J’sais même pas si on est le jour de Pâques ou le lendemain, si t’avais tes gosses ou non ; moi je sais que je l’avais pas. Parce que les croyances, c’est pour elle, pour toi, moi je n’y vois qu’une occasion de noyer Junon sous les chocolats. J’sais plus non plus comment on en est venu à parler de ma transformation en jardinier, mais puisqu’on est pas foutu de se voir sans prévoir trois semaines à l’avance, j’ai décidé de me pointer, délaissant le costard pour un treillis et pull léger noirs - puisque miracle, il fait presque beau. Quand t’ouvres, j’te tends une gourde en alu, un rictus malin aux lèvres. “Un jardinier, et un cosmo.” T’avais parlé de cocktail, non ? Voilà, t’as tout le package. En espérant que t’es pas en repas de famille. Coucou Jude, voilà le jardinier.

Lève la tête quand j'entends la porte. Qu'est-ce que c'est que ça ? Termine ma phrase rapidement, rature le surplus, puis me lève pour ouvrir, non sans faire tomber quelques feuilles sur mon passage. Je râle, mais ramassera ensuite. C'est peut-être important, derrière. J'ouvre, le visage surpris de voir Jasper. Je plisse les yeux, qu'est-ce qu'il fout là ? “Un jardinier, et un cosmo.” Je rigole en le voyant ; C'est ça ta tenue de jardinier ? J'avais demandé à Jude de prendre les enfants pour pouvoir travailler un peu, on s'épargne le moment gênant. J'suis en plein dans un dossier... regarde derrière moi, et ouvre la porte entièrement. J'suppose que je peux faire une petite pause... au moins pour le regarder et me moquer de lui.

J’me pose rarement des questions, quand il s’agit de débarquer comme une fleur dans ta vie. J’me suis suffisamment cassé la gueule, pour ne plus avoir peur ni du ridicule, ni d’être congédié. J’me raccroche au peu de spontanéité qu’il me reste. Pas loin d’être broyé par le quotidien. Alors, ouais, c’est ça ma tenue de jardinier. “J’ai un balcon.” Précise. “En béton.” Encore. “Avec zéro plante.” Autant te dire que j’ai pas besoin d’une tenue adéquate. Un rictus aux coins des lèvres. “T’auras pas mieux.” Comme jardinier, comme mec tout court, mais ça, tu t’en rendras compte dans une autre vie. Tu me laisses rentrer, et j’ai le regard qui vise les feuilles au sol. J’en ramasse une, deux, les pose sur la table et traverse la maison comme si c’était chez moi, en direction de l'abri de jardin. “Continue à bosser, sirote ton cosmo, et vient admirer le boulot quand t’as fini.” Le sourire est léger. Nous sommes verts, tous les deux.

Tu t'es jamais posé de question, on s'est jamais posé de question, ensemble. C'est fluide, ça y va ou ça n'y va pas mais dans les deux cas, c'est toujours sans retenue, toujours en étant 100% nous même, totalement et complètement nous même. “J’ai un balcon. En béton. Avec zéro plante.” Beaucoup d'informations, trop de précisions. en parlant de ça, c'est notre prochaine virée shopping. comme d'une manque de proposition, un ordre qui est lancé. Déjà décidé, trop tard. Faut croire que t'as pas le choix non plus. Des plantes, pour ton balcon. ça te fera le plus grand bien d'aménager un peu ça. ça, ce vide qui ressemble à pas grand chose. C'est gris, terne, triste. Je vais remplir le tout, colorer l'intérieur. “T’auras pas mieux.” hausse les épaules, une moue faussement déçue ; Bon dans ce cas... je vais faire avec. Ta phrase était lourde de sens, la mienne plus légère. “Continue à bosser, sirote ton cosmo, et vient admirer le boulot quand t’as fini.” Je souris, acquiesce d'un remerciement et prends le chemin du bureau, l'abandonnant dans le jardin. Une fois ou deux, je lui ramène de l'eau entre deux rédactions, puis une fois le dossier terminé, je clos le tout et à mon tour, fait deux cosmos. Lui apporte dehors, appréciant les résultats en sirotant. Pour un jardinier du dimanche... tu devrais considérer la reconversion. du bon boulot, je dirais.

J’crois que ça marche comme ça, on s’impose, on bouscule tout ce qui est en place, et on réfléchit après, une fois qu’on est au beau milieu du décor. Qu’on a fait tomber quelques trucs. Qui cassent. Qui ne sont plus récupérables, parfois. Mais chez toi sera toujours chez moi, et l’inverse pareil. Y a jamais eu une porte suffisamment solide pour nous freiner. J’ai décidé, ce jour, que j’m’occuperais du chantier de ton jardin. Et t’as l’air inspirée pour me rendre la pareille. “J’les laisserai crever, ça sert à rien.” Une semaine sur deux, quand j’aurai aucune raison d’avoir un bel appartement, j’laisserai tout en plan. Un fin sourire se glisse, alors que le chemin mène au jardin. “Mais tu peux me ramener des fleurs.” Venir plus souvent, c’est en sous titre. “Ou de la bouffe, c’est encore mieux.” Ca n’a plus aucun rapport avec mon balcon. Mais qu’importe puisque je commence l’effort, te renvoyant à ton boulot. Ma priorité, la même que la tienne. Quelques rares pauses, avec un verre d’eau. Puis, la fin avec un cosmo. J’l’attrape, l’autre main appuyée sur cette bêche, en parfaite carte postale du jardinier. Quelques perles d’eau salée sur le front. “Tu penses que j’peux créer ma société ?” Toujours plus. “Tu seras mon premier commentaire Google.” La bouche amusée, noyée dans le cocktail. “Combien d’étoiles ?” J’vise pas moins que cinq.