masque, le choc...

Ashton est enfermé, en institut et il attend son procès. Elle, elle a prit Ezra et elle s'est barré de Baltimore, pour oublier. Boston c'est pas mal. Y'a pas grand chose de différent et elle s'occupe de cas barbants, ne cherche même plus à se faire de réputation. Sa vie est d'une banalité scandaleuse, et ça lui convient. Le procès est pour bientôt et elle redoute. Baltimore blues, elle est un peu lâche Mathilde au fond...