KEIRA LODGE ► kiernan shipka

L'enfance a ses odeurs.

La mienne, c'était l'odeur de la cannelle des biscuits que ma mère faisait à chaque goûter quand on rentrait de l'école. J'ai grandi avec mes parents, mes deux frères et ma sœur. On a toujours été une famille soudée et heureuse, bien que nos revenus aient toujours été modestes. L'argent de ne fait pas le bonheur et même s'il y contribue, ça nous est égal à nous, les Lodge. Ma mère a longtemps été mère au foyer, préférant être constamment présente pour nous quatre. Elle a donc développé un certain don pour la pâtisserie mais sa plus grande passion, c'était la voyance. J'ai toujours trouvé ça un peu cliché, mais ma mère se fie beaucoup à la voyance et à l'astrologie. Juste avance ma naissance, ma mère a consulté une voyante qui lui a fait savoir que j'étais vouée à des études longues et prestigieuses. Ne cherchez pas plus loin, c'est pour ça que je suis la seule de la fratrie à avoir été - en quelque sorte - obligée de faire mes études à Harvard alors que je suis la plus jeune.

Mes deux frères sont à peine plus âgés que moi, tandis que ma sœur, elle, elle a déjà la trentaine. Nous n'étions pas vraiment proche de par notre différence d'âge, mais je l'aime tout autant que les deux abrutis qui me servent de frères. Etant donc la petite dernière, hormis les hauts espoirs placés en moi dès mon plus jeune âge, j'ai toujours été très débrouillarde parce que mes parents n'étaient plus paniqués à l'idée d'élever un enfant. En fait, Kloe, ma grande sœur, c'est elle qui m'a élevée et autant dire qu'à l'époque, elle était plutôt cool. J'ai grandi dans une petite maison de la banlieue de Vancouver, arpentant très vite les forêts et me prenant d'amour pour tout ce qui pouvait avoir des poils, des plumes ou encore des écailles. Le danger ? Bof, ce n'était pas du tout mon premier souci. Tant que mes jambes me permettaient d'avancer, j'allais là où le vent me portait, quitte à ce que mes parents fassent des attaques cardiaques et me remontent les bretelles une fois retrouvée, saine et sauve, au milieu de la forêt voisine, jouant aux cartes avec un caribou.

Si l'appel de la nature a toujours été très fort, c'est surtout dans les BD, les films et les jeux vidéos que j'ai grandi. Mes deux frères ne voulaient pas de moi dans leurs pattes excepté si j'acceptais de jouer avec eux à "leurs jeux de garçons". Du coup j'ai rejoint la bande, on était comme des mousquetaires, et ils ont fait mon éducation littéraire et cinématographique. Autant dire que mes parents n'ont pas eu à dépenser beaucoup d'argent dans les jeux classés dans la catégorie "fille" parce que ça ne m'intéressait pas autant que ceux que je pouvais partager avec mes frères adorés - mais abrutis, hein.


Si tu veux quelque chose dans la vie, prends le.

Il n'y a eu qu'un grand voyage dans ma vie. Mes parents ont gagné un voyage pour cinq en Afrique du Sud en 2010. J'allais avoir douze ans quand mes parents m'ont emmenée moi et mes deux frères avec eux à l'autre bout du monde pour ces deux mois à vivre quelque chose d'inoubliable. Vous voyez La famille Delajungle ? J'avais l'impression d'être Elisa durant ces deux mois à la simple différence que je ne parlais pas vraiment aux animaux. Kloe n'est pas venue avec nous, à vingt-deux ans, elle avait préféré rester au Canada pour passer ses vacances avec ses amis et son petit copain. Elle l'a longtemps regretté, croyez-moi.

J'ai été chargée pendant tout le voyage de prendre des photos, c'est un peu comme ça que je me suis découvert cette passion pour la photographie. Ce qui a été le plus frappant, c'est de voir tous ces animaux et mes parents étaient un peu nerveux quand ils savent que j'adore me perdre en forêt. Me perdre dans la savane sud africaine aurait été un tout autre problème et me faire dévorer par un lion ou autre, je ne suis pas certaine que ça m'aurait plu. On a cependant rencontré des rangers et des soigneurs, tout un tas de personnes qui s'occupent et surveillent ces animaux. Autant vous dire que j'étais fascinée, j'étais tout le temps en train de poser des questions et je sentais que parfois ils en avaient marre, mais je ne voulais rien savoir, je voulais juste en savoir plus.

Deux mois ça peut paraître long comme voyage quand on a douze ans mais pour moi ce fut trop court. Je ne voulais qu'une chose : y retourner. Evidemment, je savais que ce n'était pas possible, ce voyage avait déjà fait un gros trou dans le budget de mes parents. J'ai eu beau leur dire que s'ils utilisaient l'argent d'Harvard pour un autre voyage, je ne leur en voudrais pas, ils n'ont rien voulu entendre. Une chose était certaine, je devais au moins rendre rentable ces futures études : je ferai en sorte qu'elles me permettent de travailler auprès des animaux.


Il est difficile de dire adieu lorsqu'on veut rester, compliqué de rire lorsqu'on veut pleurer, mais le plus terrible est de devoir oublier lorsqu'on veut aimer.

Ah... l'amour. Qu'est-ce que c'est compliqué, l'amour. On me l'a répété maintes fis, surtout au collège et dans les bouquins. Pourtant, on peut dire que j'ai été chanceuse. Au lycée, j'ai rencontré celui que je voyais comme étant l'homme de ma vie. Je vous vois venir avec vos mises en garde, mais je vous jure que je ne pouvais pas imaginer meilleur petit ami. On s'est donc rencontré au lycée, on était dans la même classe et au départ, il ne me regardait pas du tout. Moi ? Je n'avais d'yeux que pour lui. Il n'était pas spécialement populaire mais il était beau, c'est tout ce que je lui trouvais. Comme toutes les adolescentes, je me suis fait des films, j'ai monté des plans pour me retrouver seule avec lui, j'ai tout fait pour qu'il me remarque, en passant par la nouvelle coupe de cheveux et les chaussures bien voyantes. Rien à faire, j'étais invisible et je commençais à penser que je faisais partie des loser.

Vint alors le bal de homecoming durant ma première année. J'ai pris mon courage à deux mains pour aller l'inviter, me disant que je ne perdais rien et ma grande surprise fut quand il m'invita le premier. Il s'avérait être un grand timide qui n'avait jamais osé me parler et qui avait rassemblé tout son courage pour m'inviter à être sa partenaire pour le bal. J'ai accepté sans hésité et c'est ainsi que notre histoire a commencé. Comme vous le savez, je ne suis jamais vraiment partie en vacances hormis le séjour en Afrique du Sud alors j'ai passé tout l'été dans ma petite ville et il était là, lui aussi. On a appris à se connaître et petit à petit on a officialisé la chose, en se considérant comme un couple. Ça aura duré deux ans. Les deux plus belles années de ma vie.

Qu'est-ce qui n'allait pas dans notre couple ? Rien. Tout était absolument parfait. On se disait tout, on avait les mêmes délires et on aimait les mêmes films et la même musique. On ne se disputait pour ainsi dire jamais et pourtant il y avait un sujet que l'on avait jamais abordé. L'université. En réalité, c'était moi qui ne l'abordait pas. Cela faisait environ dix huit ans que je préparais avec mes parents mon entrée à Harvard alors que lui, il voulait qu'on aille à la British Columbia University. Je ne disais rien, je ne savais pas comment dire les choses alors forcément, le jour où j'ai reçu ma lettre d'acceptation à Harvard, il a décidé de tout arrêter, se sentant trahi mais expliquant aussi qu'il ne voulait pas d'une relation à distance. Ce fut un énorme coup dur, j'essayais de négocier avec mes parents pour ne pas aller à Harvard, mais il en était hors de question. Tout était déjà réglé. C'est ainsi que j'ai perdu le seul amour de ma vie.


Alors, comme je n'étudiais rien, j'apprenais beaucoup.

Harvard. Le but de ma vie, ou de la vie que mes parents ont choisi pour moi. Je ne remercierai jamais assez cette voyante d'avoir mis ça dans la tête de mes parents, si je la retrouve, je lui jetterai un sort. Du coup, j'ai dû déménager à Cambridge. J'ai dû apprendre à vivre seule et quand je dis seule, c'est non seulement sans les parents mais aussi sans les frères dans les pattes et sans amis avec qui traîner. Sans mon amour de jeunesse. Ce n'était pas évident les premiers mois de changer de vie, en plus, je changeais de pays. J'allais enfin étudier dans cette grande université, d'un côté la médecine vétérinaire, de l'autre les arts visuels pour pouvoir continuer à pratiquer la photographie de manière justifiée aux yeux de tout le monde.

J'ai quand même réussi à me faire des amis, je ne suis pas du genre à rester seule, je ne peux pas et quand bien même ceux qui m'entourent ne sont peut-être pas de vrais amis, j'apprécie leur compagnie et ça m'a suffit. Je suis restée égale à moi-même, toujours aussi passionnée par les cours tout en restant la fille que j'ai toujours été. Je crois que le plus dur a été de ne pas penser à mon ex petit ami, à ne pas le rappeler et ne pas aller le voir pendant les vacances. Mais je me suis faite à la vie Harvardienne et en cette nouvelle rentrée, qui sait ce qui m'attend ?