J. Shane Monroe ► Adrien Sahores

« Je n'suis pas sûr que ce soit une bonne idée. » Je ne sais pas vraiment si les gens qui m'entourent m'ont écouté parler, ou si je vais devoir leur cracher à la tronche pour qu'ils le fassent. Distraitement, je tire sur mon sweat-shirt qui n'arrête pas de remonter depuis les quinze dernières minutes. Il me fait chier, encore un peu et je le retire. « Tu nous fais chier. » « Au pire tu viens pas, hein. » Apparemment, ils ont entendu, mais ils ne sont pas contents. Ils ne le sont que rarement, de toutes façons. En même temps, avec des idées aussi débiles que celles que Peter vient de nous balancer à la tronche, c'est pas étonnant que des gens refusent systématiquement. Cette fois-ci, monsieur avait songé à partir aux Etats-Unis, là, tout de suite, parce qu'il aurait soit disant touché un bon pactole après la mort de son grand-père. Il est con, on part pas dans un autre pays comme ça. Surtout pas les Etats-Unis, faut être taré. On était sept, et parmi nous, au moins cinq l'étaient. Il y a Peter, donc. Il y a cette fille, cette blonde, accrochée à son bras comme une moule à son rocher ; je crois que sans lui elle n'est rien, malheureusement pour elle il la prend seulement pour un plan cul, faut être con pour ne pas s'en apercevoir. Il y a aussi ce type, saoulant au possible, un poil hyperactif sur les bords. Il mange au McDo tous les jours et a doublé ces dernières années. Il y a aussi cette autre fille, que je connais plus que les autres ; ma soeur, Tea. Elle est d'accord avec eux ; en vérité, elle s'en fout, je peux le voir dans ses yeux. Tout ce qu'elle veut, c'est aller là-bas, et foutre le bordel parce que la Finlande c'est plus assez bien pour elle. Elle veut baiser avec plein de mecs, boire, fumer, se droguer. Mon rôle de grand frère modèle devrait jouer mais ayant un an de plus qu'elle, j'ai pas grand chose à dire. Et cet autre mec, là-bas. Il fume un joint, il en est à son troisième de la journée et il n'est que dix-sept heures. Il baise ma soeur, du moins il l'a baisait, Tea ne me raconte plus trop ses ébats sexuels au petit déjeuner puisque, justement, elle rentre de soirées après le petit déjeuner. Je ne connais pas son nom, mais je crois que je m'en fous.
Et puis, plus loin, il y a.. elle. Elle, c'est la seule avec moi qui n'est pas trop chaude pour changer de pays comme ça. En vérité, je dis pas, mais je connais pas son avis. Ça doit bien faire une heure qu'on est là à débattre, et je ne l'ai jamais entendue parler. C'est aussi la première fois que je l'a vois. Je crois que c'est la soeur jumelle de la blondasse sans cerveau ; même si cette nana là est brune. Elles ne se ressemblent pas vraiment, mais je sais qu'elles sont jumelles, parce que leurs yeux disaient "c'est ma soeur". Elle est un peu en retrait, elle est assise là, sur le petit muret. Elle joue distraitement et discrètement avec un élastique à cheveux ; elle le tourne tellement fort que je pourrai parier quand est-ce qu'il va craquer. Elle regarde avec amour la mer devant elle, et personne ne lui parle. Personne ne lui a demandé son avis. Peut-être qu'ils ne veulent pas d'elle. Alors pourquoi serait-elle là si c'était vraiment le cas ? Je regarde à gauche ; Peter galoche sa meuf, encore un peu et il lui arrache la langue. Quel abruti. Ma soeur, elle, embête un peu le mec en surpoids et tire des lattes du joint du mec solitaire. Elle fait ce qu'elle veut. Moi, discrètement, je m'assois sur le muret au côté de cette fille. « Salut. Shane. » C'est un peu bizarre de se présenter alors que ça fait une bonne heure qu'on "traîne" ensemble. Elle tourne lentement la tête vers moi et son élastique craque. Elle fait une mine déçue et jette ce qu'il en reste dans la Mer Baltique. « Ana. » Elle jette un regard en coin derrière nous, les autres sont toujours occupés à faire leurs trucs débiles. Nous sentant seuls dans notre "bulle", elle sort une petite flasque de whisky qu'elle ouvre presque aussitôt avant de prendre une bonne gorgée. Putain. Elle retire la flasque de ses lèvres, me regarde avant de sourire et me tend l'objet. J'imagine que c'est ma récompense pour avoir été le premier à lui adresser la parole aujourd'hui. Ne rejetant sa proposition, j'entame à mon tour la flasque. Ça fait du bien, ça m'empêche de penser à ce con et à ses idées pourries.

uc.