Damned If I Do Ya (Damned If I Don't) ♦ Edmée

Edmée aurait bien dormi un coup. Elle savait que ne pas prendre de café ce midi avait été une erreur. Une terrible erreur qu'elle regrettait déjà. Parce que le désavantage d'être professeur, c'était qu'on ne pouvait pas s'endormir en cours, ou bien somnoler. Non, il fallait être attentif, à l'affût du moindre élève qui ferait du bruit pour lui lancer une craie (ou du moins le rappeler à l'ordre)(mais le lancer de craie lui plaisait plus dans l'idée).
Ceci dit, elle parvenait assez brillamment à cacher son envie de rentrer chez elle pour aller piquer un petit somme, puisque tous ses élèves étaient attentif à ce qu'elle disait. Bon, il y en avait bien quelques uns qui dessinaient, mais personne pour déranger le cours, donc tout allait bien. Et puis elle savait parfaitement que pour certains c'était un moyen comme un autre de se canaliser et de mieux travailler. Allez, on va y croire hein.

La fin du cours arriva finalement, au grand soulagement d'Edmée qui signala à ses étudiants qu'ils pouvaient quitter l'amphithéâtre. Tous se précipitèrent vers la sortie. Bon vent. Se dirigeant vers le bureau situé sur le côté de l'estrade, elle attrapa sa bouteille d'eau et en bu quelques gorgées tranquillement. Après quoi elle commença à rassembler ses affaires. Elle reforma ses feuilles en un paquet compacte qu'elle rangea dans sa pochette, qui elle-même vint trouver sa place dans sa sacoche et... Tiens ?
Relevant les yeux, son regard rencontra celui d'un élève qu'elle avait déjà repéré à plusieurs reprise. C'est le genre d'élève attentif, qui est incapable de se tenir droit, et qui ne prend jamais la parole en classe. Et qu'elle aurait bien tapé dans le dos pour le forcer à se redresser. Question d'attention. On réfléchissait mieux le dos droit.

Il se tenait donc devant elle, et alors qu'elle croisait son regard, il sembla se mettre soudainement sur la position « on » puisqu'il parla enfin. Heureusement qu'elle ne l'avait pas remarqué plus tôt, parce que sinon elle l'aurait trouvé flippant à la fixer sans rien dire.

« Bien sûr, je vous écoute. »

Bawi, elle vouvoie ses élèves. Faut dire, ils doivent avoir quoi dans cette promotion ? Quatre à six ans de moins qu'elle ? Ce n'était rien au final. Mais en tout cas ça semble suffisant pour le rendre muet, alors qu'elle attend qu'il parle. Elle haussa un sourcil en voyant qu'il ne semblait pas se décider. Bah alors ? Il était devenu muet ? C'est pas que ça dérangeait Edmée en soi, mais elle aurait bien aimé pouvoir avancer un peu, sortir de la salle, ce genre de choses. Elle patiente un peu, puis elle fait un sourire compatissant à son élève. Il était mignon à buguer comme ça...

« Je propose que nous commencions à sortir, le temps que vous retrouviez votre question. »

Elle ferme son sac et en saisit la poignée, le soulevant sans mal. Elle passa sa veste par dessus son bras et commença à avancer.

Edmée avait commencé à avancer en direction de la sortie. Elle ne voulait pas trop rester dans la salle pour le moment, ne serait-ce que parce que la machine à café l'appelait très fortement. Gnih... Ne pas dormir... Gnih... Bref. Il y avait aussi le fait qu'aujourd'hui un agent était là pour surveiller et s'assurer que rien d'étrange ne se passait autour d'elle. Pourtant en tant que professeur, elle voyait tous les jours des choses étranges se produire. Par exemple dans les couloirs, quand des rouleaux de papier toilette se retrouvaient mystérieusement suspendus aux lustres. Sans doute à cause d'une soirée la veille. Mais ça... Du coup, elle ne voulait pas éveiller l'attention sur lui en restant dans la salle alors qu'il y était aussi. Soit on aurait cru à une relation entre la jeune professeure et un élève, soit à un harcèlement de ce dernier.

Elle avançait donc dans les couloirs et se dirigeait sans trop d'hésitation, suivie par le jeune homme qui avait finalement retrouvé sa question. Elle leva les yeux au ciel, retenant un « C'est pas trop tôt » qui la démangeait, et écouta ce qu'il avait à dire attentivement. En tant que professeure, elle se devait de répondre au mieux aux attentes des élèves, tout en acceptant le fait qu'elle n'avait pas non plus la science infuse. Et d'ailleurs, pour le coup, elle aurait à admettre que ce n'était pas le cas.

« Voilà une question très pertinente, monsieur... ? » Il compléta la fin de sa phrase de la façon dont il s'appelait, et elle reprit avec un sourire. « Seth. » Elle se pinça la lèvre inférieure pour ne pas rire. Elle se savait intimidante, mais là... Là c'était fort quand même. Bon, allez, on reste calme, tout ça.

« C'est vrai que les classifications dans le domaine musical ont tendance à se montrer particulièrement rigide. Et ça a toujours été le cas. Faire des mélanges n'a jamais été très bien vu, bien que ça puisse être particulièrement apprécié du grand public. » Elle réfléchit un instant. « Après à mon sens, de nos jours l'univers musical se montre plus laxiste, les influences sont plus diverses. Mais c'est vrai que certaines langues sont plus propices à certains genre musicaux. Et d'ailleurs on le retrouve même dans les noms de ceux-ci, à travers la classification.
« Mais ça reste difficile à dire. L'industrie musicale a beaucoup changé les règles sans vraiment y toucher. La mondialisation aussi. A l'heure actuelle on ne peut plus vraiment se sectoriser et s'enfermer dans des barrières linguistiques. Plus autant qu'avant. »

Ils arrivèrent enfin devant une des machines à café. Youhou, le Graal, enfin ! Edmée s'en approcha, s'apprêta à sortir son porte-feuille, leva les yeux sur la machine et... Constata avec effroi le « Out of Order » affiché dessus.

Out of order... Pourquoi fallait-il que ça lui arrive à elle, hein ? Elle avait fait quoi à la terre pour que ça tombe aujourd'hui, à cette heure précise, et que, que, que... Qu'elle ne puisse pas avoir son fichu café ?! Sérieusement ?! Elle avait presque envie de s'effondrer en pleurant devant la machine et de hurler à l'injustice. Ou bien de s'énerver et de frapper la pauvre machine en l'insultant. Mais elle se serait fait mal à tous les coups, donc autant éviter. Elle ne pensa pas un seul instant qu'il puisse s'agir d'une blague ou quoi. Non, elle était trop obnubilée par l'idée d'avoir son café. Et elle avait envie de bouffer ce fichu papier et de courir aller en chercher un. Mais non. Elle restait calme, et parfaitement neutre. Bien que la déception restait visible sur son visage. Et elle se voyait mal aller en chercher un jusqu'à la cafétéria. Elle devrait en faire part à son élève, et elle passerait pour une accro au café. Ce qu'elle était quand elle était fatiguée, mais ça... Ah, terrible dilemme.
Et puis la providence vint finalement la toucher. Car son merveilleux élève ici présent lui proposa d'aller boire un café. Oh oui, quelle merveilleuse idée. Elle lui sauterait presque au cou.

Elle se tourne vers lui, le regard soudainement plus brillant sans doute. Conservant un calme apparent, alors qu'elle avait envie de bondir de joie en tournant en rond autour de Seth, en jetant des fleurs et en chantant une ôde au café, elle se contenta de faire un un peu trop large sourire au jeune homme.

« Hé bien... Si vous n'avez pas cours et que ça ne vous dérange pas... Je serais ravie d'aller prendre un café. Et puis ainsi, vous pourrez me poser d'autres questions, si vous le souhaitez. » Des questions de cours, évidemment. Ce n'était pas un rendez-vous, ni rien, c'était simplement une pauvre jeune femme en détresse qui acceptait la proposition de son sauveur, lui permettant de tremper ses lèvres dans un café sans avoir à attendre d'être rentrée.

Se mettant à nouveau en marche, elle resta un instant silencieuse, avant de se dire que faire la conversation pourrait être une bonne idée, éventuellement. « Alors, vous êtes engagés dans quelles études, Seth ? Plutôt artistique ou c'est simplement afin de parfaire votre culture que vous suivez mon cours ? » Beaucoup d'élèves le suivaient parce qu'ils n'avaient pas le choix d'avoir un module complémentaire, pour leur permettre tout de même une certaine diversification dans leurs domaines.

En soi, Edmée n'avait rien contre le silence. Mais ce n'était pas non plus super agréable à ses yeux Surtout quand c'était avec quelqu'un qu'elle ne connaissait pas forcément très bien. Non parce qu'elle se souvenait très bien de longs moments silencieux passés en compagnie de Siothrùn, assis sur le canapé à contempler la cheminée. Ce genre d'instant particulièrement agréable où elle pouvait se blottir contre lui. Et même si c'était révolu désormais, elle n'en gardait pas moins un excellent souvenir.
Elle prit la direction de la sortie de l'université, préférant éviter d'être vue dans l'enceinte de celui-ci en train de prendre un café avec un élève. Oh bien sûr, elle savait que ça ne voulait rien dire, mais sans doute risquait-il d'avoir des ennuis auprès de ses camarades et d'être considéré comme un lèche-botte, et il ne devait pas avoir besoin de ça. Et elle, elle préférait sortir un peu des murs de l'établissement. Surtout qu'elle aurait toujours l'agent pour la suivre, donc pour le coup elle pouvait bien se le permettre. Et ce malgré le fait qu'elle avait reçu de nombreux conseils lui disant qu'il valait mieux qu'elle reste à l'abri, et ce genre de choses. Bah... Peu importe. Advienne que pourra, tout ça.

Seth répondit donc à sa question. Un double cursus. Voilà qui était courageux de sa part. Il devait vraiment en vouloir pour faire ça. Et sans doute avoir une idée plutôt précise de son avenir. C'était une bonne chose. La plupart des personnes à Harvard étaient des fils à papa qui se retrouvaient là pour suivre la même voie que ses parents. Et ils n'étaient pas franchement agréable d'enseigner à des personnes comme ça, qui s'en fichaient de ce que les professeurs disaient, et qui profitaient du fait que, leurs parents ayant payés, ils étaient pratiquement sûrs de finir diplômés. « La culture général n'est de toute façon jamais à négliger. Elle peut se révéler être un précieux atout. Mais souvent une fois que les gens se spécialisent, ils l'oublient. C'est dommage. » Il fallait toujours s'ouvrir à tous les horizons possibles, ce que la plupart des gens avaient tendance à oublier.

« Et ce n'est pas difficile ici de trouver des élèves qui sont là sans vraie raison. Car bien qu'harvard reste une excellente université, la plupart des professeurs considèrent qu'ils ont une sorte de devoir envers les élèves. Comme ceux-ci payent leurs études au prix d'or, ils leurs devraient des bonnes notes en quelque sorte. Du coup, n'importe qui qui peut payer peut venir et avoir son diplôme. A parir de là, le nombre de personnes sérieuses diminuent considérablement. »

C'était triste à dire, mais c'était vraiment le cas. Au final, seuls les têtes de listes pouvaient être considérées comme méritantes de leurs diplôme une fois sortis de l'université.

« Mais je ne devrais peut-être pas dire ça à un élève. » Elle fit un sourire à Seth. Bah, maintenant qu'ils avaient franchis la grille de Harvard, elle le pouvait bien. Une fois sortis de là, elle n'était plus son professeur, mais son égale. Ils n'avaient jamais que quelques années de différence après tout.