NATHANIEL BRIGHTON-JOVA ► Felix Bujo

- - wave of my life, trouble of my heart

« Maman, pourquoi je n’ai jamais vu papa ? » Sa mère le regardait avec peine. Il avait à peine cinq ans, il n’était qu’un enfant, à peine conscient de la dureté du monde. «  Il est partis Nathaniel. Il avait des … choses à faire. » Le petit garçon la regarde avec des yeux surpris, ahuris, inquiet. Comment ça son papa est parti, comment ça il avait des choses à faire ? Il n’était donc pas assez important pour qu’il reste avec sa maman et lui ? « Comment ça il avait des choses à faire ? On est pas assez important ? » Ses paroles et sa pensée ne sont qu’une seule et même chose. Pas de filtres, pas de blocages. Il dit ce qu’il pense. Pas besoin de réfléchir avant de parler. «  Non mon cœur. Il a juste … » « Non c’est bon, j’ai compris. Je deviendrais assez important pour qu’il veuille revenir à la maison. » Il n’avait que cinq ans. Cinq petites années sur une terre en train de mourir. Cinq petites années, à peine un an à l’école, et il a déjà compris que le monde se serait jamais assez bon pour lui. C’est lui qui devait être le meilleur pour surpasser le monde.

- - what a paradise you live on. - no it’s just a beautiful hell.

Son coeur bat la chamade. Ses tests sont arrivés. Il aura les résultats dans quelques instants. Il la veut cette putain d’école. Il n’en peut plus de vivre ici, sur cette petite archipel qui ne va nulle part. Une île paradisiaque, un décor de rêve mais une vie qui devient lassante, éreintante, fatigante. Il veut voir le monde, il veut voir à quel point le monde est grand, passionnant. Rester sur sa petite île n’est qu’un supplice pour lui. Sans père, il est un bâtard. Sa mère lutte pour joindre les deux bouts. Ils sont français, ont les avantages du pays mais aussi tous les désavantages qui font qu’il est plus que lasse de voir à quel point on se fout de lui et de son existence. Cette lettre, elle vient de Paris. Ces résultats, ils viennent du lycée le plus côté de la capitale. Il a le futur de son destin entre ses mains. « Ouvre cette foutue lettre Nathaniel. » Même aussi grand qu’il l’était, sa mère l’appelait toujours par son prénom complet. Son surnom, Nate, hors de question pour elle. C’était Nathaniel ou rien. Ouvrant la lettre avec les mains tremblantes, il parcourt les lignes avec frénésie, cherchant ce mot si attendu. Accepté. Il est accepté. « Je l’ai eu maman. » Laissant la lettre tombée de ses mains, il entoure sa mère de ses bras. Son pilier qui ne l’a jamais laissé tomber, pas comme son père. Pas comme ce lâche qui a fait sa vie ailleurs. « Je l’ai eu maman. » Il sent les larmes de sa mère couler sur la peau de ses bras, tout comme les siennes qui glissent sur ses longs cheveux noirs. Bonheur ? Tristesse ? Fierté ? Un peu de tout.

- - start, live, die, repeat.

Paris, la capitale la plus crade de l’histoire de l’humanité, et pourtant, elle cache des merveilles les plus extraordinaires. Il y est depuis ses seize ans, il en a dix-huit. Il passe son bac. Il passe la dernière étape qui fait encore de lui un adolescent. Il passera à la vie d’adulte. Seul. Sans sa mère. Elle est toujours là-bas, sur son île, à vivre une vie qu’elle mérite. Il est ici, en pension, mais dans une vie qui lui plait. Il subvient à ses besoins tout seul avec de nombreux petits boulots étudiants. Pas forcément légaux mais assez pour qu’il puisse vivre sans se faire de soucis. Il est dans les bas quartiers de la capitale, mais ça ne le gêne pas. Nate, il vit comme il l’entend. Il aime comme il l’entend. Il hait comme il l’entend. Et surtout, il travaille comme un acharné. Prochain objectif : vivre à New York et intégrer l’université là-bas. « Et tu viens Nate ? On va au bar là. » Les épreuves étaient finies depuis à peine une heure que les gars voulaient déjà aller se bourrer la gueule au bar qui servait les mineurs. Habituellement, il y serait allé, mais ce soir, il avait d’autres projets. Des projets beaucoup plus intéressants. Comme aller voir sa copine qui l’attendait sans doute nue dans son appartement. RER, bus, tram, et le voilà enfin chez lui. Ouvrant la porte de l’appartement, il dépose doucement son sac dans l’entrée. « Claire ? Tu es là ? » Retirant à la va-vite ses chaussures, déboutonnant sa chemise, déboutonnant sa chemise, il se dirige vers la minuscule chambre. Pas un bruit, ni même une respiration. Pas un souffle de vent dans l’été parisien qui s’installe progressivement. L’air était lourd, compacte. Comme si un évènement venait de produire, les traces chaudes d’un passage encore dans l’atmosphère. Il entre dans la pièce, un peu inquiet, une sueur froide lui coulant dans le cou. Un tâche rouge sang attire son attention. Un rouge peu commun. Il n’en a jamais vu. Suivant le tracé, il se retrouve face à un spectacle qu’il n’aurait jamais cru possible. Sa copine, ensanglantée, ses mains pleines de sang sur un couteau qui est planté en plein dans la poitrine d’un homme. « Mais qu’est-ce qui s’est passé ? » Sa copine le regarde avec un regard vide. Sa main pleine de sang se lève et se plante dans sa propre poitrine. « NOOOOOOOON !! » Aucuns moyens de la stopper, il est figé dans une position inconfortable, son cœur battant la chamade. Il n’y a plus rien à faire, le corps de Claire affalé sur le lit, ses yeux le fixant avec cette impression de vide incompréhensible. Prenant son téléphone dans la poche de son jean, il compose le numéro de la police. Hors de question que son avenir ne soit tâché par ça. Il aime Claire. Mais il s’aime plus.

- - a hole in the center.

Cela fait des années maintenant, mais il se retrouve toujours à se réveiller en plein milieu de la nuit en train d’avoir des cauchemars digne d’un film d’horreur. Le sang. Tout ce sang qui maculait le sol, le corps de Claire, le couteau planté dans son corps. Il a la culpabilité de n’avoir rien fait pour l’arrêter et tout fait pour s’en sortir lui. Il est sorti de cet évènement sans aucunes traces, sans rien, sans problème. Comme si ce n’était pas lui qui était le locataire de cet appartement, comme si cette jeune femme n’était pas sa compagne, comme si cet homme n’était pas son meilleur ami. Parce que oui, Jonathan est mort avec Claire. Elle avait une jalousie maladie, et lui était amoureux d’elle depuis toujours. Elle voulait qu’il soit à lui et pour toujours, elle voulait Nate et ne voulait pas le partager. Jonathan voulait l’en empêcher. Il avait compris à quel point Claire était toxique, si bien qu’elle avait saboter le départ de Nate aux Etats-Unis. Et elle n’a pas réussi, alors elle voulait se venger. Mais Jonathan est arrivé avant, et elle a passé sa colère ignoble sur lui. Ne supportant sans doute pas son geste, elle s’est suicidée devant Nate. Il la revoit encore devant lui, et il ne comprend toujours pas. Dans sa petite chambre à New York, il ne peut pas s’empêcher de culpabiliser et de se dire qu’il ne méritait pas tout ça. Mais il profite de sa vie américaine, son fort accent français qui séduit les femmes et les hommes. Il profite parce qu’il le mérite. Il a trop travaillé pour ne pas être ici. Sa famille d’accueil adorable qui le prend chez eux comme un fils. Il ne peut pas continuer à culpabiliser. «  Tu viens prendre ton petit dej ou pas Nate ? » Sa sœur d’accueil le regarde avec inquiétude. Il est perdu dans ses pensées. Un sourire éclaire son visage légèrement et il hoche la tête avec paresse. Il est fatigué mais il a besoin de sa dose de famille. Sa mère lui manque tellement. Il ne la voit pas assez souvent, mais elle est si fière de lui. Sa première année en Erasmus après un an à Paris à la Sorbonne. Il a à peine vingt ans et il a déjà trop vécu. «  Ça ira mieux Nate. » Elle prend son visage entre ses mains et lui dépose un baiser sur les lèvres. Léger, doux, adorable comme son affection pour lui. Il n’y a rien de mieux. Et pourtant, il se sent toujours aussi coupable. « Je sais, mais je m’en veux. Ne m’attend pas, j’arrive. Ta mère t’appelle et je doute qu’elle soit contente que sa fille fricote avec l’étudiant qu’elle héberge. » Son anglais approximatif mais adorable fait sourire la jeune femme. «  Oui, pas faux. » Elle redépose un baiser et s’en va. Il la regarde partir et se dit qu’au final, sa vie ici n’a pas à être teinté par le souvenir d’une ex qui s’est suicidée devant ses yeux en emmenant son meilleur ami avec elle.

- - a cancer in my heart.

Deux ans dans la Grosse Pomme. Deux ans à bosser comme un acharné afin d’avoir le niveau requis pour entrer à Harvard. Il veut cette école. Il veut être dans les meilleurs et il le sera. Rien ne l’arrête, absolument rien. Sa copine n’en peut plus de son ambition démesurée, il la trompe sans doute à cause de ses reproches, mais tout ce qu’il sait, c’est qu’il aura ce qu’il veut. Il vient de l’autre bout du monde, dans ses yeux on voit l’océan, l’immensité, le pouvoir de tout ravager. Sa mère ne s’inquiète plus pour lui, il est assez grand pour aller mieux. Les rêves et les cauchemars sont pourtant toujours là. Ce sentiment de ne pas avoir été assez ou trop. Il est sans doute ainsi. Trop ou pas assez. Alors qu’il veut être tout. Se levant de ce lit inconnu après une cuite mémorable, il rentre dans sa chambre universitaire bien trop étroite pour deux personnes. Quelques marches et un couloir plus tard, il est chez lui. Seul. Comme d’habitude. Mais la lettre qui est sur son bureau retire toute amertume de son cœur. Le sceau de l’université la plus prestigieuse flanquée sur le papier blanc. Le début d’une autre histoire qui début.

(c) siren charms