J'ai chuchoté si fort qu'tu m'as entendu. -- Esper.

Dormir. Cela devient une idée fixe. Je prends mes comprimés, parfois plus qu'il n'en faut. La morphine surtout. Je souffre, mais réellement, je ne sais pas si c'est à cause de mon bras ou de mes angoisses nouvelles. Et anciennes. En plus de ma claustrophobie, me voici presque agoraphobe. J'ai du mal à sortir de chez moi, j'ai peur dès que j'entends un bruit étrangement sourd. Un coup de vent me fait sursauter. Mais Jasper est là. Même si je lui en veux terriblement de m'avoir demandé de venir au discours du maire. Les immeubles glissent devant les vitres teintées, devant mes yeux vides d'émotions. Je repense à l'attaque, à nos corps propulsés en arrière. Et à tout ce sang. Le corps mort sur le mien, ce poids mort, les hurlements, la douleur. Cligne des cils, trop fermement. Oublier. Rien ne m'y aide. Les cauchemars sont là, malgré les somnifères. Je ne dors que pour me réveiller en sueur par la suite, et regarder ce plâtre affreux. Plus de musique, plus de piano, plus de violon. Tout ce qui m'aide à avancer en ce moment, disparaît d'une déflagration qui ne nous visait pas. Arrêt sur image. Nous sommes rendus Mademoiselle Bezos. Oui, j'avais compris. Je ne l'aime pas ce chauffeur, j'ai l'impression de récupérer le chaperon que j'avais quand j'étais plus jeune. J'ouvre la portière en ronchonnant, avant qu'il n'arrive pour le faire, et attrape mon sac. Un grand sac. Jasper va sûrement se demander pourquoi j'ai un énorme sac pour venir qu'une seule nuit chez lui. Les essentiels de filles, trop de vêtements pour avoir -trop- de choix, du maquillage pour cachet ma cicatrice avant qu'il ne puisse la voir, et tout mon matériel de diabétique. Je sonne à l'adresse indiquée. « C'est l'infirmière ! » Et s'il m'avait donné l'adresse d'un autre professeur ? Parce qu'il serait vraiment capable de me faire un coup pareil. Je commence à douter, sonne une nouvelle fois. « Ellington ! Viens m'ouvrir ! » Je commence à me sentir mal. Trépigne sur le pas de la porte. Et s'il avait réouvert la plaie ? Et si j'étais chez un autre professeur ? Le stress monte, malgré moi. Je jette un coup d’œil derrière moi, replace le plâtre sur l'écharpe d'agacement. Je me sens vulnérable Jasper, c'est ce que tu veux voir ? La poitrine se gonfle trop rapidement. L'air me manque. Les secondes me paraissent des heures.

@Jasper O. Ellington J'suis nulle en ouverture :/

Ca l'amusait. De te voir courir, pester, le confronter de ton regard d'effrontée, te plaindre puis te soumettre ; ça l'amusait réellement. Et, là, tout d'un coup, c'est plus drôle. Quand ses cheveux blonds se teintent du sang d'un autre, quand ta propre peau se perfore, quand pour ton plaisir personnel, son intégrité souffre, ça t'amuse plus. Ca t'laisse même un goût acide, au fonds de la gorge. T'y penses un peu trop souvent. Je crois qu'on appelle ça la culpabilité. T'as même mis du temps à prendre de ses nouvelles, parce que t'avais peur de te prendre en pleine gueule sa haine. Ouais, peur. Il a jamais peur Jasper, ou, rarement. Mais, là, il était plus serein l'intello, il savait plus vraiment comment conjuguer les excuses, parce que ça lui arrache la gueule d'en faire. Parce qu'il y est pour rien, si la Haine s'est invitée à la fête. Sauf que la présence de l'étudiante, Ellington, c'est de ta faute, et tu le sais. Alors t'essayes, tu répares, tu l'invites, tu t'imposes encore. T'as pas compris la leçon, tu recommences. Toujours les mêmes erreurs, c'est ça Jasper, c'est toujours la même chose, c'est faire mal, mettre un pansement, puis le retirer, et rouvrir la plaie. Tu mets même du temps à ouvrir la porte, parce que tu galères à changer ton bandage, que t'es censé demander à une infirmière, mais que gros malin, tu t'estimes capable de le faire. Y a que Beth qui peut te soigner, que tu tolères.. et pas de bol, elle est dans le coma, Beth. Abandonne en cours de route, s'y attellera après. Recouvre la peau d'un pull ample, délaisse la chemise du prof sur une chaise. « Comme ça tout le voisinage sait que j'ai une infirmière perso ! » Qu'il scande en ouvrant la porte, l'air exagérément exaspéré. Se décale pour la laisser rentrer dans l'antre de l'Ambitieux. Y a trop de livres, plusieurs ordinateurs, ses deux trophées qui s'baladent sur la cheminée du trop grand appartement pour un seul homme. Un seul homme et un chat, qui  doit se cacher quelque-part. « T'as vraiment une sale gueule. » Et j'regarde même pas ton plâtre. Y a écrit partout sur tes traits, ce que tu as vécu. Que ça te hante, que ça t'habites, ça s'est insinué sous ta peau. La frêle passe le pas de la porte, et il attrape son sac. Trop grand, trop lourd. C'est facile, et il orne d'avance ses lèvres d'un sourire railleur : « T'as déjà prévu que t'arriverais plus à me quitter après une nuit ensemble ? » Si on oublie que son boulot d'une nuit, c'est d'être le roi de Morphée, de veiller à ce qu'elle dorme enfin, et tenir éloigné les cauchemars. Il la regarde. Il devrait s'excuser, encore. Il y arrive pas, ça reste bloqué derrière ses lèvres. C'est plus facile à écrire, qu'à dire. Tout c'qu'il arrive à sortir, c'est un : « T'as mangé ?» Allez, profite Esmée, il arrive même pas à cacher qu'il a « coupable » gravé sur le front, que c'est toi qui domine, pour une fois.

@esmeralda bezos Mais non c'est parfait  

La respiration accélérée, je sens pourtant que je n'arrive plus à remplir mes poumons de la meilleure façon qui soit. La porte s'ouvre, alors qu'il râle faussement. Je commence à te connaître Ellington. Le souffle reprend un rythme plus naturel, plus serein. Je m'engouffre dans l'appartement, soulagée de me retrouver enfermée avec lui. Cette sensation étrange, entre ma colère et cette envie de sécurité. Comme s'il avait pu me sauver lors du discours du maire alors que ce n'est pas le cas. Rien ne le pouvait. Et je revois ce corps sur le mien. Le souvenir se coupe avec sa voix. « Je te retourne le compliment. » Parce que toi aussi, même si tu veux le cacher, tu vis la même chose. Peut-être pas tout à fait les même angoisses, peut-être n'as tu pas peur la nuit, peut-être ne ressens tu pas encore le goût du liquide vital de cet homme dans ta bouche. Mais t'es le même. Il attrape mon sac, étonnamment lourd pour une seule nuit. Je le sais déjà, à ton air et ton petit sourire en coin que tu vas me faire la réflexion, la même qui suit d'ailleurs. « Tellement prévisible. » Tu sais ce que tu dois faire ce soir, être le gardien du sommeil de mes nuits. « Si tu réussis ta mission de ce soir, je passerai peut-être la prochaine nuit ici aussi. Tu finiras par en avoir marre de moi Jasper. » Et ça finirait par jaser sur Harvard. Le corps se tourne vers ce verbe que je ne reconnais plus, comme une fichue maladie d'Alzheimer infiltrée en moi. Je ne veux pas parler de mes malheurs, il sait déjà bien trop de chose. La main glisse sur la base de ma gorge où est dissimulée la cicatrise de mes malheurs d'antan. Alors je ne trouve qu'une solution : mentir. « J'ai mangé oui, mais je veux bien un thé si tu as ça dans ta garçonnière. » Et j'observe ce que je vois de l'appartement. Ce n'est pas que c'est mal rangé, mais c'est plutôt chargé, en livres. Et les ordinateurs ne cachent pas sa passion. Je me mords la lèvre en sachant qu'il a du regardé ma « vidéo » sur l'un de ces écrans. La honte. Je le suis vers la cuisine. « Alors, comment comptes tu t'y prendre avec Morphée ? »

@Jasper O. Ellington

Le principal traumatisme de l'homme, se trouve entre tes paumes Esmée. T'as même pas conscience d'avoir ce pouvoir, d'avoir causé ça dans la carcasse adverse. Jasper, il détruit, et après il essaye de réparer. Sauf que là, il a l'impression que toutes ses tentatives sont vaines, il sent que ses pierres ne sont pas assez nombreuses pour combler les failles de ta peau, de ton esprit. Alors, ouais, il essaye, il propose de négocier avec Morphée. Il propose ses bras, son toit, son lit, il se met à genou, et tends son épaule, pour que t'y appuies de toutes tes forces. Pourtant, les siennes manquent. Le corps se remet à peine, il se bat contre les coutures, il ne veut pas cicatriser. Il refuse la guérison, il refuse d'oublier. Il veut que l'homme se rappelle, à chaque tâche rouge sur ses chemises, à chaque fois que le vêtement quitte sa peau. Il veut que la caresse soit douloureuse, que les remords empêchent le repos. Ton sac est trop lourd, mais, j'suppose que l'homme peut mettre ça sur le dos du cliché féminin de l'indécise. « Ne me donne pas envie de te réveiller, à peine tes paupières seront fermées. » Qu'il s'amuse, d'un fin sourire aux lèvres. Tu sais que je n'en ferai rien. Tu sais aussi surement que je mens, que je gratterai quelques nuits, si je le pouvais. Cet appartement est incroyablement vide. La compagnie, je la vire quand elle a soupiré, quand le soleil se lève. Toi, je te garderai encore un peu. Je veillerai, jusqu'à ce que tes démons ne reviennent plus. « Un thé ? J'crois que j'dois avoir ça. » Surement, dans le fonds d'un placard. Je consomme que du café, pour entretenir les heures de veille. S'engouffre dans la cuisine, cherche et trouve. Prépare la bouilloire, la tasse, la cuillère, et présente le tout sur le bar. Comme une promesse que je ne renonce pas : « Demain, tu n'échapperas pas aux pancakes. » La princesse Salomée m'avait enseigné cet art ; avec les pâtes, c'est bien la seule chose que je sais faire. « Je comptais te raconter mon dernier cours d'informatique, normalement, tu vas te mettre instantanément à dormir. » S'appuie sur le bar, poussant le thé du bout des doigts, vers l'invitée. Reprends avec ironie : « Ca marche très bien sur mes étudiants. » Je les réveille en peu brutalement, généralement. Faut pas vexer l'ambitieux. Tu veux savoir mon plan, et moi, j'en ai aucun. Tu vas peut-être passer la pire nuit ici. « J'hésite entre te gaver de médocs, ou compter sur le fait de m'incruster dans tes cauchemars en mode héros. » J'effacerai le sang, j'empêcherai les balles, j'en sais rien, je tenterai des trucs.

@esmeralda bezos