STORY OF MY LIFE
please tell us more
BEFORE
« Alors, tu viens d’où ? », j’esquissais un sourire timide – quoique ce n’était qu’une mascarade. Elle devait avoir la trentaine, les rides n’avaient pas encore gagné le haut de son front mais son sourire était bien marqué sur les rebords de sa bouche. J’attrapais d’un geste agile mon verre afin d’humidifier mon gosier de l’alcool brun où siégeait un unique glaçon. La salle était encore vide, si on tendait l’oreille il était possible d’entendre la conversation des tables environnantes. Je posais un coude sur le bar, tout en scrutant ses yeux verts. « De Londres, mes parents ont une maison dans le centre mais je fais mes études à Edimbourg ». Fier de mon mensonge, je m’offrais une deuxième gorgée. J’étais un menteur professionnel, disons que j’avais une tendance à magnifier la réalité, parce qu’elle était bien triste – et pauvre. Je venais d’une petite bourgade où se trouvaient plus de bovins que d’êtres humains. Une ferme avait été mon toit durant plusieurs années, abritant mes frangins et mes parents paysans, des gens simples mais profondément gentils. Il n’était pas question de renier mes origines mais de les éluder, je n’étais pas très honnête comme garçon de toute manière. Disons que j’étais malin et que je n’avais pas peur de jouer avec les gens, j’me présentais souvent comme l’idiot de service afin de cacher qui j’étais vraiment ou alors comme celui que je n’étais pas : un homme relativement mature, qu’importe je m’adaptais à la situation. J’étais ce genre de mec insupportable qui faisait semblant d’avoir oublié sa carte au restaurant, qui grattait les bouteilles des autres aux soirées, qui s’incrustait dans les soirées mondaines et qui se faisait payer des verres par des femmes plus âgés dans les bars huppés. Mais je le faisais toujours avec une grande classe, à tel point que tout le monde m’adorait, mais personne ne savait qui j’étais vraiment – ou peut-être mon frère, mais il se gardait bien de me faire des reproches, n’étant pas irréprochable de son côté. Je me concentrais de nouveau sur les yeux de mon interlocutrice, ses cheveux blonds retombaient sauvagement sur ses épaules. Ce n’était pas la femme la plus belle du monde, mais j’étais prêt à en faire mon diner – tant que c’était dans une des chambres du palace, avant de retourner dans mes dix mètres carrés non chauffés dans le quartier le plus pauvre de la ville. Je n’étais pas en manque d’argent mais je ne roulais pas sur l’or, j’avais toujours un moyen de renflouer mes comptes bancaires : être débrouillard c’était le motto de notre famille, il le fallait bien, mes parents avaient une vie bien trop modeste pour répondre à mes attentes de la vie.
« Ouais maman, j’sais j’vais faire attention ». Je levais les yeux au ciel en préparant une valise de taille moyenne. En fait ce qui m’embêtait le plus dans toute cette histoire, c’était de suivre les pas de Douglas, je n’étais pas du genre admiratif et encore moins suiveur. Douglas, ce n’était pas non plus mon modèle dans la vie, surtout lorsque je le voyais avec sa copine. Bref, même si je n’étais pas un groupie de mon frère, comme lui deux ans auparavant je partais pour Harvard. Ouais, je savais, ça paraissait incroyable – presque hein, parce que ça serait une erreur fatale d’oublier mon intelligence suprême. Lorsque je l’avais vu s’épanouir là-bas, ça m’avait donné envie de sortir de ma routine écossaise – non pas d’abandonner mes vices habituels, mais de continuer à jouer mon rôle d’usurpateur autre part. Puis, j’avais de l’ambition, je voulais réussir afin d’arrêter de me jouer des petites vieilles pour m’offrir la vie dont je rêvais. Derrière mon sarcasme habituel et agaçant, mon apparence insensible et parfois trop légère sur des sujets sérieux, se cachait un petit homme qui avait envie de gravir les échelons. Alors, je m’envolais pour cette université avec de quoi survivre pendant une dizaine de jours, j’espérais intégrer une bonne confrérie afin de pouvoir compter (ou plutôt gratter ?) sur les autres. L’esprit d’équipe, c’était mon truc. Puis, ça n'allait pas être les vaches d’Edimbourg qui allaient me manquer, encore moins la météo douteuse et l’accent trop fort des paysans. Ma mère revenait du salon avec une boite recouverte d’un papier cadeau de Noël – on était en août, sûrement les restes de l’année passée. Je déchirais rapidement le tout, avant de tomber nez à nez avec un pull tricoté par ses soins, d’un orange vieilli. C’était un cadeau pour me porter bonheur apparemment, que c’était mignon… et affreux. En plus, j’étais bien obligé de le porter pour prendre l’avion, bah ouais il ne fallait pas décevoir ma petite mère. Je ressemblais au campagnard typique de ma bourgade écossaise lorsque je déposais mes pieds pour la première fois sur le sol américain, super. Qu’importe, je comptais sur mon charme naturel pour réussir, ce n’était pas un pull qui allait me discréditer.
DURING
« Alors Harvard, tu en penses quoi ? » demandait Douglas avec un sourire malicieux qu’il essayait tant bien que mal de cacher alors qu’il cherchait dans son réfrigérateur de quoi égayer notre soirée. Son sourire se transformait en satisfaction lorsqu’il brandissait deux bières avant de m’en tendre une. Je la décapsulais dans la foulée, laissant le son significatif de la pression d’air qui s’échappait de la bouteille répondre à ma place. Je n’avais pas grand-chose à dire, j’en pensais tout et rien. Je m’amusais, je racontais plus de bêtises que jamais et j’avais une super colocation mais j’étais devenu si ennuyant et sage que j’avais du mal à me reconnaître lorsque je regardais mon visage parfait dans le miroir. Pas de mensonges, pas de femmes trop vieilles à draguer, c’était compliqué d’endosser une fausse identité le temps d’une soirée puisque les étudiants étaient dans les quatre coins de la ville. Impossible de passer inaperçu, chose que je comprenais bien entendu, difficile de passer à côté de mon charme naturel. Néanmoins, je ne pensais plus qu’à cet ennui et je regardais d’un regard méprisant ces gosses de riches qui se contentaient de si peu : du matériel, de l’alcool et des histoires sans queues ni têtes. Je sortais de ma poche un paquet de cigarettes, il en restait une que j’allumais en me dirigeant vers le balcon, je laissais crépiter le tabac qui se consumait à mesure que je réfléchissais. Puis, je me décidais enfin à répondre à mon interlocuteur qui était trop plongé sur son écran de téléphone pour prêter attention à mon silence. Il commençait à devenir comme les autres. « Tu sais quoi ? J’me fais chier, je vais partir », c’était tout drôle de le dire que j'en frissonnais presque, ce n’était pas un échec, tout ne s’effondrait pas mais je venais de prendre une décision déterminante pour mon avenir en un instant et j’essayais de comprendre ce que cela allait impliquer. Mais en fait je m’en fichais : les bovins eux au moins n’étaient pas si ennuyants et il me tardait presque de les retrouver. Je n’avais pas trouvé ma place ici : d’un côté comprenez ma déception lorsque j'avais vite compris que personne n'allait bâtir un temple en mon honneur alors que j'étais d'ores et déjà prêt à recevoir des offrandes, nada. Je repartais bredouille retrouver la seule personne prête à me donner le bon dieu sans confession, ma mère qui malgré mon court temps à Harvard avait eu le temps de tricoter une écharpe et un bonnet pour aller avec le pull - la grande classe n'est-ce pas. Et puis quelle chance, elle n'avait pas chômé contrairement à moi, j'étais ravi. Mon sens de l’autodérision me soufflait même d’écrire ma propre bible histoire de créer un nouveau culte puis je me ravisais en me souvenant du triste sort de Jésus, j'étais un dieu grec de toute manière je devais juste trouver ma pythie.
NOW
Une odeur de légumes trop cuits envahissait la cuisine et l’ensemble de la maison mal isolée. Mon père avait bêtement trébuché lorsqu’il nourrissait les bêtes et il ne pouvait plus marcher. Il passait son temps à finir le peu de gnôle qu'il nous restait de l'année passée. Ma mère essayait de remplir nos ventres vides avec une soupe réchauffée toujours plus coupée à l’eau. Je faisais mine de ne pas le remarquer lorsqu’elle me demandait si je trouvais ça bon, répondant toujours par l’affirmative. Elle gérait à elle seule la ferme, les maigres récoltes et la vie à la maison; je l’aidais du mieux que je pouvais mais je n’étais pas un paysan dans l’âme. Les factures ne se payaient plus à mesure que les cernes de ma mère s’élargissaient. Alors, sans même réfléchir je prenais mon téléphone, composant le numéro de mon frère. Je pensais qu’il n’allait pas décrocher lorsqu’avant de passer sur sa messagerie, je l’entendais prononcer avec difficulté un « Oui ? ». Il était sûrement en train d'émerger d'une énième soirée. Inutile de lui faire comprendre la gravité de la situation, je ne voulais pas qu’il renonce à ses rêves par culpabilité - j’étais égoïste parfois mais pas stupide. Je soupirais en m’éclipsant rapidement à l’extérieur de la bâtisse abimée par le temps pour lui parler loin d’oreilles baladeuses. « J’ai besoin de toi, je vais revenir ». On pouvait penser que j’abandonnais ma mère à son triste sort mais que nenni : le seul moyen de changer la donne pour elle et l’ensemble de ma famille était de réussir mes études et gagner ma vie. De toute manière, ça allait faire une bouche de moins à nourrir et au fond lorsque j'annonçais à ma mère mon départ, je voyais un poids s’envoler de ses épaules. Alors, j’étais prêt à redécouvrir Harvard, l’Université avait accepté ma demande grâce à l’aide de Douglas. Un nouveau départ s’annonçait mais je n’étais pas prêt à suivre le même chemin que la première fois : moins d’erreurs, plus de sérieux mais surtout moins d’ennui, car aujourd’hui l’enjeu était bien plus grand que ma propre satisfaction. Mais ça n’allait pas m’empêcher de jouer l’imbécile tout de même, sinon ce n’était pas drôle. D’ailleurs pour divertir la galerie et soigner mon entrée, j’avais investi dans une belle paire de lunettes horriblement vieilles qui s’accordaient à merveille avec mon pull orange, la classe incarnée.