Une habitude, celle de franchir le seuil de la porte de Jasper, ne semblait plus revêtir le caractère sacré d'autrefois, mais plutôt celui d'un vendredi matin ensoleillé, où le ciel dégage une aura de promesses et où la pluie reste à jamais éloignée. Les pas résonnaient dans l'entrée, les baskets foulaient le sol avec assurance, tandis que la robe légère de Lomée dansait autour d'elle. Junon, agrippé à son trench, semblait vouloir ralentir le rythme, comme s'il pressentait le changement imminent. C'était un air de nouveauté, quelque chose que le destin leur avait réservé depuis près de 6 ans maintenant. Junon, cette aubaine qui s'est levée dans vos vies, sans crier gare, qui a tout chamboulé et qui s'est arrêté de grandir de quelques minutes pour vous montrer combien il est précieux ce miracle. Lomée ne savait pas si elle aurait la chance d'avoir un autre Junon, mais elle savait qu'il avait fait d'elle la mère la plus comblée du monde. "Mamaaaaan ! Maaaaa-maaaaan !" Les cris joyeux de Junon la ramenèrent à la réalité alors qu'elle passait la porte, les mains chargées de clés et de papiers qu'elle tardait à ranger. "Qu'est-ce qu'il y a," marmonna-t-elle, presque pour elle-même. "Il est là, papa, il est là..." Les pas hâtifs de Junon la menèrent droit dans les bras de son père, celui qui détenait les clés de leurs vies à Boston, celui qui avait su capturer l'instant de sa vie précieuse en Junon. Contre son torse, elle déglutit, ferme les yeux et se retourne... "Excuse-moi, je t'ai pas vu". Qu'est-ce qui fait étrange que de le revoir... Elle frémit. Voir Jasper dans ce rôle de père la remplissait d'une étrange émotion. La barbe qui adoucissait ses traits, un air charmant... Négociateur...sexy-canon-poilu, elle hoche la tête et enchaine pour se vider l'esprit, canon ? "On va faire mieux qu'un Mario Kart Oscar ! Peut-être mieux que Junon..."..."eeeeh oohhhh"l'enfant grimace. Elle rit, il n'y aura jamais mieux que lui... "On a raté les Swan boats et notre fils n'a pas arrêté de ronchonner..."Junon qui boude dans son coin... "Cey pas vraii !" Un petit accent qu'il a dérobé de sa mère, les gosses... Surtout qu'il est dans sa phase du 'non' et du 'je m'affirme'... "Hop pop pop, messieurs,"  murmura Lomée en attrapant le bras de Jasper"Pas d'excuse cette fois ; j'ai pris congé pour nous. Comment ? Je sais imiter votre voix, voyons..."Un petit sourire malicieux... "Surprise, et je me suis dit quoi de mieux qu'un parc d'attraction..." Les petites jambes de Junon qui sursautent de joie... "Mais avant, Junon, va chercher ton doudou, il est dans ta chambre..." Et Lomée posa doucement sa main sur l'avant-bras de Jasper, son regard en disait long."J'aurai à te parler... Tout à l'heure si tu veux bien...". Les mirettes qui s'arrêtent un instant, les pupitres qui dévoilent un cœur cha-ma-des-que prêt à bondir hors des yeux... Tout est horriblement stressant, elle sourit légèrement... Est-elle en train de se dérober, de partir, de trouver une excuse pour lui dire au revoir ? Non, pas cette fois. Certainement pas.

Le ballet infernal de la garde alternée ; c’est plus glam en vrai qu’écrit sur un papier. On a jamais été foutu d’en faire un, d’ailleurs, comme si malgré toute l’expérience de tes fuites, j’avais décidé de miser une dernière pièce sur notre réussite. Pas une pièce très élevée, mais, du métal tout de même. Un pari sur le fait qu’on avait réussi à conjuguer nos sangs et nos cœurs, pour bâtir ce petit être qui fini par se construire lui-même. Qu’on entend parmi la foule, qu’on distingue qu’importe où il passe, parfait mélange de nos effronteries. Tu es ma désillusion, ma rancœur et celle qui m’a offert le plus précieux. Je suis entre ces chaises éloignées, et j’apprends le grand écart sans aucune souplesse. C’était douloureux au début ; ça l'est moins. Ma galerie photo est tellement remplie de ses traits, que j’en oublie parfois qu’il me manque les deux premières années. Au beau milieu de cet ensemble monomaniaque, parfois, une photo de nous trois s’y glisse, comme pour me rappeler qu’il y a eu un jour, un duo. Désormais que le fil a été cousu dans nos peaux respectives, j’t’interdis de partir. Mais tu sais, difficile d’imposer quoique ce soit, quand on a été rajouté à la va vite dans l’histoire. Griffonné au crayon de papier au début, je repasse dessus au stylo, de plus en plus en fort. J’essaye d’être essentiel, une semaine sur deux. Quand devant ma porte tu te pointes. Quand il vient, j’essaye de donner vie à mon appartement, je rajoute un peu de vert, de la bouffe qui semble sortir du four mais qui est le fruit surtout, du four de ma secrétaire ou d’un associé généreux. Quand tu te pointes, avec Il, j’avoue, j’en oublie de regarder ta robe qui suit tes pas, j’en oublie de regarder le monde entier, mes traits s’illuminant à le voir me revenir. Mais plutôt qu’Il, c’est toi que je réceptionne contre mon torse. Mes doigts sur ton bras, en réflexe, j’accroche sur mes traits un sourire amusé. Lomée, tête en l’air. Lomée, toujours imprévisible. Le charme dans l’inconstance. “J’ai pourtant été annoncé.” Par le meilleur crieur de six ans. Qui s’excite autour de nous, glousse du contact puis ronchonne. Aussi expressif que sa mère. Le bras attrapé. J’n’avais pas anticipé la suite, les orbes sur ces ongles manucurés. “Quoi ? T’as fais quoi ?” Junon, déjà entrain de courir dans sa chambre, chercher un doudou que j’essaye de n’plus trainer partout. Je râlerai pour ça plus tard. “Lomée.” Grondé, légèrement. “J’avais une réunion aujourd’hui.” J’comprends même pas comment ça a pu passer. J’en soupire légèrement, arrêté dans la suite par l’air radieux d’Il, et ton regard. J’en cède un sourire. “D’accord pour.. le parc, mais c’est la dernière fois que tu fais ça.” J’essaye d’avoir l’air sévère, tout en chuchotant pour que le curieux n’entende rien, mais ce n’est plus crédible pour personne. “Et t’offres les glaces.“ Plus fort, emportant l’approbation de Junon. Non négociable. La moue plus légère, qui se préoccupe pourtant l’instant d’après. “Tu vas me laisser avec ce suspens ?” J’aime pas tes nouvelles, Lomée ; quand je pense enfin te cerner tu te défiles entre mes doigts. “Tu me fais flipper.” On ne s’est pas toujours compris, et je n’ai pas toujours su naviguer sur tes eaux. “Dis-le moi maintenant.” Soufflé à ton oreille, alors qu’on se dirige vers ma voiture, Junon cramponné à ma main, son doudou dans l’autre.