QUINN BULGER ► alycia debnam-carey

Bowie. Un prénom, une consonance doucereuse, respirant presque la familiarité, la confiance. Alors qu’il n’en est rien. C’est dans cette école primaire, cette énième école, qu'une petite gamine, allure de garçon manqué, cheveux courts, cargo, tee-shirt trop grand pour sa taille, sept ans, gagna ce surnom alors qu’elle mit à genoux un camarade un tantinet trop curieux, le força d’un couteau, habilement volé à son père le matin-même, à la gorge à s’incliner. Quinn, qu'elle s'appelait. Elle avait intrigué ses camarades, qui l'avait pris pour un garçon quand elle débarqua ce jour-là dans cette nouvelle école. Ils l'avaient taquiné, poussé, questionné et forcé à se déshabiller pour savoir si c'était une fille ou un garçon. Curieux, beaucoup trop curieux en plus d'être malsains. Quinn n'avait pas apprécié leur comportement, leur accueil, et elle leur fit bien comprendre. Peu importe si c'était une fille, ou un garçon, elle l'avait habilement manié ce couteau et les avait malignement fait se plier à elle en moins de temps qu'il ne le faut. To bow.  Bowie. C'était le sobriquet malignement trouvé par son géniteur suite à cette histoire, exaltée par ces premiers signes de dominance de la petite fille. Sobriquet trompeur, vous laissant à penser qu’elle est celui qui fléchira devant l’ennemi quand il en est tout autre. Sobriquet qu’elle adopta instantanément. Quinn était réservée au cocon familial, Bowie forcée au cercle extérieur. Fille ou garçon, Quinn et son frère jumeau, Devon étaient les premiers de la famille, les premiers à hériter du business, les premiers que leurs parents avaient éduqué pour le gang. Et Quinn, en bonne petite fille qu'elle était, écoutait, s'informait, succombait. Dix ans qu'elle avait la petite Bowie lorsqu’elle se passionna totalement par les manigances de son paternel. Ces paris, ces trocs, ces nombres à six chiffres  suivis d’un signe dollar, négligemment calligraphiés devant ses yeux ronds émerveillés furent le début de sa chute. Ou de son ascension selon le point de vue adopté. Tandis que son frère jumeau préférait user de ses poings pour communiquer, Bowie, étrangement calme, était l’ombre de son père, on ne peut plus fière, silencieuse et observatrice, fascinée. L’école perdit tout intérêt pour la petite Bulger, seules les vraies leçons aux côtés du père n’avaient que d’importance. Là, elle se forgea l’esprit dur et insensible qu’elle avait continué de perfectionner aujourd’hui. Insensible à la moral, à  la violence, aux hommes. Surtout aux hommes qui n'avaient cessé, depuis son enfance, à la rabaisser, la ranger du côté des 'femmes', de celles qui restent à la maison pour s'occuper des petits bambins ou de celles qui n'avaient que d'utilité à charmer les ennemis pour que les 'vrais' hommes s'en occupent par la suite. Comme sa soeur. Ils avaient ardemment insisté pour qu'elle fasse parti d'une de ces deux catégories oui, lui répétaient sans cesse 'pourquoi est-ce que tu fais pas comme ta petite soeur et suis les ordres ?' mais elle n'était pas faite pour suivre des ordres Quinn, ou plutôt Bowie. Elle était faite pour les donner, ordonner, dominer. Elle s'imposa Quinn, poussée et soutenue par son jumeau, elle voulait commander, reprendre le rôle du chef. Femme ou pas, elle était faite pour ça, toute sa vie n'a mené qu'à un seul but  : celui-ci. Elle prendra en charge, qu'ils le veuillent ou non, le gang de son père, de sa famille et personne ne pourra le lui en empêcher. Personne.


« Hey Pat, comment tu vas aujourd’hui mon grand ? »  Sourire en coin, faussement mielleux, sorti de contexte, on pouvait se méprendre avec des retrouvailles entre deux bons vieux amis, alliés. Et c’en était le cas, en partie. Si ce n’était la présence imposante des hommes de mains à ses côtés, dans cette pièce sans fenêtres, sans lumière et que ce bon vieux ami était ligoté de la tête aux pieds à la seule chaise présente. « Oui, je suis d’accord avec toi, y’a mieux comme accueil.. » Joueuse, cynique, Bowie s’avança vers son invité du jour, se penchant en avant, toujours ce sourire en coin collé aux coins des lèvres. Seules ses prunelles trahissaient son état d’âme; ces prunelles qui pétillaient de rage, de fureur. A contrario, le regard de Pat, lui, brillait de crainte. Animé par l’instinct de survie, il lâcha quelques petits gémissements, laissa percevoir quelques gouttes de sueur dû à la peur s’écouler. Les coins de lèvres de Bowie s’élargirent davantage. « Dis-moi buddy, est-ce que j’ai besoin de t’expliquer la raison de notre petite.. réunion ? »  Même son ton trop paisible ne reflétait pas le courroux qui l’animait, le bouillonnement qui la prenait aux tripes. Pour ne pas en rajouter, le Pat s’agita de plus en plus au lieu de rentrer dans cette agréable conversation qu’ils menaient tous deux. Ok, le bandage qui entourait sa bouche l’empêchait sans doute de sortir d’autres bruits plus compréhensibles que ses minables gémissements mais il pouvait toujours acquiescer ou nier d’un geste de la tête, non ? Allez Pat, fais plaisir à ta chère Bowie, sois clément et elle sera. Peut-être. « Oui ? Non ? Tu donnes ta langue au chat ? »  Elle poussait le jeu, inclina la tête avant d’afficher une moue faussement déçue. « Okaaay, je t’aide un peu… tu te souviens quand ma petite soeur t’a vu avec ce beau monsieur il y a deux semaines ? Comment tu l’appelles déjà ? Hm.. Carter ? Agent Carter du FBI, c’est ça ? »  Comédie, comédie. Bowie était une vraie dramaturge, aimait ajouter une pointe théâtrale quand l’occasion lui était présentée. « Puis après, la semaine dernière, mon frère t’a rendu une jolie visite de courtoisie pour un premier avertissement, si je me souviens bien ? T’en as gardé de petites cicatrices d’ailleurs, Gotham n’a pas été très clément, non ? »  Une entaille encore assez fraîche traversait en effet le visage de Pat, entaille sur laquelle Bowie attarda son regard, fière de son frérot chéri. Quoi qu’elle exigeait de ce dernier, il accomplissait toujours son travail comme il le devait. Tout comme sa petite soeur d’ailleurs. Faut croire que les membres de la famille, de sa famille, étaient les seuls dignes de confiance et de fidélité. Elle ne pouvait pas clairement en dire de son ‘ami’ devant lui, dont la respiration s’accélérait, encore plus effrayé. Cette frayeur qui nourrissait et motivait Bowie, mais qui alimentait aussi sa rage, étant signe d’aveux. Elle en perdit son sourire le Bowie, son visage s’assombrit et se durcit en moins de temps qu’il ne fallait. « Dis-moi Pat, c’est mon frère qui n’a pas été assez clair avec toi ou t’es juste l’incarnation de la stupidité ? »  Un haussement d’épaules loin d’être nonchalant, la mâchoire serrée, Bowie cracha presque sa question au visage du papa de famille, de son ex allié, du traître. Ses gémissements se firent plus insistants, il se débattit avec force au point d’en bouger les pieds de la chaise, et Bowie leva les yeux au ciel, ahurie par tant de bêtises. « Merci de répondre enfin à une de mes questions, j’apprécie Pat ! » La stupidité donc. Un dernier regard sur lui puis Bowie lui cracha littéralement au visage avant de se relever, faire deux pas en arrière. Et en un claquement de doigts, les deux autres hommes présents dans la pièce s’avancèrent à sa place, englobèrent Pat qui ne sera plus d’ici une trentaine de minutes - vingt s’il continuait avec ses gémissements pénibles. Bowie se retira tout aussi tôt de la pièce, plus bouillonnante qu’à son entrée dans la pièce. La trahison n’était pas une chose qu’elle prenait à la légère. Lorsqu’on intégrait ce gang, la fidélité et la dévotion étaient de mises, et les conséquences des incapables n’avaient jamais été dissimulés. Si les idiots de service persistaient à croire qu’ils pourraient dissoudre son gang, sa famille aussi futilement, ils méritaient leur sort, le monde était déjà assez peuplé d’abrutis, Bowie se ferait un plaisir de s’en débarrasser.


Stark, Grimm, Honey, Bowie c'était fini. Dorénavant il n'y avait plus que Devon, Connor, Izzy et Quinn. Tout simplement Quinn. C'était dur. Presque insurmontable pour l'aînée qui ne vivait qu'à travers ce gang, n'envisageait sa vie, son futur qu'avec ce dernier, aux côtés de ces hommes de main, douteux et violents mais qui représentaient sa famille. Famille qu'elle avait aujourd'hui perdu. Il ne restait plus que sa 'vraie' famille, celle qui partageait son sang. Et quand bien même ça devrait suffire, Quinn en avait souffert. Elle s'était éloignée, avait mis les voiles à l'autre bout du monde, sans nouvelles, sans prévenir pour évacuer, survivre, crier, pleurer. Puis était revenue. Comme si de rien n'était. Elle s'était forcée à faire comme si de rien n'était puisque tout le monde semblait agir ainsi, tout le monde semblait être passé à autre chose. Elle ferait comme eux. Du moins elle essaierait. Mais elle n'est pas naïve, elle n'est pas dupe, elle n'est pas stupide, elle savait que rien ne pourrait être 'normal', Quinn. Quand bien même ils étaient chanceux de s'en être sorti indemnes du gang, elle savait que ça ne durerait pas, comme son faux semblant. Elle savait que se construire une vie paisible en dehors du gang, volontairement ou non, était utopique, et elle savait qu'elle ne voulait pas construire cette vie-là, sans se venger. Elle ne pouvait pas, incapable d'oublier. Sauf qu'elle ne pouvait pas se permettre de partager ça à ses frères et soeur, ne voulait pas, eux qui la pensaient.. épanouie sans le gang. Elle donnait l'impression d'être épanouie. Faux semblant, faux sourires, faux rires. Toujours aussi douée pour tromper les autres Quinn. La meilleure. Et tant qu'elle n'aura pas eu sa vengeance, elle continuera ses faux semblants. Si auparavant elle ne vivait que pour le gang et avait, pendant un certain temps, perdu un sens à sa vie, aujourd'hui, elle en avait retrouvé un : la vengeance. S'ils pensaient qu'ils pouvaient évincer les Bulgers, la famille au pouvoir, de leur propre trône sans représailles, ils se trompaient. Lourdement. Quinn n'était pas qu'une femme, une simple femme, elle était une fille, une soeur, une chef qui ne souhait prouver qu'une seule chose : on ne se frotte pas aux Bulgers, sans conséquences. Hell no.