S'il faut me définir en quelques mots précis, je crois que je me fonds dans le décor d'un courant d'air ou bien d'un prodige de l'évitement. Deux mois que je ne cherche même pas à donner le change ou la plus petite explication qui soit autour de mon absence et, bien évidemment de mon état de santé. Rares sont ceux étant parvenus au miracle de croiser ma route tandis que je me faisais minuscule, mini-pouce au milieu de ce traitement supposé améliorer les choses. Les faits sont là, implacables : mon corps s'en trouve amaigri, mes traits bien pâles et ce malgré le côté mat de mon grain de peau... faut-il que je sois adorateur de musculation et de course pour entretenir un rien de fibre musculaire. D'un côté fétu de paille, de l'autre en pleine rage de vivre. Un savant mélange à l'origine duquel je n'ai pas hésité une seconde à me rendre en Floride pour la première fois de mon existence afin d'user mes axones et mes doigts sur un site archéologique. La hâte au ventre, l'esprit en ébullition à l'idée d'être présent à l'aube d'une découverte capitale, je ne songe pas une seconde au risque de la croiser, elle. Moïra. Un soutien sans faille et une amie extraordinairement chère à mon cœur, moi le déraciné, l'instable, le fantôme des liens sociaux. Si une impulsion électrique parcourt mon cervelet alors que j'imagine tout ce que je pourrais lui raconter, cette idée s'en trouve relayée quasi aussitôt, tandis que mes iris de saphir se pose sur des dizaines de choses, guidés par une curiosité de gamin un matin de Noël. Je veux tout savoir, tout connaître, tout frôler de mes doigts. Je veux me fondre corps et âme dans ce décor de poussière, sous une chaleur me rappelant quelques étés japonais, perdu dans une bonne centaine de sentiments tous plus puissants les uns que les autres. La seule chose qui flanque un coup de pied dans la fourmilière de ma bulle, c'est le vibrato de mon téléphone, présent dans la poche de mon jean. Bordel de merde ! que je sursaute sans ménagement avant de m'emparer de l'outil que l'on appelle communément smartphone. J'en suis tellement à l'ouest, troublé et perdu que je décroche sans même regarder l'identité de l'appelant, sans quoi je pense que je n'aurais pas décroché. Allô ? La voix féminine qui s'élève aussitôt dans l'appareil, accompagnée par une phrase me ramenant illico presto les pieds sur terre, arrache une expression sérieuse et brutale à mon visage, précédemment peuplé d'une béatitude certaine. Mo ? Deux mois que je n'ai pas prononcé ce surnom. Ce simple fait a un goût bien étrange. Non je ne nie pas. Enfin pas intentionnellement... enfin pas quoi ! Sauf que mes iris d'acier se posent bientôt sur sa silhouette, et je me retrouve comme un con que je suis sans trouver quoi dire. Sans doute ne se rendra-t-elle pas compte de ma faiblesse physique... du moins je l'espère.

On va dire que le jury délibère ! que je réplique sans appuyer sur l'option réflexion de prime abord. Cellulaire toujours contre mon oreille, je ne quitte pas des prunelles la silhouette de Moïra, dont le questionnement doit avoisiner la force d'un tremblement de terre de magnitude 9,5. Une partie de moi rêverait ne pas lui avoir imposé un tel silence, au même titre qu'à l'intégralité de mes proches et connaissances, mais je dois me rendre à l'évidence : nous ne sommes pas dans une partie de jeu vidéo où l'on peut sauvegarder et recommencer de plus belle en cas d'échec ou d'erreur. A nouveau, je me retrouve dans un moule de culpabilité et de silence, comme replongé dans un passé d'enfant des rues, où c'est tuer ou être tué. Mes mâchoires se crispent d'autant à ces souvenirs douloureux, et plus encore alors que la sublime brune s'approche de moi, m'incitant certes à raccrocher le combiné, mais également à éviter un brin son regard. Je ne sais pas bien à quoi je m'attends, moi, cachottier parmi les cachottiers, mais certainement à un flot de paroles, à des cris, à de la culpabilisation en bonne et due forme. A tout, sauf à la proposition que Moïra m'apporte sur un plateau. D'un coup d'un seul mes iris saphirs se redressent pour la contempler à nouveau, tandis qu'un "oh" transforme l'expression de mes lèvres. Par exemple que je reprends en un petit rictus qui se veut amusé, qui tâche de tourner sa phrase non pas en dérision mauvaise mais bien sur le chemin de l'humour, le trente-sixième degré au bas mot. Je dois ressembler véritablement à un zombie doublé d'un automate alors que je la suis sans prononcer la plus petite syllabe supplémentaire. Bien sûr qu'elle a titillé ma curiosité à l'expression artefacts indiens et que mes réflexes d'archéologue en herbe sont aussi aiguisés que la lame d'un sabre, mais une petite voix dans mon esprit tonne avec la force d'un bec de pivert sur une écorce coriace. Sans doute ne suis-je pas assez fort physiquement pour supporter un confessionnal, même en présence de cette demoiselle si chère à mon cœur. Ennuyeux c'est un peu extrême, mais c'est pas le stage qui m'a fait dresser le plus les poils c'est net que je déglutis à grande peine, persuadé que toute façon ce stage, je dois le mener à son terme et qu'aucune activité extraordinaire ne viendra m'en extirper. Tant pis, tant mieux, je crois que mon état actuel ne me permettrait pas une quelconque aventure à la Indiana Jones, alors que ma folie furieuse, elle, crève de n'avoir rien de tel à se mettre sous la dent. Tu ne cries pas ? Pas de reproches ? Le fond de mes yeux s'humidifie l'espace de quelques secondes suspendues avant que ma pudeur ne balaie l'émotion d'un revers de manche. Je crois que je m'étais préparé à tout... sauf à ça, et je crois également ne pas savoir comment réagir. M'attendre au pire qui peut encore arriver ou faire un dangereux pas en avant ? Ce n'était pas contre toi, Mo. Vraiment. Sans effacer ce contact visuel auquel je semble m'accrocher telle à une bouée de sauvetage, j'ose espérer que Moïra sentira ma profonde détresse... et la vive sincérité transpirant dans le moindre de mes propos.

Sourcils légèrement froncés par la surprise, un savant mélange de curiosité et d'intérêt brille dans le fond de mes iris d'acier. Tu as mieux ? Fut un temps où l'ancien adolescent en moi était trop fier pour oser laisser parler mon intérêt, mais je ne suis plus ce jeune homme à mordre tous ceux l'approchant. Avec les années, j'ai découvert en moi une force et un goût pour la joute verbale qui m'offre l'opportunité de ne plus laisser seulement s'exprimer mes poings... mais davantage ma langue acérée. Aujourd'hui, le contentement de retrouver Moïra balaie toute trace de ressentiment envers la race humaine, mais également l'impression de retrouver mon corps écrasé par une pierre. La fatigue demeure présente, implacable, silencieuse et tranchante, laissant toutefois l'expression de mon visage relativement douce. A croire que les protections imposées par mon silence s'effritent, s'effondrent une à une, l'humour maîtrisée par la demoiselle achevant de détendre mon être stressé et résigné. Rappelle-moi de penser à t'offrir ça mais pas à mon effigie pour ton anniversaire... Mes prunelles sont bientôt dirigées vers le sol afin de dissimuler le rire qui manque de s'emparer de moi. Non pas que je sois du genre à retenir mes propres effusions, mais demeure maladroit, interrogateur quant à ce qui m'est permis. Après tout, la chercheuse possède toutes les raisons du monde de m'en vouloir et une part de moi doute qu'elle ait franchement envie de constater mon hilarité soudaine, bien qu'elle ne soit que le résultat de son propre trait d'humour. Autant dire que je l'accompagne jusqu'à l'entrepôt avec l'esprit plus léger, comme prêt à en découdre et à toutes les éventualités qu'elle souhaite mettre sur ma route, en tant qu'étudiant en Archéologie avant d'être quelqu'un d'autre. Tantôt regard levé au ciel, tantôt rivé au sol, je jongle avec une maladresse presque comique et voudrais être petite souris pour m'observer d'en haut, et ainsi constater à quel point j'en deviens risible. C'est en l'espace d'une phrase et d'une seconde que je redresse le menton, marqué par la surprise et pris sur le fait. La faiblesse physique dont je suis victime, marque évidente d'un traitement on ne peut plus lourd, n'a pas échappé à son œil de lynx, pour mon plus grand dam. J'avance d'un pas, prêt à répliquer je ne sais encore quoi, lorsque nous sommes interrompus par la sortie impromptue d'un homme que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam. Ce dernier peut se targuer de m'avoir coupé dans mon élan, et ainsi tué dans l’œuf une quelconque tentative d'explication ou de confession. Je redeviens aussitôt l'étudiant en stage, qui m'empare du carton tendu sans un mot ou expression particulière. Je me retrouve dans la position d'un vulgaire pantin qui suit les instructions qu'on lui impose. A vos ordres chef ! que je reprends d'un ton beaucoup plus neutre, m'exécutant sans faillir ni émettre le plus petit soupir qui soit : là encore, je voudrais exploser de joie à l'idée de me jeter à pieds joints dans l'inconnu, mais une certaine réticence me retient. Je crains qu'une fois maîtresse de cette vérité que constitue mon existence actuelle, Moïra ne change diamétralement de façon d'être. Tu veux vraiment faire la route avec moi et pas un étudiant plus brillant ? Ou peut-être que tu veux juste me cuisiner, ce dont tu aurais le droit... Le carton soigneusement placé dans la voiture, je me tourne à nouveau vers cette amie chère, le regard empli d'espoir. Cette possibilité de briser ma routine, que j'effleure désormais du bout de mes doigts fins, fait trembler mon cœur d'impatience. Si t'es prête à me supporter comme copilote... alors j'en suis ! Et advienne que pourra. J'vais juste chercher le colonel ! Un rire presque enfantin s'échappe de mes lèvres alors que je file telle une fusée direction la tente où j'avais déposé mes affaires. J'en ressors quelques secondes après seulement, armé de ma sacoche fétiche, de couleur moutarde, surnommée le colonel. Humour très personnel, mais qui montrera sûrement à Moïra que je ne suis pas une cause si perdue que cela.

Je ne sais pas quel intention m'habite avec le plus de vivacité : l'envie de rire, de la rejoindre dans ce trente-sixième degré ô combien béni dans l'état actuel des choses, poursuivre ce rien de folie qui m'a manqué durant ces deux mois de silence, ou bien avoir la trouille que ce ne soit ma trogne et pas celle du premier badaud qui passe que Moïra souhaite placer sur la fameuse poupée vaudou. Je dois craindre le pire ? que j'ose demander non sans un petit sourire en coin, sans doute encore timide, mais non moins sincère. Je pensais qu'elle me crierait dessus, ou pire encore, m'éviterait comme la peste après lui avoir imposé une absence aussi brutale et inexpliquée. Une part de moi ne peut s'empêcher de vouloir vider son sac une bonne fois pour toutes, quitte à perdre cette si précieuse amitié m'ayant aidé à garder le cap ces quelques huit semaines durant. Au lieu de quoi je suis les évènements plus que je ne les contrôle, fidèle à mon caractère plutôt docile dans le milieu archéologique. Je n'en suis ni un ponte ni un esprit aussi brillant que la jeune femme, j'apprends donc tout ce que je peux avant de n'avoir la plus petite envie de jouer les divas sur le retour. Tu me confierais tes arrières... Répéter cette phrase plante un wakizashi en plein milieu du palpitant me servant de muscle cardiaque. L'émotion irradie tous les pores de ma peau alors que j'opte pour un retrait stratégique, bien décidé à ne pas quitter les lieux sans mon compagnon de toutes les galères : le colonel, aka ma sacoche des pires moments. Cadeau de Kaname, véritable antiquité dans tous les sens du terme, je crois que je ne pourrais jamais remplacer cet objet, et que c'est même pour le sauver des pires trous que j'ai appris à coudre. Indication peu reluisante de ma personne dont je ne me vante évidemment pas, bien que les traces de rafistolages en tous gens parlent pour moi, hélas. Ouais mais le colonel Moutarde, c'est le Watson de mon Sherlock, indispensable à mon existence. S'il n'est pas avec moi, ça porte la poisse. C'est tellement plus qu'un outil ! Référence du Cluedo mise à part, je pense chacun de mes mots que j'appuie d'un hochement de tête, alors que je me place côté copilote de la voiture que Moïra démarre. Très étrangement, je sens mon corps meurtri devenir plus léger au fil des secondes, à l'idée que même si dans quelques jours je pouvais très bien ne plus être de ce monde, j'aurais tout de même vécu une dernière aventure et des frissons indescriptibles à ses côtés. J'ai mon diplôme de plongeur, pourquoi les fouilles sont sous-marines ? Cheveux d'ébène encore plus en bataille avec le vent qui les domine, je tourne subitement mes iris d'acier vers Moïra, dont je cherche encore à expliquer cette confiance aveugle dont elle fait preuve à mon égard. La donne me rends heureux et en même temps effrayé. La culpabilité de mon silence n'en n'est que plus amère et plus vive. Tu as dit que tu me confierais tes arrières tout à l'heure... tu les confierais toujours à un mourant ? Sans cesser de contempler son visage, et alors que mon expression ne peut être plus énigmatique et sérieuse, je saute les deux pieds dans le plat sans ménagement aucun. Je crois malheureusement à l'adage qui implique d'arracher un pansement sans passer par des étapes... la douleur en est vive sur l'instant, mais ne dure pas. Reste à savoir si la réaction de ma binôme d'aventure me soulagera... ou me plongera dans une souffrance certaine.

Ce bon vieux Colonel Moutarde est la raison de ce petit sourire présent sur mes lèvres. Quand bien même je sonne étrange, je crois bien que je m'en fiche. L'ancien enfant des rues que je n'ai jamais vraiment cessé d'être ne s'est pas lié à grand-chose jusqu'à lors, ni même possédé de nombreux objets... cette sacoche a certes marqué mon départ du Japon pour l'Angleterre et une vie nouvelle, mais demeure avant toute autre chose le dernier cadeau que Kaname m'a offert. Une dimension sentimentale très forte l'entoure, tel un véritable porte-bonheur, un grigri ne m'ayant jamais déçue, mon phare dans la tempête. Bien incapable de décrire tout ce qu'il représente pour moi, je me contente de laisser planer ce petit sourire sur mon visage, alors que nous faisons route vers notre destination. Des questions se bousculant dans mon esprit, je n'en laisse échapper aucune, préférant de loin la découverte et la surprise. Cette aventure me fait un bien fou moralement et lorsque Moïra dévoile un peu nos futures réjouissances, j'ai les yeux qui brillent comme un gamin un matin de Noël. Tu me demandes vraiment si je me sens d'attaque ? À l'idée de trouver ces galions je pourrais escalader le mont Rushmore ! Édifice que je ne verrais sûrement jamais de mes propres yeux mais qui a bercé mon enfance. Je me suis exclamé sans aucune retenue, trop conscient de cette chance offerte. Non seulement un site accessible en plongée m'enchante car cela lui donne un petit côté pimenté supplémentaire, mais en prime les frissons de la découverte me donnent la force de cent hommes. Aux oubliettes, cet épuisement physique m'ayant ni plus ni moins paralysé pendant ces deux mois d'absence. Je me sens capable de surmonter tous les obstacles et d'être un compagnon de route aussi utile que possible. J'aurais d'ailleurs préféré ne pas avoir à passer par la case confession, qui jette un voile sombre sur nos retrouvailles lorsque je prononce le terme mourant. La jolie brune manque d'ailleurs de piler sec au passage, et prends la sage décision de se placer sur le bas côté la minute suivante. Hélas pour voir, cette pause sonne le glas de ma confession, ou à tout le moins de son début. Crois-moi, pour aimer l'humour décalé comme je l'aime je préférerais... Le regard de Moïra pèse sur mon être à un point tel que, dans un premier temps, j'évite soigneusement de lui lancer la moindre œillade. Il me faut rassembler tout mon courage pour tourner enfin mes iris d'acier vers elle et relever la manche de mon haut d'un blanc immaculé. Je dévoile bientôt sur la peau de mon bras un nombre de micro-lésions impressionnant, ainsi que les traces de nombreuses piqûres, à des millions d'années lumières de celles qu'un drogué possèderait. Je ne suis pas camé, rassure-toi si je peux dire ça comme ça... j'ai eu beaucoup de transfusions dernièrement. Traitement lourd qui a été la base de mon silence. Je ne voulais et ne pouvais pas en parler. Mais mon corps me dira bientôt merde en bonne et due forme. Tandis que je déglutis avec difficulté, je tends la main vers la jeune femme, le bras encore découvert. Une marque de confiance, et un premier pas en avant, persuadé qu'il y a de grandes chances pour que son interrogation ne soit pas la dernière. Tout à l'heure je ne voulais pas dire que tu pouvais prendre quelqu'un de plus brillant avec toi. Plutôt... quelqu'un qui ne t'abandonnera pas. Même si mon souhait est aux antipodes, je comprendrais que tu ne veuilles pas de moi pour surveiller tes arrières.