ARIEL BASSAN ► toni mahfud

Mains autour de ton café fumant, debout devant la fenêtre de ton petit studio, tu observes New York qui s’éveille. D’ici une bonne demi-heure tu seras parmi cette foule, en train de zigzaguer entre les piétons pour gagner la bouche de métro et ainsi rejoindre le campus. Une journée comme les autres à jouer ce personnage qui, désormais, te colle à la peau. Deux ans que tu es sur le sol américain et malgré ça tu as l’impression que ton arrivée date d’hier. Tu as pu compter sur l’argent que tu avais mis de côté, loin de ta banque – au cas où que tu disais – pour t’offrir une nouvelle identité et une nouvelle vie. Après ça, il te restait assez pour le voyage jusqu’aux Etats-Unis et l’achat de ton petit studio. Parvenir à intégrer une université te semblait être impossible, particulièrement pour le menteur que tu es, mais devenu doué dans ce domaine, parvenir à embobiner et obtenir les papiers c’est presque fait comme un jeu d’enfants. Tu n’en es pas fier, loin de là. Droit dans tes bottes depuis gamin, c’est l’une des rares choses pour laquelle tu es reconnaissant envers tes parents. Avec leur éducation stricte qu’ils t’ont imposée, tu as appris certaines valeurs que tu as bafoué à l’instant où tu as fui. Au moment où tu l’as abandonné derrière toi malgré la promesse d’être toujours là pour elle. Maintenant tu en es là, loin de Jérusalem, loin de la pression qu’ils te mettaient sur les épaules pour être le gamin parfait que tu n’aurais jamais été. Ta maladie s’en est assurée alors que tu n’avais que quatre ans et quand tu y penses, ça te rend malade. Ton diabète tu ne l’as jamais demandé et tu as encore moins demandé que tes parents te rejettent à cause de ce qui te rendait imparfait à leurs yeux. Pourtant tu mentirais si tu disais ne pas avoir été soulagé lorsque ton rôle d’héritier a été refilé à ton petit frère adoptif. T’as frôlé la liberté des doigts avant qu’elle ne te soit à nouveau arrachée. L’armée c’était ta planche de salut, l’assurance de rendre tes parents fiers tout en fuyant le plus loin possible. Cacher ton diabète, c’était facile avec l’argent de papa et maman et puis est arrivé le jour fatidique où tu as pris tes jambes à ton cou. Et désormais tu es là, dans l’une des plus célèbres villes des Etats-Unis, avec un faux nom et une vie basée sur le mensonge. Mais ça t’arrange et tu ne l’échangerais pour rien au monde. Quelques coups contre la porte de ton appartement te tirent de tes pensées et tu as à peine le temps de réagir qu’une tête rousse entre chez toi. Le coin de tes lèvres s’étire un sourire franc et amical. « Encore décidé à être en retard à ce que je vois. » Te lance Dylan alors que tu hausses les épaules et termine ton café. Tu vérifies quand même ne pas avoir oublié ton médicament même si c’est un automatisme depuis le temps. « Je voulais seulement être certain que t’aies eu ta dose d’effort physique quotidienne. » Le poing de ta meilleure amie s’abat sur ton épaule alors que tu te marres, fier de te payer sa tête. « J’attrape mon sac et ça sera bon. » Tu vérifies seulement avoir tout le nécessaire dans ce dernier, y compris ton insuline et tu emboîtes le pas de la rousse en claquant la porte de chez toi dans votre dos. C’est une routine bien huilée que vous avez depuis deux ans. Dylan, elle a été la première personne à laquelle tu t’es adressé une fois à New York et vous ne vous plus jamais lâchés ensuite. Si tu dois être franc, tes pensées n’étaient pas franchement pures lors de votre rencontre et malgré ça jamais rien ne s’est passé entre vous. Non pas qu’elle ne soit pas à ton goût, l’occasion ne s’est jamais présentée, ce qui ne t’empêche d’admirer parfois ses jolies fesses comme maintenant, sourire en coin.

Ce matin t’as encore du mal à te lever. Cinq mois que t’es à Boston est malgré ça, tu n’arrives pas à tourner la page. Pourtant t’as jamais été du genre à t’attacher autant … ou peut-être que si en fait ? Avec cette relation sérieuse que t’avais avec cet enfoiré tu voyais le moyen de te racheter, de rattraper le fait que t’as abandonné la seule personne que tu n’aurais jamais dû abandonner. C’était une façon pour toi de te prouver que tu méritais encore d’être heureux, grosse connerie ! Karma is a bitch ! Tu ne peux pas être plus d’accord avec ça que tu ne l’es déjà. C’est ta punition pour avoir été un salaud et pour avoir abandonné ta propre sœur jumelle à son pauvre sort et entre les mains de vos enfoirés de parents. Trois années de relation foutue et ça t’a complètement retourné. Naël, tu pensais l’avoir que pour toi. Vous vous êtes tournés autour un moment, pas franchement du genre à vous poser et entièrement bi l’un et l’autre. Mais ça a fini par arriver même si Dylan te disait de te méfier. T’aurais mieux fait de l’écouter mais, putain, qu’est-ce que t’étais heureux. Les Etats-Unis s’étaient déjà l’endroit pour voler de tes propres ailes, faire ce que bon te semblait, mais tu pouvais aussi assumer ta bisexualité sans honte. Sauf que rien ne s’est passé comme prévu, particulièrement en découvrant qu’il te trompait depuis plus d’un an et qu’il avait eu l’intelligence de mettre enceinte son amante. Forcément, un gosse t’aurait eu du mal à lui offrir ça mais t’aurais été prêt … enfin c’est ce que tu te répétais sans le penser. T’as carrément foiré ton année à cause de cette rupture et t’aurais totalement abandonné si Dylan ne t’avait pas convaincu de partir de New York. Alors t’as fait des pieds et des mains pour obtenir ton transfert vers une université aussi prestigieuse que Columbia. Harvard t’a ouvert les bras même si tu sais que ton soi-disant score SATs a été ta porte d’entrée avec bourse à la clé. Pas que tu sois un cancre, t’es même excellent, persévérant et intelligent mais ça reste la base d’un mensonge et tu commences à en avoir marre. Il t’aura fallu cinq ans pour ne plus supporter de mentir sur tes origines et ta famille. Ou peut-être est-ce ta rupture qui a été la goutte de trop ? Toujours est-il que même arrivé à Boston t’as du mal à accepter les choses. Tu te noies autant dans tes études que dans les relations sans lendemain. Et dans tout ça, Dylan t’a suivi. Si t’ignore pourquoi elle a fait ça, pourquoi elle continue de supporter le sale type que tu peux être parfois, tu lui en es extrêmement reconnaissant parce que ta vie sans elle, elle te paraitrait encore plus fade qu’elle ne l’est depuis que ta jumelle n’est plus là pour y apporter de la couleur.