ELIJAH HAYES-MORALES ► Jensen Ackles

- MAJOR MORALES ?  

Elijah est là présent dans cette pièce, à subir le regard de ce qui jusqu’à lors auraient dû être considérés comme ces collègues. Il se demande pourquoi d’ailleurs. Pourquoi on lui demande de s’asseoir en ces lieux, pourquoi il doit être là plutôt que chez lui auprès de sa femme et son fils. Tout ça lui trotte dans la tête mais pour le moment il demeure calme, presque prêt à obtempérer. Il n’a de cesse d’observer sa montre, mais se sent encore prêt à subir cette interrogation.  

- HAYES-MORALES. répond t-il avec une froideur, sans doute dû à son impatience.

TRÈS BIEN, MAJOR HAYES-MORALES. VOUS AVEZ DONC 30 ANS. ANCIEN MEMBRE DES FORCES ARMÉES AMÉRICAINES DE CE QUE JE VOIS.

EX-MAJOR DES 1ST CORPS, BASÉ AU FORT LEWIS POUR ÊTRE EXACT

Les minutes semblent passés, et pourtant rien ne semble se passer. Elijah est là, comme impuissant à observer ses deux hommes, cette femme qui se jouent de lui, de sa patience. De plus, c’est là bien la première fois qu’il est sujet à un interrogatoire aussi musclé. Mais toujours rien. Il est là, posé sur cette chaise grinçante à attendre qu’une voix daigne se faire entendre. Et soudain l’un des deux hommes présent jette le dossier sur la table, ne le lâchant désormais plus du regard.

- OU ÉTIEZ-VOUS DE 8h à 10h ?

Sa respiration se resserre, son rythme s'accélère lentement.
Poom..  (bruit de ce cœur qui bat)
Tandis qu’il manque un battement.. puis deux..

Puis enfin, il comprend ce qu’il se passe. Ce moment qu’il a tant redouté pendant maintes et maintes années ; cette crainte viscérale, cette éventualité que sa femme n’eut de cesse de lui mentionner… Ses prunelles se portent peu à peu sur ces photos qui ornent dorénavant la table de métal. Il s’en saisit d’une, puis deux. Ses paupières se ferment calmement, sa mâchoire serré et les mains qui remontent le long de sa chevelure châtain, Elijah ne daigne pas répondre. En effet, ces mains tremblent avec violence et s’il ouvre la bouche à cet instant, ça ne serait que pour prononcer des choses incompréhensibles tant les larmes s’amassent sous ses yeux.

Elijah demeure mutin quelques mièvres instants, ses traits se changeant peu à peu en ceux d'un loup qui grogne, son petit cœur qui cogne, flexible à d'autres sons gigogne. Et les souvenirs n'ont de cesse que de lui revenir en tête. Lui, pourtant grand garçon d'une trentaine d'années — ses lèvres soupirent hélas et désormais les mêmes mélodies. Et de son regard qui s'entrouvre, coulent parfois ces larmes vers les uns  et parfois vers les autres sans jamais se poser, sans jamais lui laisser le temps de décider.

Et sur tous ces visages sculptés, brodés les uns après les autres… Aucunes émotions ne lui parvient, lui n’est simplement victime de ce coup du sort qu’on lui réserve.  Le monde n’est désormais plus qu’un enfer dans lequel Elijah Hayes-Morales ne saurait se convaincre d’oser survivre. Et il est dans cette immensité désertique, dans ce décor si pur, si immaculé. Devant lui, ces gouttelettes qui perlent. Est-il blessé ? Oui, il l’est au cœur. Et il ne s’agit que de son corps qui réagit, fatigué de pleurer les défunts. Alors oui, ses larmes sont rouge de sang.

Il ferme alors ses paupières l'espace d'un instant pour quérir de cette obscurité si profonde, pour oublier ces environs qui le trouble ; pour faire face à autre chose que cette clarté sanglante.

- MORALES ? VOTRE FEMME AVAIT-ELLE DES ENNEMIS ?

- MORALES ? VOTRE FEMME VOUS TROMPAIT, ET VOUS AVEZ DÉCIDEZ DE LA TUER C’EST ÇA ?

- MAJOR MORALES !

S’étant débarrassée de ce mutisme, qui ne saurait vivifier cette interrogatoire sans queue ni tête, les trois officiers - chacun leur tour viennent donner vie à leur idéaux ; prêtant aux mots cette gestuelle belliqueuse propre à la politique, la rhétorique. Mais Elijah lui n’a de cesse que d’observer ce jeu auquel tour à tour, tous se prêtent. Lui n’en demeure pas plus intéressé. Son seul intérêt demeurant dans le fait déplorer son jeune fils, Danny ou encore sa femme Laura. Alors demeure là, présent - prêtant attention uniquement aux dires qui le concerne tant ils sont tous plongés dans une discussion quelque stérile. Et à vrai dire, rien de vraiment nouveaux n'en ressort, mais il se voit écouter comme ils parlent. L’agent spécial observe ses faux semblants, prête attention à ses allusions, écoute ses idéaux et surtout le sous texte de ses mots que tous emploient. Se rendant rapidement compte, à quel point le monde était pourri. Lui qui était pourtant si fier de servir sa patrie, les voir parader de la sorte, nouvellement maître des mots, à l'image de coq de basse-cours. Mais dans tout ça, il demeure sceptique comme soucieux de savoir à qui il répond désormais. Parce que sous les sourires et les paroles anodines, chaque syllabe claque et cherche la supériorité. Innocent ou Coupable, pour le moment nul ne le sait si ce n’est eux.

- MA FEMME.. MON FILS. PENSEZ-VOUS VRAIMENT QUE J’AI PU FAIRE CA ?
 
- ALORS RÉPONDEZ A LA QUESTION.  OU ÉTIEZ-VOUS DE 8h à 10h ?  

- VOUS ÊTES UNE HONTE POUR LA NATION AMÉRICAINE, MAJOR MORALES.

Un silence accablant en réponse à cette conclusion évidente.

Tandis que les souvenirs à la fois sombres et joyeux lui revienne, ses paupières s'entrouvrent à nouveau, redécouvrant le monde en proie au désespoir en face de lui encore une fois. Toutes ces choses qu’incarnaient ces institutions, ces procédures… A ce moment précis, il les avait détesté, les avait maudit et pour cause elles lui rappelaient sans cesse tout ce qu’il avait passé avant ceux qu’il aimait : Sa famille.

Il sent également ce doigt qui appuie sur sa tempe avec répétition, et il se revoit subitement à la place de cet officier — à agir de manière désobligeante, dégradante.

Sa respiration se resserre, son rythme s'accélère lentement.
Poom..  (bruit de ce coeur qui bat) Tandis qu’il manque un battement.. puis deux..

Il ouvre les yeux, la gorge sèche, la tête lourde et l'esprit embrumé. Il a comme un genre de goût de sang dans la bouche, tandis son corps dégage cette chaleur insoutenable. C’est donc l'esprit encore légèrement flou, qu’Elijah regarde à même le vide. Ces poings se resserrent mais il demeure immobile. Il se tempère, et tente de calmer cette pulsion profonde qui vient torturer ses songes quand bien même il sait en définitive qu’il finira par y céder. Il aimerait les entendre parler, il aimerait savoir pourquoi elle s’efforce de le garder là contre sa volonté, lui qui n’est qu’une loque. Une boite de conserve sans la moindre jugeote, un agent qui par maintes reprises failli manquer à son code d’honneur. Mais il n’entend que ce bruit qui tambourine contre sa tempe. Ce fluide rubicond qui déferle encore et encore.

Lui. Oui c’est cet homme dont il a eu certains échos pour le moins fameux, auquel il pense. Il s’insurge, il s’en veut d’avoir entrepris cette enquête sur lui, d’avoir gâché sa vie. Il est certain qu’avec cette colère qui lui noue le ventre, rien ni personne ne pourrait l’empêcher de lui demander de répondre de ses actes. Qu’il soit porteur de preuves concernant ces accusations qu’il profère ou non.
Mais alors qu’il est là, dans ce commissariat sans encore s’évertuer à dire quoique ce soit, sans doute son regard, son identité toute entière le trahissent. Il ne saurait affirmer quoi que ce soit à l’heure actuelle. Toutefois cette ivresse vengeresse dont il est victime ne saurait cesser sans que le sang ne vienne à couler contre le sol immaculé de sa mère nation. Celui de cet homme qu’il sait pour sûr coupable d’un délit ; et ces hommes qui ne paient rien pour attendre.

Il ne put donc s'empêcher de claquer sa langue sur son palet, de souffler entre ses dents, de tiquer sur les regards un peu trop persistant. Et il sait qu'il pourrait facilement succomber à son impuissance, cette émotion est devenue une entité à part entière en lui ; mais il demeure calme, comme imperturbable, alors qu'intérieurement, c'est une tempête qui s’apprête à se déchaîner.

L’engeance dont les mots dévalent habituellement sa lèvre amère, clairs et nets à outrance, cataracte n’ayant que trop tardé. Il se questionne, presse, continuel, et l’interrogation n’a cette fois nul besoin d’être prononcée ; elle rôde vigoureusement au fond de ses prunelles.

Elijah se lève d’un coup, sans crier garde. Sans vergogne, Il tord le bras de cet homme avant de s’empoigner son poignet et de le cogner contre la table. D’un mouvement vif et précis, il se munit de son arme. Il ne lui suffit d’ailleurs que de quelques secondes pour qu’il ne l’a braque à l’arrière du crâne de sa victime, sous les yeux exorbités de ses vis à vis.

La folie s’emparant l’espace d’un instant de l’officier tandis qu’il tressaillit. Elijah éprouve une certaine amertume, posée au fond de son ventre. Comme une couverture, une couche mince recouvrant les parois de son estomac, un sentiment désagréable mais léger. Flou, peut-être, qui ne l'agrippe pas comme d'autres le font, mais qui flotte aux limites de son ressentit. Qu'il s'efforce de repousser, doucement, de ramener au devant de son esprit cette compassion, ce désir de comprendre l'autre, qu'il ne discerne pas clairement à travers du brouillard de l’aube.

Mais il ne peut s'empêcher de voir une certaine forme de manque de respect dans la pratique. Un oubli de toutes ses années passées à servir sa nation. Un manque d'appréciation de ce que l'on possède, que d'autres n'ont peut-être plus; c'est se débarrasser d'une chance, avoir le loisir de choisir et choisir la mauvaise option. Celle qui déchire la chair, celle qui sectionne les os, qui coupe les nerfs et laisse couler le sang. Il y eût un temps où Elijah aurait tout fait pour représenter la loi, et pourtant, en ce monde de barbares il se sent forcé d’agir contre son plein gré.

Il ne comprend pas. Quelque chose se coince entre deux de ses vertèbres, les dernières bribes d'une colère éteinte il y a bien longtemps. Un sentiment d'injustice, profond, qui coule jusqu'au fond de ses nerfs, des extrémités serrées, connectée à cet objet, qui contrôle la mort. Ce avec lequel il peut faire partie du monde. Il ne comprend pas, et quelque chose en lui refuse de comprendre.

Au travers de ces dents qui grincent, de ce comportement surréaliste, il se rappelle de ce quelque chose qu'il n'a jamais avoué à sa femme, de ce qu'il a gardé au fond de son cœur, blessure minuscule qui n'a toujours pas totalement cicatrisé, et qu'il doute le fera un jour. De laquelle il sent parfois s'écouler quelques perles de sang, comme une aiguille qu'on enfoncerait au creux de sa chair. Une douleur teintée d'une nostalgie certaine, souvenir sans être amer. C'est une de ces seules souffrances qu'il a gardées pour lui, qu'il gardera toujours comme un secret, son poids à porter, qu'il ne souffrirait de partager. Parce qu'il n'y a pas de moyen de changer les choses. Il aurait aimé leur dire à quel point il les aime. A quel point il les aimait.

- OFFICIER MORALES NE TIREZ PAS !

- JE L’AIMAIS… JE L’AIMAIS vocifère t-il

Il ne broncha pas un instant. Ne cilla pas, rapprochant peu à peu son doigt de la gâchette - en oubliant même de respirer. Après quelques instant, son univers explosa. La robe bain de soleil jaune de sa défunte femme lui apparaissant une fois encore. L’agent spécial ferme alors les yeux. Sa vie défilant devant lui - la vie qu’il avait eue, celle qu’il avait failli avoir - jusqu’à ce qu’à l’image d’une faucheuse sans foi ni loi, ce bruit strident ne l’emporte, pourfendant l’air, le replongeant définitivement dans le noir.

BANG ! BANG !

- DIRECTEUR GENERAL ADJOINT WARREN ! C’EST LE NÔTRE, ON L’EMBARQUE...

Bruit de porte qui claque.  Non pas une mais deux fois…
Sa respiration se desserre, son rythme ralentit lentement mais sûrement.
Poom..  (bruit de ce cœur qui bat) Tandis qu’il manque un battement.. puis deux..
Lui qui a perdu non pas un mais deux êtres aimés.