un jour, une histoire
Il y a quatre ans, François de Bourbon, prétendant au trône de France, était mort. Son aîné François, « duc de Bourgogne », prenait en charge la succession, avec l'aide de sa mère, Jeanne de Tour et Taxis. La cadette de cette fratrie était Caroline, « Madame royale », et le benjamin était Henri, « Monsieur, duc d'Anjou ». Caroline et lui discutaient dans un salon, où ils eurent cette conversation :
— François est toujours dans les jupes de maman. Il a 24 ans, il est assez grand pour s'émanciper & faire ce qu'il veut non ?!
— C'est vrai, fit Caroline, mais tu a accepté ces fiançailles avec l'Orléanaise, que maman t'as imposé cela dit.
Henri se retourna vers sa sœur, un sourire amusé et narquois sur le visage.
—Je salue ta sagacité, ma tendre sœur, mais je suis à peine majeur ! répondit-il avec le même ton, quoique plus rieur. Et la différence notable est que Mathilde d'Orléans m'aime, et que nous aurons toute notre scolarité à Harvard cette année pour nous connaître mieux qu'avant. Mais si nous connaissons les Habsbourg, Marguerite et François n'ont pas grand-chose en commun.
— Oh si, ils en ont ; notre mère sait qu'ils seront un couple harmonieux, et elle lui mènera la vie durement s'il épouse une roturière. De plus, une part de leur fortune serait la bienvenue. fit remarquer Caroline.
Depuis quelques mois, Jeanne de Tour et Taxis répétait avec le concours des Habsbourg à qui voulait bien l'entendre, qu'on allait marier Marguerite de Habsbourg à son fils François de Bourbon. Puis ajouter à cela que pour ramener plus d'argent à la caisse familiale, on vait décidé que Henri allait épouser Mathilde d'Orléans, « duchesse de Vendôme », dont la fortune familiale était aussi appréciable. Jeanne voulait une politique de réconciliation entre les deux branches prétendante, mais c'était surtout une question d'argent & pour anéantir les Orléans, qui n'avaient qu'une fille en ligne directe.
Les Tour et Taxis, en bons germaniques, n'aimaient pas les choses spirituelles, préféraient les activités physiques. Les randonnées imposées chaque année en Savoie, région de naissance du « duc d'Anjou », étaient faite sans passion. En digne héritier des Bourbons, les enfants étaient plus intellectuels, mais on ne négligeait pas du corps pour autant.
Cette éducation était si agaçante, si conservatrice qu'on ne pouvait trouver meilleure alliée qu'en la Maison d'Autriche, qui avait la même mentalité. Mais François ne voulait guère de ce mariage, il avait une maîtresse : Claudine de La Queue, une courtisane comme il en existe plein. Quoique cela n'était pas vécu au grand jour, on s'en doutait même fortement :
— Bienvenue dans la famille, Claudine. C'est une famille un peu particulière, mais pas si mal, vous verrez. lui avait spécifié Henri, alors qu'elle sortait du bureau du prétendant, un peu ébouriffée.
Le fait d'être le dernier de la famille arrangeait le jeune homme, qui n'avait pas grand-chose à faire de sa vie. Il avait pus observer que l'arrivée de Mlle de La Queue dans la vie du roi s'était faite peu après le décès du « duc de Penthièvre », père de substitution. Il était libérale, Jeanne était conservatrice. A-t-elle apporté son aide pour monter François contre lui ? On en sait rien, Henri feint de ne pas voir les querelles.
Pauvre François, c'est le plus fragile de la portée et celui qui doit se montrer le plus fort. Il pensait ne plus être sous l'emprise dévorante de quelqu'un en la personne de Penthièvre, mais ce dernier exploitait le manque affectif. « Ce n'est plus Madame Jeanne qui commande à présent : c'est moi ! » avait-il osé dire à ses proches, en plaisantant. Cela aura hâté son renvoi. Jeanne verrait mieux le deuxième et dernier de ses fils comme l'héritier de la Maison de Bourbon ; Henri le sait comme tout le monde.
Mais l'idée ne l'enchante guère : cette femme abusive est à tuer, dans le dos. La raison qui poussa Jeanne à préférer son deuxième fils au premier, est que Henri fut diagnostiqué de quatre ans précoce, mais il est aussi alexythimique : il ne sait pas comment interpréter ni verbaliser ses émotions, d'où son laconisme.
Assis dans l'herbe du jardin du Luxembourg, Henri discutait avec sa promise qui savait exprimer ses sentiments :
— J'espère que nous formerons un beau couple ; j'ai hâte d'être « Madame, duchesse d'Anjou » ! Et nous avons déjà la religion en majeur ensembles : c'est la seule chose que nous réussissons à comprendre ici bas. Il est seulement dommage que tu préfères l'Histoire aux relations internationales. Je suis sûre que tu finira par rencontrer et aimer quelqu'un, puis m'oublier ou m'épouser par convention. termina-t-elle en jouant la tristesse.
Henri, qui s'était couché entre temps, se releva de moitié avant de lui dire tendrement en la pressant contre lui : « Oh, Mathilde, je n'aime que vous.
C'était faux, il n'aimait personne, que ce soit un homme ou une femme.
— Nous ne nous aimons pas parce que nous avons des sentiments mutuels, mais parce que nous sommes intelligents et que nous avons un caractère sage. avait répondu Mathilde. Nous avons su nous apprécier depuis la petite enfance : n'avons nous-pas fait notre scolarité ensembles, selon la volonté de ta mère ?
— Ma mère me vendrait selon Caroline, qui pense qu'elle nous voit comme une monnaie d'échange. On est avec Jeanne de Tour et Taxis, ou contre elle : il n'y a pas d'alternatives. lui avait répondu Henri, durant ce même échange. Mais nous en parlerons plus longuement à Harvard : je pense que je dois être heureux de t'avoir avec moi. « Madame royale » doit nous accompagner : maman veut que nous soyons sous bonne garde aux États-Unis. Comme quoi, elle n'est pas si méchante ! ironisa-t-il.
Un petit sourire malicieux s'afficha sur le visage de Mathilde, qui posa une couronne de fleurs sur la tête de Monsieur.