REYNA WEISS ► taylor marie hill

Dépression post-partum, enfant indésiré. Neuf mois durant tu déformes son corps, tu lui provoques des humeurs irascibles. Pour finalement sortir et… tout ça pour ça. Un nourrisson gigotant et criard. Tu ne fais pas tes nuits, c’est normal pour beaucoup de parents mais ta mère, ça la rend complètement instable et elle bascule dans cette dépression dont on ne parle que trop peu, qu’on tait ou chuchote. Ta mère, elle ne t’a jamais voulu en premier lieu. Elle souhaitait faire carrière, être puissante et en quelque sorte diriger le monde. Rêve de gamine bousillé par son irresponsabilité et son caractère odieux, mise de côté par la famille pour que la petite sœur la remplace. Haineuse mais pas grave, elle construira son empire seule. Mais elle tombe enceinte du premier touriste venu. Pour finalement accoucher d’un petit bébé toi, Reyna. Progéniture imprévue et destructrice. Tu as déformé son corps svelte qu’elle n’a jamais su retrouver et tu as piétiné son mental à coup de cris, de pleurs et d’insomnies. Si seulement elle avait pu se débarrasser de toi, si seulement. Avant même de naître tu étais plus aimée qu’elle au sein de la famille, elle ne pouvait te jeter ailleurs. On t’a accueilli avec joie sauf d’une personne, la plus importante. Ta mère. Dès qu’elle le put, elle te confiait à n’importe qui. Au fil des années, elle oubliait de venir te chercher à l’école, elle te laissait avec des inconnus, te perdait sur le marché de Tel-Aviv. Et finalement un jour, elle n’est jamais venue te chercher après l’école. C’est ta sauveuse de toujours, ta tante qui t’accueille, t’héberge. Ce ne sera pas la dernière fois que tu occuperas une chambre dans ta famille.

Parce que Maman elle va et vient au gré des saisons. Toi tu ne t’y fais jamais réellement, tu crèves dans le besoin de ton amour constant mais tu as la chance de voir Joy s’occuper de toi. Joy celle sans qui tu ne serais pas en vie ou alors à errer dans les rues de la ville. Elle te nourrit, te protège, t’apprend, t’éduque. Tout ton savoir et tes valeurs, tu les dois à elle. Joy elle n’est pas que ta tante, elle est la figure maternelle dont tu manques, ta véritable mère au fond. Alors quand la génitrice disparait encore une fois après une dispute houleuse et t’insultant copieusement au passage quand tu n’as que seize ans, Joy devient ta tutrice légale avec l’aide de tes grands-parents et d’un dossier prouvant l’absence de ta mère. Tu voyais enfin la vie plus colorée maintenant que désormais, ta mère ne pouvait plus avoir aucune emprise sur toi, que tu pourrais vivre paisiblement avec la lumière de Joy pour te guider.

Mais la pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre, n’est-ce pas ?

Parce que finalement, tu n’es pas si différente de celle qui t’a mise au monde. Petite, tu casses les jouets des autres enfants par pur méchanceté. Tu pousses, tu tires les cheveux. La méchante de la cour de récréation c’est bien toi. En grandissant, tu deviens indépendante dans le quotidien mais ton cœur ? Il n’y a pas plus dépendant que toi. Tu veux de l’affection, de l’attention tu recherches désespérément un regard qui te montrera si haut dans le ciel que tu n’en verrais plus la terre. Ceux que tu méprises, tu détruis. Tu harcèles, tu pièges, tu ris du malheur. Et ô combien tu es détestée mais ils sont trop effrayés pour bouger le petit doigt. Reyna, la Reine. Ça sonne bien, ça sonne naturel. Tu commandes ton petit monde. Exactement comme ta mère le voulait à son âge. Tu es dans la maîtrise absolue de tout ce qui t’entoure. Tu empoisonnes tes amis avec de la toxicité et tu n’en as que faire. Car ils restent ces amis… donc c’est normal à tes yeux.

Et lui il est resté si longtemps à tes côtés. Ô combien tu l’aimes encore à ce jour. Rencontre banale au lycée sur les bancs entre deux cours. Le flirt n’a pas duré bien longtemps avant le sexe. Ta première fois. Imparfaite, qui choquerait beaucoup mais tu l’aimais, tu lui as tout donné. Parce qu’il te regardait avec cette lueur que tu guettais dans les pupilles de chacun. Tu étais au sommet des plus hautes montagnes, des plus grands buildings. Tu étais sa reine, son enchanteresse. Alors tu t’es noyée dans ce flot de sentiments, dans cette relation malgré les mises en garde. Il t’offrait tout l’amour du monde, il t’offrait tout ce que tu as toujours voulu. Alors même si les disputes sont violentes, ce n’est pas grave tu l’acceptes. Tu acceptes ton bleu après qu’il t’ait tordu le bras parce que c’est toi qui as commencé en le giflant. Tu acceptes la relation sexuelle parce que c’est toi qui as commencé ce petit jeu, voulant étouffer les mauvaises émotions, cette dispute dans une embrasse érotique. Tu es amoureuse, tu le laisses prendre ce qu’il veut de toi. L’amour ce n’est pas l’abandon dans les bras de l’autre après tout ?

Tu te retrouves à pardonner des manques de respect, des écarts. Parce que toi, tout ce que tu veux c’est lui. Qu’il te donne le pire, le moche, l’abject. Tu l’embrasseras comme au premier jour, clameras ton amour. Et lui aussi, il t’aime. Lui aussi, quand tu es en colère, abusive, que tu apparais sous ton pire jour… il t’accepte. Te murmurant « je t’aime » après les coups, les engueulades. Tu n’as jamais douté de son amour, il n’a jamais douté du tien. Alors même si vous vous manquez mutuellement de respect, que vous faites des écarts et vous étripez pour cela, dans vos esprits vous vous êtes peut-être bien trouvés. Tu abandonnes ton rêve de faire des études aux Etats-Unis. L’université de Tel-Aviv est après tout la plus réputée d’Israël. Tu restes à ses côtés, tu te prends un appartement avec lui. Tu veux vivre ton amour, qu’il te consume toute entière. Mais c’est maintenant que tout s’effondre.

Les disputes sont plus fréquentes, vivre ensemble est étouffant, trop instable même pour vous deux. La violence s’accroit et tu te retrouves désormais avec la marque de ses doigts autour du cou. Mais il te souffle toujours ces « je t’aime », t’offre les plus belles choses au monde. Pas des objets mais des moments si symboliques. C’est lui qui t’aide à te mettre sur la trace de ton père, c’est lui qui t’aide à le retrouver. Comment ne pas l’aimer ? Malgré les autres filles, malgré tes moqueries en plein de ta figure. Tu n’es pas angélique non plus, tu es un véritable démon. Tu trompes, tu te moques également. Tu étais intolérante à la drogue, il fait de la fumette et tu l’acceptes. Tu fais de ton mieux. Mais il y a bien une chose que tu n’as jamais accepté de sa part c’est qu’il bascule de l’autre côté de la barrière. De client à vendeur. Alors quand tu apprends que votre petit appartement lui sert à dealer en toute tranquillité de la drogue, c’est comme une baffe en pleine figure et une chirurgie ouverte en plein dans ton cœur. Tu pleures, tu hurles de douleur mais tu le quittes. Lui, réalise sûrement qu’il t’a perdu puisqu’il n’essaye pas bien longtemps de te retenir. Aucune violence, aucun coup. Juste la séparation brutale et douloureuse. Tu fais tes valises pour ne plus jamais revenir. Tu prends un avion, tu dois partir. Tu dois essayer de te reconstruire seule.

New-York, et te voilà devant sa porte, grâce à celui que tu as aimé si fort. Tu frappes doucement et un visage qu’une quarantaine d’années apparait dans l’embrassure de la porte. Ton père, le fameux touriste que s’était tapée ta mère tout un été. Tu souris, confiante. Tu ne t’es jamais laissée abattre par une situation intimidante, stressante. Tu te présentes sans aucun tact, ton prénom, ton nom et votre lien. Ton père écarquille les yeux, jette un coup d’œil à l’intérieur de sa maison avant de fermer la porte derrière lui, vous gardant dehors. Tu devines bien qu’il a refait sa vie, qu’il doit avoir une femme peut-être même des enfants. Toi tu t’en fiches, tu ne veux pas apprendre à les connaître tu veux seulement l’amour paternel. Mais il te regarde avec indifférence, froideur, il tient ses distances. Il te décrit à quel point ta mère a été la pire histoire de sa vie, à quel point elle était toxique, abusive et égocentrique. Qu’il a été heureux de quitter Tel-Aviv à la fin de son séjour, qu’il a dû suivre une thérapie afin de guérir des plaies béantes que ta génitrice avait laissé derrière son sillage. C’est comme si tu te prenais des claques au visage, comprenant petit à petit qu’il ne voulait rien de toi. Le coup de grâce arrive : « tu lui ressembles comme deux gouttes d’eau. »

T’es son portrait craché, à ta mère. Son ombre se tient au-dessus de ta tête, te suivant éternellement et empoisonnant tout autour de toi. Et lui ? Qu’il aille se faire voir, qu’il continue de copuler avec tout ce qu’il veut, qu’il fasse une brochette d’enfants. Tu n’en veux plus rien. Il te regarde avec cette peur et ce dégoût qui sont sûrement destinés à ta mère. Mais c’est toi qui te prends tout à la figure. Parce qu’il l’a vu lui aussi en un instant. Tu es exactement comme elle. Tu bafoues les émotions des uns et des autres, tu te fiches du reste tant que tu obtiens ce que tu veux. Après tout, tu t’en fichais éperdument de ce qu’il pourrait ressentir en te voyant ici. Tu te fichais bien de s’il avait déjà une famille, tu voulais seulement agrandir la tienne. Alors sans un mot tu te retournes, partant à tout jamais de sa vie. Les larmes coulent toute seule alors que tu retournes dans ton taxi et le premier réflexe que tu as, c’est d’appeler celle qui a toujours été là pour toi, la seule femme qui te comprend, ta véritable mère tout au fond. « Joy ? Tu-tu te souviens de ce dont je t’ai parlé, tu sais, transférer mon dossier à Boston ? … bah c’est acté, je le fais. » Parce que ton nouveau départ a été brisé, autant réaliser ton rêve de môme. Etudier à Harvard, l’une des universités les plus prestigieuses du monde. Tu sais que c’est possible, tu sais que tu seras prise sans aucune hésitation. Et tu espères que Boston ravivera ton cœur mourant, que tu pourras être enfin mise sur le droit chemin. Parce que pour le moment, tu n’es que l’antagoniste dans toutes les histoires dont tu fais partie, la méchante sorcière qui détruit son entourage. Tu le réalises que maintenant. Combien te reste-t-il d'amis ? Combien de personnes s'inquiètent pour toi, t'appellent pour prendre de tes nouvelles ? Tu n'es que la terreur, celle à qui on sourit afin de passer une année hors de ton mauvais oeil. C'est ça, tu es le mauvais oeil, tu te nourris du malheur des autres, tu les méprises pour ce qu'ils se font à eux-mêmes. Véritable méchante finalement... Tu veux être meilleure mais son ombre est toujours au-dessus de ta tête. Et lui, il est toujours dans ton cœur qu’il a malmené comme tu as malmené le sien. Et eux, tout ceux que tu as détruit, blessé, rabaissé. Leur haine envers toi semble te hanter comme si le karma te suivait de près avant de frapper. Alors tu attends le moment venu et ne combattant pas ce côté moche chez toi, tu dis adieu en dressant tes majeurs. Pensant que t'échapperas au mauvais en réalisant ton rêve, douce naïveté.