Les vacances ont touchent à leur fin et tu viens de quitter le Summer Camp pour retrouver le campus universitaire. Les cours n’ont pas encore repris et tu profites des quelques petits jours avant la reprise des cours pour reprendre ta thérapie avec ta psychologue. Cela fait plus de deux mois que tu ne l’as pas vu et c’est enfin le temps de faire une mise au point. Deux mois sans thérapie c’est.. épuisant. T’as pas arrêté d’avoir des trous noirs, de faire marcher ta mémoire pour essayer de te rappeler, de co-habiter avec tes alters-egos, de rattraper leurs conneries. Enfin, du moins quand ils se manifestaient. L’avantage d’être sous traitement c’est que les allers retours de tes alters-egos sont moins fréquents. Mais ils sont quand même toujours là. Il y aura sûrement aucun espoir de les voir quitter ta tête une bonne fois pour toutes, de les voir arrêter d’emprunter ton corps. Sauf si ta thérapie porte ses fruits et que t’arrive un jour à te rappeler du pourquoi et du comment t’en es arrivée à faire une TDI. Mais t’en es pas encore là, pas du tout en fait. Après tout, ça ne fait que presque cinq ans que t’es déclarée atteinte de cette maladie et à peine quelques mois que tu t’es posée avec cette psychologue.
Bref, t’as rendez-vous dans exactement deux minutes et t’attends dans la salle d’attente. Un magazine quelconque entre les doigts, juste histoire de t’occuper l’esprit. T’es toute seule. Faut dire aussi que t’es le premier rendez-vous de la journée. Parce que t’aimes bien commencer une journée par une séance avec ta psy. Ce qui est assez particulier, certes. Mais c’est comme ça. Les deux minutes sont passées et la porte de la salle d’attente s’ouvre sur une femme. Ta psy. Elle te fait un sourire avant de t’adresser la parole : « - Bonjour Yseult, vous êtes prête ? » Tu reposes le magazine à sa place et te lève de ton fauteuil, acquiesçant. « - Alors suivez-moi. » T’attrapes les clés de ta voiture et ton téléphone portable avant de te mettre à sa poursuite. Une fois arrivées dans son cabinet, elle ferme la porte derrière toi et vient prendre place derrière son bureau. Te désignant le fauteuil libre en face d’elle d’une main. « - Installez-vous. » Tu viens t’asseoir comme elle te le demande, croisant les jambes. Tu la regardes chercher ses notes et enfin, elle poursuit. « - Alors, comment vous sentez vous, Yseult ? Cela fait quelques temps qu’on ne s’est pas vues, racontez moi. » Tu souries légèrement. En effet, ça fait un petit moment et t’en avais des choses à raconter. Tu places une mèche de cheveux derrière ton oreille, avant de lui répondre. «
- J’vais plutôt bien. J’vous cache pas que l’été à été mouvementé.. en même temps, comment cela peut-il être autrement ? Bref, ça va. Naïs a pas trop fait de dégâts, du moins.. c’était réparable. Et sans grande imagination. J’dirai pas qu’elle s’est calmée mais ça aurait pu être pire que ça. » T’as cette légère impression d’être complétement dingue quand tu parles comme ça. Mais t’as cette sensation de liberté, aussi. Ce n’est pas à tout le monde que tu peux dire ça de manière anodine. Tu reprends. «
- Et puis, Oli ne s’est pas déclaré de tout l’été. Je dois dire que c’est un soulagement. Comme vous le savez c’est.. plutôt déstabilisant quand c’est Oli qui prends possession de mon corps. Naïs j’ai pris l’habitude, fin.. je sais pas comment expliquer ça. Mais Oli, la plupart du temps, j’suis consciente de ce qu’il dit et de ce qu’il fait. De ce qu’il me dit surtout. Puisque la co-existence fonctionne plus avec lui qu’avec Naïs. Et qu’il m’arrive d’avoir des discussions –non voulues- avec lui. Naïs vit sa propre vie alors qu’Oli est juste là pour pourrir la mienne. » Tu soupires légèrement, un peu mal à l’aise d’avoir dit tout ça à haute voix. Même si c’est ta psy. T’es toujours autant mal à l’aise de parler de lui. «
- Enfin bref, dans l’ensemble ça a été quoi. J’ai passé un agréable été et j’suis plutôt contente de reprendre les cours. » Tu souries à ta psy, remettant tes jambes bien comme il faut. « - Très bien. Et vos parents, vous les avez contactés ? » Tu tiques. Tes parents, un sujet que t’aimes pas aborder. Faut dire que t’as pas une relation parfaite avec tes parents. Et que ça ne date pas d’aujourd’hui. Tu te mordilles la lèvre inférieure avant de lui répondre. «
- Non.. je.. J’ai pas envie de leur parler pour le moment. Et s’ils avaient vraiment envie de me parler, ils savent très bien où me trouver. » T’es amère quand tu parles de tes parents. Et pour cause. Quand t’es née, t’étais la première. La petite préférée, celle qui faisait le bonheur de tes parents. Et puis.. Marloes est née. Marloes, ta petite sœur. Et puis, rien n’a jamais été pareil. T’es devenue transparente aux yeux de tes parents. Il n’y en avait que pour elle. Tu comprenais pas pourquoi. Pourquoi on te tournait le dos. Et puis au fil des années, t’as arrêté de chercher de comprendre et de chercher leur attention. T’as juste fais ta vie, comme tu l’entendais. Parce que même si t’avais des choses à leur dire, à l’époque, des choses qu’une gamine de dix ans ne pouvaient pas garder pour elle seule. Tu savais très bien que déjà, on te croirait pas. Et que le peu d’attention que t’avais, tu l’aurai perdu. Alors t’as juste continué à tout garder pour toi, à rester à ta place. Même si les conséquences aujourd’hui, c’est toi qui les payent. Et au prix fort. Parce que même si tu te souviens pas de beaucoup de choses par rapport à ton enfance –comme les abus sexuels répétés de ton oncle, des moments entiers de ton enfance et de ton adolescence même- ta maladie, elle, est là pour te rappeler que quelque chose ne va pas. Et t’as beau chercher, réfléchir, analyser, pour le moment rien ne te revient. Il suffit juste d'une question de temps et de patience. « - D’accord, on ne va pas continuer sur ce sujet-là dans ce cas. Je sais bien que votre relation avec vos parents est compliquée. Du fait de beaucoup de choses et d’en partie de votre maladie qu’ils ne comprennent pas forcément. Alors, on va couper court. » Tu la remercies du regard alors qu’elle poursuit. « - Avec Marloes, comment ça se passe ? Je sais bien qu’entre vous deux tout s’est toujours bien déroulée. Mais ce n’est pas le cas avec Naïs, n’est-ce pas ? » T’acquieces d’un léger signe de la tête. Il est vrai que t’en as jamais tenu compte à ta sœur, du fait que vos parents se sont éloignés de toi à son profit. Ce n’était pas sa faute. Et puis, tu adorais ta sœur. Mais ce n’était pas le cas de Naïs. Les rares fois où tu t’étais disputée avec ta sœur, c’était parce que Naïs avait pris possession de ton corps. Naïs en a après Marloes. Naïs en veut à Marloes. Et lui met tout sur le dos. Contrairement à toi. «
- Entre Marloes et moi, tout va bien. J’adore ma sœur et elle me le rend bien. Par contre avec Naïs.. c’est un peu plus délicat. Elle lui en veut à un tel point que je n’arrive même pas à comprendre pourquoi. Elle lui voue une haine tellement profonde que cela me fait peur. J’ai très franchement peur pour ma sœur quand c’est Naïs qui prends possession de mon corps. J’ai peur qu’elle lui fasse du mal. Mais Dieu merci, ça n’est jamais encore arrivé. Juste quelques engueulades par ci, par là. Mais rien de plus. » Tu regardes ta psy gribouiller ses feuilles de notes pendant quelques secondes avant qu’elle poursuive. « - D’accord. Bon, cette séance va s’arrêter là. Après deux mois sans se voir, je ne pense pas que cela soit favorable que l’on reprenne directement la thérapie. Une petite mise au point comme celle-ci suffit. Alors, à moins que vous ayez quelque chose de plus à me dire, je pense que nous en avons terminé pour aujourd’hui. » Tu ne prends pas le temps de réfléchir et réponds. «
- Non, je pense que ça va aller pour aujourd’hui. » Elle range ses notes dans un classeur avant de le remettre dans son tiroir. « - Dans ce cas, ça sera tout pour aujourd’hui . On se revoit donc la semaine prochaine. Même jour et même heure ? » T’acquiesces d’un mouvement de la tête. Et elle se lève. Donc toi aussi. « - Très bien, je vous raccompagne. » Tu la suis vers la porte de son cabinet. « - On se revoit donc la semaine et si vous avez le moindre problème, vous avez mon numéro de téléphone. Passez une bonne semaine ! » Tu souries légèrement, alors qu’elle ouvre la porte. «
- D’accord, merci pour tout, à la semaine prochaine ! » Et puis tu t’en vas.
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Les cours ont enfin repris et tu ne peux qu’en être contente. T’as toujours adoré étudier, en apprendre davantage. En savoir toujours plus. Et dans ta filière, t’es plus que servie. T’as choisi psychologie et neurologie. Pour une raison précise, en fait. T’espères que ça t’aidera à comprendre ta maladie, à te comprendre. Et le petit bonus, c’est que t’as tout de suite adoré tes cours. Et qu’aujourd’hui, tu ne te vois pas ailleurs. Cette filière est faite pour toi. Bref, c’est la fin de la journée. A l’heure où beaucoup prennent du temps pour s’évader, pour se vider la tête. Toi, tu plonges corps et âme dans ton travail personnel. Et à ce moment précis, t’es toute seule dans ta chambre en train de plancher sur un devoir qui t’en demandes beaucoup. Il est particulièrement dur mais tellement intéressant que la difficulté s’évapore d’elle-même. La fenêtre ouverte parce qu’il fait encore un peu chaud en fin de journée, t’entends à peine les étudiants qui discutent dehors. Jusqu’à ce qu’une musique attire ton attention. Un son que tu reconnais sans savoir forcément ce que c’est. T’as pas vraiment le temps de te demander d’où est ce que tu peux le connaître que tu sens déjà ton corps ne plus être tien. Un des alter-ego est en train d’en prendre possession. Tu sens que c’est Naïs et comme tu ne peux pas te débattre, tu la laisses faire. Naïs prends donc possession de ton corps. Et à ce moment-là, tu perds la place qu’il t’es dû.
«
- Bordel, quelle intello cette fille ! Toujours en train de bosser. Ça va pas se passer comme ça, on s’est déjà tapé toute une journée de cours, c’est pas pour en plus se prendre la tête sur un truc dont je me fous totalement. C’est parti ma grande, on va aller prendre du bon temps. » Naïs quitte sans attendre ta chambre et tu ne sais pas où elle va, ni ce qu’elle entends par « prendre du bon temps » mais ça ne s’annonce pas bien pour toi.