HELINA DE LUNA ► jessica origliasso

J'ai grandi à Rio, et je l'ai quittée à dix ans. Quitter le pays, sans parents, sans repères en dehors de ma soeur jumelle. J'ai vécu chez une tante que mon père arrosait de billets pour qu'on soit deux bonnes petites américainse. Il ne voulait pas qu'on continue de traîner avec les milieux défavorisés des favelas, qu'on devienne deux grandes dames bien comme il faut, qu'on soit deux élèves brillantes. Alors à onze ans, j'étais parfaitement bilingue; à quinze, je parlais également français et italien. Si bien que j'étais devenu un véritable dictionnaire pour mes camarades. J'avais des facultés de dingues pour les langues étrangères, et ça a dû jouer pour la suite de mes études.
Je voyais mes parents deux fois par an. Pour les fêtes de fin d'année, ils venaient nous voir à New-York. On faisait les magasins de luxe sur la cinquième avenue, des photos devant le sapin du Rockfeller avant de retourner dans l'immeuble qui m'a vue devenir une jeune femme, avec mes sacs Cartier, Chanel et Hermès. Puis l'été, c'est Selena et moi qui quittaient les grandes avenues New-Yorkaises pour la chaleur moite des plages de Copacabana, entourées de jeunes qui jouent au beach soccer comme s'ils étaient Neymar Junior, ou Ronaldo.
Revenir aux USA, c'était comme perdre à chaque fois un petit bout de ce que j'étais au fond. Je revenais dans cette ambiance froide et pressée, où tous les visages qu'on croise ne sont que des inconnus trop pressés pour s'attarder, et trop stressés pour profiter. Chaque jour, je passais devant le même clodo avec son gobelet en métal, qu'il secouait pour avoir quelques pièces. Il était pas si vieux, et son chien était pas si moche. Chaque jour, j'ai vu des dizaines de gens l'ignorer, comme je l'avais fait aussi. Mais je m'y suis attardée, un jour. Ce gars, il avait dix-huit ans, ses parents étaient en taule et son chien, c'était tout ce qui lui restait. Alors chaque jour, je lui donnais un sourire, de la bouffe et de la compagnie. Jusqu'au jour où il n'était plus là. Le froid a eu raison de son pauvre corps frêle et le destin de son cabot entre les mains de la fourrière. C'est comme ça que j'ai voulu militer pour une cause d'égalité. Et j'avais adopté son chien, par la suite.

Je suis tombée amoureuse, deux fois jusqu'à maintenant. La première fois, c'était court mais intense. J'avais seize ans, et cette première marque sur mon coeur portait un nom mélodieux à mes oreilles, à l'époque. Amanda. J'avais eu des histoires, avant elle. Mais c'était différent, basé sur l'attirance. Alors qu'elle, c'était explosif. Elle savait souffler le chaud et le froid, me rendre dingue par un regard, me tuer dans un silence et me redonner vie en effleurant ma peau du bout de ses doigts. Quand je la voyais, mon coeur brûlait, dans mon ventre, des tas de vibrations et dans mes yeux, c'était certainement un éclat de flamme. Mon sourire s'étirait toujours, ses longs cheveux châtains se mouvaient parfaitement dans l'espace. J'étais captivée à chaque fois. Sept mois d'un amour puissant, pur, sensuel. Et du jour au lendemain, ses sentiments s'étaient volatilisés, me laissant seule dans mes draps, avec mes souvenirs pour combler les blancs. Première estampille sentimentale.
En arrivant à Boston, j'ai rencontré un gars, plutôt du genre ténébreux, le regard profond, les bras sécurisants. Il a partagé mon quotidien un an, mais finalement, je me suis lassée. Trop prévisible, trop indécis, trop sérieux. Ses yeux profond se sont transformés en un surplus de bienveillance exacerbée. J'ai jeté son coeur à l'amer passé. J'avais besoin de plus de folie, comme celle que j'avais ressentie avec Amanda. Seconde estampille, bien plus légère que la précédente.

J'aime m'amuser, jouer de mes charmes, faire la fille trop accessible avant de m'éclipser à l'instant même où on croit me saisir. J'aime me sentir insaisissable, désirable, irremplaçable. Marquer un esprit, séduire et être séduite. A la fin de l'année 2019, j'ai revu cette photographe, Naëlle. On a parlé plus longuement, on s'est rapprochées, lentement, jusqu'à cette nuit où je me suis abandonnée dans ses bras. Je ne l'avais pas revue pendant deux semaines avant qu'elle ne daigne refaire signe. On s'est brouillées, puis elle est revenue vers moi, quelques jours après le jour de l'an pour me déclarer sa flamme. Depuis, on vit une belle histoire, passionnée. C'est la première fois que je ne me lasse pas d'une relation, je dois l'admettre. On prend notre temps avant de s'engager plus sérieusement, d'emménager ensemble avec son chien.