GABRIELLA MANNING ► Nathalie Emmanuel

Trente et un octobre mille neuf cent quatre-vingt-sept à Guadalajara au Mexique. Jour de la fête des morts, journée emblématique dans ce pays. On ne peut pas dire que j'ai vu le jour dans la meilleure partie du monde. Ma mère était jeune, elle n'avait que dix sept ans. Elle passait la majorité de son temps à boire, se droguer et faire toutes les conneries que les filles de bonne famille ne feraient jamais. Elle ne travaillait pas à proprement parlé, elle vendait son corps pour quelques dollars et cet argent passait dans ses déboires. Même si elle ne savait pas qui était mon père, ma mère avait décidé de me garder. Elle faisait très attention à moi, mais souvent ses travers revenaient à la surface et ses mauvaises fréquentations aussi. • Alors que j'étais à peine âgée de trois ans, je me rappelle encore des bras qui me tirent vers l'arrière et m'enlèvent à ma mère. Les voisins avaient eu pitié de moi et avaient prévenu les services sociaux. Ma nouvelle vie fut de voyager de foyer en foyer le temps de me trouver une place et d'espérer que ma mère devienne "normale". Mais la drogue eut raison d'elle et elle meurt sans avoir pu me revoir une seule fois. • Je suis restée à l’orphelinat pendant une petite année Et soudain une famille vint enfin m’adopter. Il s’agissait d’un couple américain, tous deux ayant des origines mexicaines. Ils ne parvenaient pas à avoir des enfants et se tournèrent vers l’adoption. Je ne sais pour quelles raisons ils décidèrent de venir au Mexique plutôt que d’adopter dans leur pays. Ils avaient beaucoup d'argents et contrairement à mon passé, mon avenir allait être bien différent. J'allais passé du bon côté de la barrière. • Mes nouveaux parents vivaient à New-York. J'étais incapable de comprendre ce qu'il m'arrivait. Inconsciemment j'effaçai beaucoup de choses de ma mémoire et je prenais ce nouveau départ comme un signe du destin. Il faut dire que mes parents étaient très gentils mais ils avaient surtout tellement d'argents que je pouvais obtenir tout ce dont j'avais besoin, mais surtout envie. Mais l'amour me manquait. Les cadeaux ne remplacent pas vraiment l'amour d'une mère. Et celle qui m'avait adopté pensait plus à son image, à son reflet dans son miroir qu'à moi. Mais je doute qu'elle s'en rendait compte. Elle m'aimait sans doute à sa façon, encore aujourd'hui... • Petite, j'aimais beaucoup l'école. On peut même dire que j'étais une petite intello. Toujours prête à répondre aux questions de mes professeurs, je ramenais de beaux points à la maison. Je pensais qu'en étant une petite fille parfaite, ma mère m'aimerait d'avantage mais les rêves ne font malheureusement pas parties de la réalité. • Par je ne sais quel miracle ma mère mit au monde un petit garçon. J'avais six ans et je le détestais déjà. Enfin je détestais surtout le fait que je me sentais encore plus exclue de la famille. Mon père peu présent par son travail, essayait de combler le vide. J'ai eu de la chance de l'avoir dans ma vie. • Les années passèrent et vinrent les belles années de l'adolescence. Je commençai à sortir à l'âge de quinze ans. Ma mère ne me surveillait pas vraiment et je faisais la fête avec d'autres jeunes de la "haute société". Tant que j'avais de bonnes fréquentations, elle ne se souciait pas du reste. Je buvais beaucoup, prenant même souvent de la drogue. Ça a duré quelques années. • Jusqu'au jour où je me retrouvai à l’hôpital. Au début on pensait que j'avais fait un malaise à cause d'un manque de drogue ou d'alcool mais il s'avéra que j'étais diabétique et qu'il fallait que je prenne soin de moi. Je me sentais un peu seul mais je trouvai réconfort de nouveau auprès de mon père. En quelques sortes il combla le manque d'amour de ma mère et me ramena à la réalité. Il s'occupait beaucoup de moi et tentait de renouer les liens avec ma mère, mais ils étaient fortement abîmés. • Lors de ma quatorzième année, je tombai amoureuse pour la première fois. Contrairement à ce que tout le monde attendait, c'était d'une jeune femme que j'étais amoureuse. Elle avait mon âge et provenait du même milieu. Cependant nos parents n'étaient pas très ouverts et ne furent pas d'accord avec notre romance. On se cacha pendant un an mais quand ils découvrirent tout, les parents de mon amie l'envoyèrent à l'autre bout du pays, prétextant une cure de dés intox. Je ne m'en remis jamais. Se remet-on vraiment d'un premier chagrin d'amour? •  Ma vie de désinvolte était terminée et je me donnai à fond dans mes études. Je ne voulais pas finir au chômage et encore moins faire quelque chose que je n'aimais pas. Je voulais faire des études et je m'y consacrai un maximum. • Un jour alors que je me promenais dans un parc en voyant une mère et sa fille, je me posais les questions sur mes origines. Je sais que je suis adoptée mais je ne me rappelle pas grand chose. Sauf les pleurs de ma mère quand on m'a enlevé à elle. J'ignorais les raisons mais après une discussion avec mes parents je pus enfin tout comprendre. Et c'est pour cette raison que je veux pouvoir défendre les enfants qui n'ont rien à dire et qui ont la vie chamboulée. Beaucoup n'ont pas ma chance de trouver une bonne famille. • D'apparence je peux paraître comme quelqu'un de très prétentieuse. Après tout j'ai grandi avec tout ce que j'avais besoin. Je profite de ce que j'ai. Malgré tout, j'ai la tête sur les épaules et le cœur sur la main. Je rends souvent visite à ma mère qui me ramène souvent sur terre. La vie simple n'est pas si mal non plus. Je m'efforce de trouver le juste milieu entre les deux côtés de ma vie mais ce n'est pas toujours facile. Surtout avec mon caractère bien trempé.