GIANNI DI MARCO ► drew ray tanner

« Arrête un peu d'faire comme si j'étais rien pour toi, t'es pas juste avec moi. » J'allumais une cigarette, assis dans ce fauteuil déglingué, et un sourire en coin du mec satisfait d'embarrasser cette fille trop jolie pour que j'puisse lui plaire et qui pourtant, ne s'trouve pas si belle pour comprendre qu'elle me plaît. J'suis qu'un gamin encore, j'ai seize ans, j'me prends pour le caïd de Brooklyn alors que j'vis à Manhattan. « T'es bête, tu sais que t'es important pour moi, Gianni. C'est grâce à toi si je suis encore là. » me répondait-elle, en souriant, avant d'embrasser ma joue. Ca m'faisait rire. Elle était belle Sierra, avec ses cheveux bouclés, ses yeux qui viraient au vert au soleil. Elle était belle quand elle m'regardait en face et qu'elle m'demandait la fin d'ma clope avec son petit sourire heureux. « Quand est-ce que tu vas te décider à m'embrasser ? » venait-elle me souffler au creux de l'oreille, après avoir attrapé le cylindre ardent d'entre mes doigts, avant de se retirer en riant. Sierra. Le premier amour, le premier deuil, le premier pleins de choses. Quand j'ai connu cette meuf, elle était mal dans sa peau. Elle n'avait rien qui expliquait ça. Elle était grande, bien foutue, une gueule à faire jalouser les anges. Mais faut croire qu'au lycée, cette beauté faisait parler, que des rumeurs lui ont terni sa joie de vivre. Et je l'ai empêchée de faire une connerie, et j'lui ai promis de veiller sur elle, sans penser que j'allais en tomber amoureux un jour. Alors quand elle m'a demandé quand est-ce que j'allais enfin l'embrasser, j'ai pas pris la peine de lui répondre, j'ai simplement agi. On pourrait croire que j'suis le genre de mec qui s'est rapidement lassé une fois que j'avais eu ce que j'voulais, mais non. J'ai pas eu l'temps de me lasser, en fait. J'l'ai retenue, pendant quelques mois. Mais j'la voyais sombrer. Elle traînait avec des dealers, elle s'droguait. « Je sais que tu tiens à moi, et je comprends pas comment tu fais alors que moi, je tiens pas à moi-même. » m'avait-elle dit, un soir où elle était défoncée. « J'pourrais pas t'expliquer, c'est comme ça. Tu saurais m'dire pourquoi tu tiens à moi ? » lui avais-je répondu, sans savoir que ce qu'elle allait me dire allait faire basculer ma vie. « Pour avoir un dernier bon souvenir de ma vie. » Ce dernier message a bouleversé le reste de ma vie. Dans la nuit, son père m'a appelé, en m'disant qu'elle était morte, overdose. Que son enterrement avait lieu à la fin de la semaine. J'suis resté assis sur mon lit jusqu'au matin, sonné. Sierra était morte. J'ai pas été capable de comprendre son dernier message, j'ai pas été capable de demander s'ils avaient essayé de la sauver. J'me suis contenté d'encaisser. Dix-sept ans et tu perds ta première histoire d'une overdose, y'a mieux, non ?

Après la mort de Sierra, j'devais tout gérer. Les regards compatissants de ceux qui sont responsables de sa descente aux enfers, de ceux qui l'ont fournie, des profs, de mes potes, de mes proches. De quoi devenir fou. J'me suis coupé du monde un moment, j'suis resté concentré sur mes cours, le foot, et l'reste, j'm'en foutais en fait. Mon père m'a attrapé par les épaules et m'a dit [color:ce08=color=darkgoldenrod]« Ecoute bien, fils. T'as perdu ta copine, c'est dramatique. Mais c'est pas pour autant que tu dois fuir le monde qui t'entoure. Des gens qui vont mourir, tu vas en connaître tout au long de ta vie. Mais t'es un grand gars, tu vas te relever, parce que c'est ce qu'on fait, chez les Di Marco. T'as compris ? » Je l'ai regardé, et j'ai hoché la tête. Il avait raison, fallait que j'relève la tête. Alors j'me suis retrouvé dans des fêtes à la New-Yorkaise, j'ai emballé des tas d'filles juste pour combler la solitude, et j'ai continué d'me montrer toujours plus studieux que les autres. Ca a fini par payer. Le fils cadet Di Marco est à Harvard. J'en revenais pas. Cette lettre, cet emblème sur la lettre, vous êtes accepté. J'ai pris mes valises et j'ai sauté dans l'avion. Cambridge, putain. J'suis dans la cour des grands. Et j'espère que Sierra est fière de ce que j'suis, même si j'suis plus le gamin de dix-sept piges qu'elle a laissé en mourant.
Pour parler de ma famille, j'suis métissé, c'est vrai. Mon père est un américain d'origine italienne, toute sa famille paternelle est en Calabre. Sa famille maternelle est à Little Italy. Et ma mère, c'est une amérindienne Cherokee. J'ai deux frères aînés, trop cons pour Harvard, et une p'tite soeur, qui j'espère pour elle, pourra suivre mes traces. Et au fait, si t'es mignonne, j't'offre une conso au bar. Allez, j'te laisse, faut que j'retourne bosser. J'espère qu'on s'reverra.