please, come back to me
"C'est hors de question" Ces quelques mots frappent, claquent comme un fouet dans l'immense maison silencieuse. Du haut de ses six ans, Jemima marche sur la pointe des pieds dans le couloir immense et froid qui la mènera au salon. Il est tard, et la lumière est encore allumée. Et la voix de son père la surprend, si bien qu'elle s'arrête de marcher un instant. Mais il n'est pas là: il est bel et bien dans le salon. "Tu n'as pas voix au chapitre, James. Il s'agit de notre fille, et je veux ce qu'il y a de mieux pour elle!" Jemima est soulagée de reconnaitre la voix de sa mère, à la fois douce et implacable. Alors la fillette se remet à marcher, sa peluche en forme de dauphin dans les bras. "Moi aussi je veux ce qu'il y a de mieux pour Jemima, et de toute évidence je suis le seul à pouvoir le donner toute ce dont elle a besoin." Jemima est arrivée près de la porte ouverte donnant sur le grand salon. Elle passe sa tête dans l'entrebâillement, ses petits yeux se plissant légèrement à cause de la trop forte lumière régnant à l'intérieur de la pièce. Là, elle n'a aucun mal à ensuite voir son père debout non loin d'ici, un verre de whisky à la main. Il se tient droit comme un "i", tiré à quatre épingles comme toujours. Et à quelques pas, sa mère. Belle, magnifique: Jemima est fière de lui ressembler presque comme deux gouttes d'eaux. Mais à cet instant ce qui frappe le plus la petite fille, c'est que ses parents se fusillent du regard. Ca arrive de plus en plus souvent, mais elle ne comprend pas pourquoi. "Je trouverais un travail, et puis mes parents sont prêts à nous héberger pendant quelques semaines." Le visage de son père, son héros, se fait plus dur et Jemima serre instinctivement son dauphin contre elle. "Tu ne partiras pas avec ma fille, Loreleï. Point à la ligne. Sinon tout se passera très mal, et tu le sais parfaitement." Jemima ne supportant pas de voir les yeux de sa mère se gorger de larmes, ouvre la bouche pour parler, mais une main se posant sur son épaule la fait sursauter. Surprise et effrayée, elle fait volte face, faisant même tomber sa peluche et elle ne se calme que lorsque son regard croise celui de Lucy, sa gouvernante. "Qu'est-ce que vous faites là, mademoiselle?", murmure Lucy en se penchant pour la porter dans ses bas, ramassant le dauphin en même temps. "Jai fait un cauchemar, alors je voulais voir papa et maman..." Lucy sourit, apparemment compatissante et hoche la tête. "Je vois. Et si nous laissions tes parents avoir leur discussion de grands? Si vous voulez, je resterais avec vous jusqu'à ce que vous vous rendormiez. Et je pourrais même vérifier sous votre lit que tous les monstres sont bien partis." Jemima semble hésiter quelques secondes avant de dire. "Et dans mon placard aussi?" Lucy laisse échapper un rire tout en s'éloignant du salon. "Bien sûr, c'est évident!" Et comme cela, en l'espace d'une seconde, l'esprit d'enfant de Jemima a fait totalement abstraction de la scène dont elle vient d'être témoin. Oubliée la dispute de ses parents. Oubliée, l'expression de détresse de sa mère.
Le lendemain, lorsque Jemima s'est levée, madame Novak était partie avec ses affaires. Et elle ne l'a jamais revue depuis. Aujourd'hui encore, elle ne sait pas pourquoi elle a décidé de partir. Elle ne sait pas que le fait que son mari trempe dans des choses pas très légales (ou pas du tout), a fini par lui faire peur. Elle ne sait pas que sa mère a essayé de la récupérer, à plusieurs reprises, avant de baisser les bras quelques années plus tard, avant de fonder une nouvelle famille. Elle ne sait pas que son père n'est pas que dans le domaine de la finance. Elle tomberait trop de haut. Son père, son héros. Son modèle sur terre. Non, tout le monde a décidé de la garder hors de ce secret, à juste titre.
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love is love
"Mon dieu, Jemima, c'est
qui lui?" Jemima, quinze ans, lève le nez de ses livres de cours et un immense sourire vient illuminer son visage alors qu'elle voit son téléphone sonner, et afficher une photo de Hakeem. Mais étant à la bibliothèque, elle ne peut pas répondre et elle le sait: elle le rappellera une fois dehors, sans faute. "C'est mon meilleur ami, Hakeem. Je t'en ai déjà parlé, non?" Novalee, dit Nova, lève les yeux au ciel en se penchant un peu plus, attrapant le téléphone de Jemima. "Quand est-ce que tu ne parle pas de lui, exactement? Mais tu ne m'avais pas dit qu'il est super sexy!" Sentant le rouge lui monter aux joues et la colère monter en elle, Jemima reprend son bien avant de le ranger dans son sac. "Ne parle pas de lui comme ça: c'est mon ami d'enfance, la personne qui me connait le mieux au monde." Nova pose son visage dans la paume de ses mains, un sourire énigmatique sur les lèvre. Les sourcils de Jemima se froncent: elle n'aime pas ce genre d'expression sur le visage de son amie. "...Quoi?" Le sourire de Nova s'intensifie. "T'es amoureuse de lui?" Jemima panique et se redresse d'un coup, s'écriant: "Non mais t'es malade?!" Tout le monde autour d'elles se tournent dans leur direction et Jemima leur adresse un sourire gêné tout en s'excusant platement. "Quels mots tu comprends pas dans 'meilleur ami', exactement?", poursuit Jemima en murmurant pour éviter de gêner les gens à nouveau. "Sérieusement, tu ne peux pas être juste amie avec un mec comme ça! alors, jusqu'où vous êtes allés, tous les deux?" Plus blasée qu'autre chose maintenant, Jemima soupire. Voilà pourquoi elle évite de trop parler ou de surtout montrer des photo de Hakeem. Pas parce qu'elle a honte de lui (au contraire), mais parce qu'elle sent les phrase graveleuses de ce genre arriver. Et elle n'aime pas avoir à y répondre, parce qu'elle se sent ridicule. Parce que c'est la vérité. Oui, le fait est qu'elle est bel et bien amoureuse de Hakeem. Vraiment. Depuis des années. Mais elle ne lui a jamais dit, parce qu'elle n'a pas envie de voir son coeur se briser, ou même de risquer de perdre leur amitié si précieuse à ses yeux. En quelques années, Hakeem est devenu une énorme partie d'elle. La personne en qui elle a le plus confiance, hormis son père. Hakeem, il a été là après le départ de sa mère, il l'a écoutée, a séché ses larmes. Il a été là dans les moments de déprime, comme dans les moments de joie intense. En réalité, Jemima ne sait pas ce qu'elle ferait sans lui et la seule chose qui lui fait traverser la journée parfois, c'est de savoir que quand elle rentrera, elle pourra le voir pendant quelques heures. "On est allés nulle part", tranche finalement Jemima en prenant son livre et ses notes. "On se connait beaucoup trop pour tomber amoureux l'un de l'autre." A ça, Nova ne trouve rien à répondre et Jemima ne relève pas les yeux, de peur que ça lance son amie à nouveau dans le débat.
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being an adult is not that easy
"Tu vas quelque part?" James Novak relève la tête et croise le regard perçant de Jemima, qui se tient là, les bras croisés. "Jem, ma chérie. Qu'est-ce que tu fais ici? Je croyais que tu partais en soirée avec tes amies." Jemima arque un sourcil, sentant la colère monter en elle. "J'y allais, quand j'ai vu les valises. Et la moitié de tes affaires qui ont disparues. Alors je répète ma question: tu vas quelque part?" Le poids des années ne semble pas peser lourd sur son père, qui a l'air presque aussi jeune qu'avant. Il n'est devenu que plus beau avec l'âge et elle déteste d'ailleurs voir la plupart de ses amies baver sur lui, se plaignant que leur propre père est déjà bedonnant et les tempes grisonnantes. Il soupire d'ailleurs et se pince l'arrête du nez, se levant et contournant son bureau pour venir près d'elle. "Je voulais te le dire, vraiment...Ecoute ma chérie, je vais devoir m'absenter quelques temps." Jemima croise ses bras, ressemblant comme un sosie à sa mère en cet instant. "Où? Et combien de temps?" Elle regarde les lèvres de son père se pincer. "Je ne sais pas. Tu sais, c'est pour mon travail et c'est toujours très-" "Aléatoire, je sais. Je commence à connaitre la chanson. Du coup je suis censée rester seule ici à t'attendre, c'est ça le plan?" Sentant le ton mordant de Jemima, il souffle à nouveau et vient poser ses main sur les épaules de sa fille. "Je ne peux pas t'emmener avec moi, parce que je ne sais pas encore combien de temps je serais parti. Et tu as ta vie ici, ton tutorat..." Jemima laisse échapper un rire sans joie, détournant le regard un instant. "J'ai littéralement mis ma vie entre parenthèses pour venir ici, papa! Parce que tu disais que s'installait pour y rester! Et voilà que quelques mois plus tard tu t'en vas en espérant que je vais rester sagement ici à t'attendre? J'ai vingt ans bientôt, papa, au cas où tu ne le saurais pas!" Reculant d'un pas pour retirer les mains de son père de ses épaules, Jemima fait ensuite volte face et lance tout en partant: "Puisque c'est ça, alors moi aussi je m'en vais." Immédiatement, elle entend son père répondre: "Et où est-ce que tu comptes aller, jeune fille?" Serrant dents et poings, Jemima s'arrête, tourne la tête pour regarder son père dans les yeux en répondant d'une voix ferme et déterminée: "Là où je devrais être depuis longtemps. A Harvard. Avec Hakeem."