RIO KLAUSEN ► Matthew Noszka

Trois lettres. Les trois seules choses avec lesquelles ce petit ange, tout juste né, partira dans cette aventure qu'est vie. Trois lettres qui représentent tout un héritage. Un héritage bien mystérieux, légué par des parents qui n'en sont déjà plus. Des parents devenus inconnus la seconde où la fraîche lumière du Soleil d'Islande frôle le visage du nouveau-né. Abandonné, pour quelles raisons ? De nouveau un mystère. Nul ne sait qui ils sont, nul ne sait où ils vivent, nul ne sait pourquoi ce prénom, nul ne sait ce qui les a poussés à n'offrir que de la solitude à leur enfant. L'existence de ce dernier est une énigme en elle-même. Relayé dans un orphelinat de la ville de Reykjavik, il se familiarisera bien malgré lui avec ce sentiment de solitude. Un sentiment qui le poursuit, mais un sentiment qui ne lui déplaît pas totalement. Après tout, que pouvait-il connaître de l'amour ? Connaître la solitude avant l'amour, une manière bien anarchique d'aborder la vie. Une vie déjà désordonnée, mais au moins trois lettres pour se réconforter. Bienvenue sur Terre, Rio.

Les jours se bousculent, les semaines se bataillent, une année tombe, puis une deuxième. Rio vivait peu de choses, mais était encore bien jeune pour le savoir. Il était loin d'être condamné. On pouvait même trouver une forme de chance à son destin. Une chance associée à ce jeune couple. Elle était d'une douceur, lui était d'une bienveillance. Il était stérile, aussi. Venu tout droit du Danemark, ce couple avait déjà posé les yeux sur Rio il y a plusieurs mois. Ce petit blondinet, innocent et un peu confus par la vie qu'il menait allait découvrir bien des émotions en dehors des murs de cet orphelinat, en dehors des frontières de ce pays. Il s'envole, loin de son Islande et de son statut d'orphelin, aux bras d'un couple de jeunes mariés danois qu'il pourra désormais appeler papa et maman. C'est Odense, plus de cent kilomètres à l'ouest de Copenhague, qui deviendra le sanctuaire des souvenirs d'enfance de Rio. Une enfance de rires, de bonheur et d'amour. Il était miraculé par des parents adoptifs exceptionnels. Rien d'autre que du positif n'a découlé des rapports de cette petite famille. L'histoire pourrait s'arrêter là, sur un conte de fées presque irréel. Mais il est là le mot-clé : irréel. Rio devient adolescent et se retrouve rattrapé par des émotions qu'il n'a même pas eu le temps de fuir.

Un cœur serré, des larmes de panique, de la souffrance, de la confusion. Que pouvait-il connaître de tout ça ? Et pourtant, le voilà flottant au milieu d'une cascade obscure, âgé d'à peine seize ans, cherchant tant bien que mal à garder la tête hors de cette eau nocive. Un regard dans le miroir, un déclic et d'un seul coup une nouvelle part de conscience s'ouvre à lui. Une conscience enfouie au fond d'un océan de souvenirs qui a finalement atteint la surface. Un air d'Islande s'en dégage. Qui était-il ? D'où venait-il ? Pourquoi était-il né sous X ? N'était-il pas assez bien ? Ce genre d'interrogations, cette nouvelle part de conscience en était avide. Et Rio en était captif. Cette confusion se diffusait sur chaque aspect de son identité. Rio ne savait plus non plus qui il était, sexuellement. Il a accusé cette cascade obscure de mettre le bordel dans sa tête à ce niveau-là aussi, fuyant déjà le peu qui pourrait être clair. Le sourire se dissipe peu à peu, les fondations de son bonheur s'effrite, les murs colorés de la ville se ternisse, plus rien n'a de sens. "Un sentiment qui ne lui déplaît pas totalement", il avait fait de la solitude sa propre cage. C'était à lui seul de mener sa bataille contre l'obscurité. Le basketball, l'une de ses plus grandes passions, était sa dernière arme à résister contre elle. Sa dernière lueur. Lorsque celle-ci a fini par céder à son tour, il ne songeait qu'à oublier. Oublier ses maux, oublier ses souvenirs et oublier sa conscience. Cela a commencé par des flasques, puis les bouteilles se faisaient de plus en plus volumineuses, de plus en plus nombreuses, de plus en plus difficiles à dissimuler. Des jours, des semaines, jusqu'à ce que ses parents ne puissent plus l'ignorer. Retrouvé en début de soirée, sur son lit, assommé par l'alcool, il avait atteint son ambition initiale : oublier.

Cet épisode était intense, mais furtif. L'amour et la positivité qui l'entourait étaient bien plus forts qu'il ne l'aurait imaginé. Un lavage d'estomac plus tard, on se relève et on avance. Si cette obscurité avait réussi à l'éloigner de ce qu'il était, il ne l'avait pas totalement oublié. Plusieurs mois de batailles, et Rio gagne finalement la guerre contre cette cascade obscure. Elle a laissé quelques traces, il le sait et l'accepte. Il n'abordera plus l'alcool de la même manière, il contrôlera plus difficilement ses émotions, mais étrangement, il reste serein. Il sait que peu importe ce que la vie lui fait passer comme épreuves, il ne perdra plus de vue qui il est réellement. Il est ce petit garçon d'Islande, avec pour seul héritage ses trois lettres. Rio.