Brooklyn Macfarlane ► Christina Nadin

Avant, la vie était simple, si simple. Brooklyn a grandi sur les plages, à Nauru, élevée par ses grands-parents. Père qui n’avait jamais fait partie de sa vie, qu’elle détestait pour ne jamais avoir voulu d’elle. Mère morte en la mettant au monde, qu’elle espérait toujours rendre fière de là où elle était. Vie tranquille, sans aucune vague, rien pour venir la déranger. Un calme rare qu’elle n’a réellement apprécié que quand il a disparu. Avant, elle ne se posait pas de questions. Gamine de Nauru, profondément attachée à ses racines, qui n’envisageait pas de partir voir le monde. C’était simple, surement beaucoup trop pour que ça dure indéfiniment.

Idée de partir pour Harvard qui s’est finalement implantée dans son esprit. Potentiellement la pire idée qu’elle ait pu avoir, quand on voit ce qui en a découlé. La meilleure aussi, d’une certaine manière. Partir retrouver sa meilleure amie à l’autre bout du monde, entrer dans la meilleure des universités, c’est devenu un véritable rêve pour elle. Ses grands-parents l’ont mise en garde, plus d’une fois. Ils ne voulaient pas la voir reproduire les erreurs de sa mère. Ils ne voulaient pas la perdre elle aussi. C’est bête quand on y pense. Ce n’est pas Boston qui lui a fait reproduire les mêmes erreurs mais eux, sans même le savoir.

Boston… Le meilleur et le pire réuni dans une seule ville. Aucun regret quand elle y repense. Elle serait prête à recommencer, encore et encore, tout revivre, juste pour les personnes qui ont croisées sa route. Voir enfin Céleste, avec qui elle avait passé des mois à échanger des messages. Entrer à la dunster. Rencontrer Morgan, Yosku, Katsumi. Elle ne peut pas regretter. Elle ne pourra jamais regretter. Elle essaye encore, d’oublier les évènements qui l’ont ébranlé. Ce n’est rien, comparé aux moments heureux qu’elle a connu dans cette ville. Sa rencontre avec son père, elle peut passer outre, oublier qu’il a maintenant un visage et un nom, ce n’est pas important. Les attentats, elle peut vivre avec. Elle peut fermer les yeux sur les images qui lui reviennent parfois. Même le souvenir de la mort de sa grand-mère peut lui arracher un sourire. Parce qu’elle n’était pas seule. A aucun moment. Jamais seule, plus jamais. Elle ne regrettera jamais Boston, à cause d’eux.

Milieu de l’été et elle fuit. Sans un mot, sans une explication. Elle laisse Céleste et Morgan chez lui. Elle reprend l’avion pour chez elle, incapable de dire qu’elle n’a plus personne. Orpheline, finalement. Ça lui tombe dessus comme un coup de massue. Plus de famille, plus personne. Elle est seule. Quelques mois ont suffi pour la priver de toute famille. Elle regrette, tellement. Si elle n’était pas partie, elle aurait pu passer du temps avec eux, passer leurs derniers mois avec ses grands-parents. Au lieu de quoi, elle s’amusait à Boston. Elle s’en veut, tellement. Elle tourne en rond, dans la maison qui l’a vu grandir. Elle n’a pas le courage de prévenir ses amis. Elle ne sait même plus si elle veut rentrer. Elle se sent mal, trop pour penser clairement. Soirées qui se suivent et qui se ressemblent trop. Brooklyn, elle reste juste là, à attendre une explication, un signe, quelque chose qui justifierait ce qu’elle doit traverser. Elle fouille dans les tiroirs de la chambre de ses grands-parents à la recherche des albums photos, pour se rappeler, pour voir leurs visages encore une fois. Elle ne s’attend absolument pas à ce qu’elle trouve à la place. Certificat d’adoption à son nom. Et le monde s’écroule un peu plus.

Elle fuit, encore une fois. Elle prend ses affaires et elle quitte Nauru pour Melbourne, après avoir tout retourné à la recherche d’informations. Elle a besoin de réponses. Réponses qui ne viennent pas, jamais, même pas à l’orphelinat par lequel elle est passée. Dossier vide, trop vide. Brooklyn qui craque, un peu plus. Elle fini dans un bar ce soir-là, ceux d’après aussi. C’est comme ça qu’elle le rencontre. Ils s’entendent étonnement bien, malgré toutes leurs différences. Lui et sa famille trop présente, elle qui n’a plus personne. Romance qui devait mourir aussi vite qu’elle était née. Ils ne s’aiment pas, pas vraiment. Ils se retrouvent plus par besoin qu’autre chose. Besoin qui les lie un peu plus chaque jour, jusqu’à les amener au mariage. Il lui offre une famille, elle lui permet d’échapper au mariage que ses parents avaient prévu pour lui. Anneau qui se retrouve à son doigt plus par besoin qu’autre chose. Qui ne la gène cependant pas vraiment. Heureuse d’avoir quelqu’un à ses côtés, d’avoir une famille, même si c’est juste monté de toutes pièces. Septembre passe, octobre aussi. Elle n’a pas rejoint Harvard à la rentrée. Elle ne pouvait pas. Pour dire quoi ? Alors elle reste à Melbourne, dans cet appartement qu’elle partage avec lui. Novembre et elle lui avoue. Enceinte de lui, sans aucune envie d’avorter parce que ce serait contraire à tout ses principes. Novembre et ils réfléchissent tous les deux à quoi faire. Garder le bébé, rester marié, partir, ils sont trop perdus, l’un comme l’autre. Décembre et ils se décident enfin. Brooklyn retourne à Nauru pour y récupérer les affaires qu’elle y a laissé, pour mettre de l’ordre et vendre la maison à des voisins. Les cartons partent pour Melbourne, dans leur appartement et elle, elle fait ses valises. Retour à Boston. C’est le plan. Finir ses études, retrouver les gens qu’elle a laissé derrière. Vivre comme s’ils ne s’étaient pas rencontrés, pour voir ce qu’ils veulent vraiment.

Retour qui se fait en silence, sans prévenir personne. Elle passe ses examens sans croiser personne. C’est peut-être mieux, parce qu’elle ne sait pas quoi dire. Seule et perdue, comme au début, prête à essayer de tout arranger.