LYZ ROSEN ► teresa oman

La gamine à la chevelure implacable. La gamine aux yeux miroirs. Yeux semblables à sa mère qui, à peine âgée de seize ans n'avait que le corps pour vivre. Yeux de maman ayant vu la misère, goûté au mystère à en perdre la raison. Papa lui il a toujours eu de quoi subvenir aux besoins. Pas de quoi s'plaindre ni même espérer. À peine né, il avait déjà tout son avenir de tracé. Et tandis que maman a souffert après la naissance de l'ange, papa lui, il n'a entendu que des « idiot que tu es. on avait besoin de tout sauf d'un autre bébé dont s'occuper. ». Bah ouais, parce que maman âgée de seize ans, papa âgé d'à peine vingt ans. Un chaos qui s'implantait dans leur vie. Mais c'n'était pas si grave puisqu'après tout, ça les rapprochait. C'était un nouveau départ, de quoi s'aimer. Mais grand-mère n'était pas du tout de cet avis. Aigrie comme pas deux, elle n'appréciait guère maman et n'cessait pas d'vouloir lui prendre la vedette. Pas d'argent pour sa môme ? Quelle médiocrité, elle donnait. Pas d'quoi l'habiller ? Pas d'souci, elle s'en chargerait. Pas d'quoi lui permettre d'aller dans de prestigieux établissements scolaires ? Pas d'temps à perdre, c'est encore grand-mère qui offrirait. Mais elle ne faisait pas ça par amour. Bel et bien pour détruire petit à petit maman qui s'sentait minable. Minable à en crever.

Il est dix heures, j'suis posée devant le lycée et j'attends maman. Mais maman, jamais elle ne reviendra. Maman, elle a quitté cette terre bien trop maudite. Terre qui méprise les personnes comme elle. Terre qui n'a jamais tenté d'lui proposer son aide. Pas même posé un regard bienveillant à son égard. On est le dix août deux-mille quatre et j'apprends qu'maman a succombé à ses blessures. On refuse d'm'en dire plus. On refuse d'm'expliquer ce qui l'a mené à réaliser un tel acte. Je n'ai que huit ans. J'ai du mal à comprendre. J'ai du mal à me dire que jamais je ne la reverrais. Et même si j'étais la seule qui lui montrait une once d'amour, je sais qu'elle en aurait beaucoup plus mérité. Papa n'étant pas là, j'dois vivre sous le toit d'grand-mère qui ne cesse pas de vouloir anéantir les souvenirs.

J'ai quatorze ans désormais. Je n'en peux plus de cette femme que je dois me coltiner. Je commence à hausser le ton, ne plus me laisser embobiner. Et ça lui déplaît à un tel point qu'elle hurle que je suis comme maman. Seules paroles provenant de sa voix qui me semblent véridiques. Seules paroles qu'elle dit qui me font sourire. Je ne bronche pas. Peu importe ce qu'elle veut. Peu importe ce qu'elle fera, elle n'obtiendra rien.

Je suis ce que je suis. Je sais ce que je vaux. Qu'on me suive ou veuille m'effacer, jamais je ne reculerai. Agacée par la discrimination envers les minorités, agacée par l'injustice et tout ce qui s'y rapporte. Insupportée par l'argent coulant à flot et rendant les personnes totalement influencées, je décide de réagir. J'utiliserai mon talent, mes mots pour aider, soutenir. Engagée à dix-sept ans, peu parviennent à croire en moi. Ce n'est pas pour autant que je lâcherai quoi que ce soit.

Incendie puis décès de grand-mère. Elle en qui je n'éprouve rien m'a délégué tout son argent. Pas de quoi en faire des énormités, je sais comment saisir l'opportunité. Harvard. Partir là où jamais je n'avais songé auparavant. Harvard, lieu où ambitieux se côtoient. Après tout, tout le monde y a sa place. Même moi. Profitant du départ du pays, de l'arrivée dans cet autre ne ressemblant guère à l'Allemagne, je fais en sorte d'atteindre mes objectifs. En priorité, obtenir de bons résultats, suffisamment pour intégrer Harvard. Les domaines qui m'intéressent le plus ? Les arts et sciences, évidemment. Journalisme et théâtre, rien de plus épanouissant pour quelqu'un qui refuse de la garder fermer et s'efforce toujours à avancer, quoi qu'il y ait sur son chemin, toujours engagée.

Papa dit être fier de moi, de mon avancée. Je m'en contrefous. Si je suis celle que je suis aujourd'hui c'est grâce aux valeurs que m'a inculqué maman autrefois. Et ma réussite je la lui dois. Alors je persévère. Bien que facilement irritée, franche et parfois maladroite, j'arrive à plutôt bien m'intégrer. J'ai beau recevoir des regards noirs de temps à autre, je sais qu'il existe des personnes sur qui je peux compter, ici. Des personnes, qui, tout comme moi, savent ce qu'ils veulent et disent merde lorsqu'ils le doivent. Des personnes qui ne semblent pas avoir peur de quoi que ce soit et avec détermination continuent à faire entendre leur voix, à représenter, défendre leurs idées.

De l'argent de grand-mère j'ai su en faire quelque chose de grandiose. Grâce à ses billets, j'ai pu accéder aux portes de cette université et y être ces premières années. Cependant, c'est à mon tour de travailler. Alors je cherche, cherche et cherche par-ci par-là de quoi en gagner. Jusqu'à trouver. Autant le job puis toi. Toi qui à première vue n'est pas comme les autres. Toi qui m'intrigue suffisamment pour devenir bien plus que de simples collègues. J'ignore encore ce que je ressens mais une chose est sûre : te perdre de vue jamais je ne le désirerai. La multitude de conneries, les addictions, les sensations, le partage d'émotions sont ce que j'ai connu dès que j'ai posé les yeux sur toi et je ne pourrais l'oublier.