SULLIVAN WRIGHT › Francisco Lachowski

Enfermé dans son monde, Sullivan était imperturbable, de son côté de la cour de récré. Tous les jeunes de son âge étaient en train de jouer ensemble, au ballon, quel qu'il soit. Lui ? Non, il était dans son coin, impassible et surtout en train de regarder son bouquin sur tout ce qu'il fallait savoir sur le corps humain. À défaut d'être très sociable, il était très curieux dans les sciences, et c'était bien ce qui le rendait différents des autres enfants de son âge. Et c'était ce qui poussait les autres à être méchant envers lui. Un ballon, c'est vite lancé, c'est vite incontrôlé.. et pas une fois il esquivait le jeune garçon dans son coin. À chaque fois, c'était sur sa tête qu'il atterrissait. On aurait pu croire qu'il en avait perdu tous ses neurones, mais non, il a la tête dure Sullivan et il se laissera pas intimider comme ça. Oui bon, c'est ce qu'il arrête pas de se répéter tous les jours avant d'aller à l'école mais à chaque fois que ça se produit, il ne fait rien, reste dans son coin. Jusqu'à ce jour... ce jour où une fille bien courageuse a décidé de prendre sa défense. Il la connaissait, de vue. Sa voisine d'en face. Ziggy, il a retenu le prénom. « Merci, mais t'aurais pas du, ils vont s'en prendre à toi » Et mine de rien, il n'avait pas envie qu'il lui arrive quoique ce soit. C'étaient les premiers mots qu'ils échangeaient et il arrivait à transmettre cette passion qu'il a pour prendre soin de ses proches. Non pas qu'il la considérait comme tel, en si peu de temps... mais voilà, c'est Sullivan. Pacifiste et gentil.

Cette rencontre, elle a changé sa vie. Ziggy, c'était rapidement devenu sa meilleure amie. Sa seule amie pendant un bon bout de temps. Elle, pourtant, elle avait cette facilité à créer des liens avec les autres et sûrement qu'avec le temps, elle réussirait à sortir cette faculté de chez lui. Ouais, enfin il ne fallait pas croire que ça fonctionnerait. Disons que Sullivan, il était assez atypique en son genre. Bien trop introverti, bien trop timide et réservé. Alors quand il devait se retrouver en société, c'était stress avant toute chose. Stress, anxiété. Un peu trop sujet à des crises assez violentes. Mais grâce à sa meilleure amie, il réussissait à surmonter tout ça, rendant ces crises bien moins fréquentes avec le temps. « Je crois que le fait que je sois dans l'équipe ça empêche les bully de s'en prendre à moi » Elle rigolait, haussant les épaules. « Tu vois, j'te l'avais dit que ça allait changer ta vie. Pourquoi t'avais si peur alors que ça t'apporte que du bon ? » Il baissait la tête, les pommettes rosies par la gêne. « Tu sais pourquoi » Avec le temps, il était un peu plus sociable, mais il n'en était pas moins introverti. C'était un effort considérable que de se créer des nouveaux liens ou encore bousculer ses habitudes quotidiennes. Intégrer l'équipe de basket du collège, c'était clairement un changement énorme pour lui, mais il ne le regrettait pas du tout. Le don, il l'avait et c'était ce qui allait le porter vers les étoiles, bien qu'il ne le savait pas encore.

Le lycée avait été proie aux changements pour les deux. L'adolescence, la puberté. Les changements de corps et d'esprit. Tous deux étaient devenus assez canons. Mais si Ziggy se sentait à son aise, sans difficulté pour se fondre dans la normalité, c'était loin d'être le cas de Sully, bien trop manche avec les filles pour faire quoique ce soit. Et puis, il n'avait pas non plus le temps. Le basket lui prenait énormément de temps, sa technique s'améliorant, son style se dessinant un peu plus à chaque match effectué. Il fallait pas oublier sa passion pour les sciences, surtout les mathématiques. Suivant les cours de mathématiques avancées dès la sophomore year, s'il n'était pas sur le terrain, il était à la bibliothèque. Et si c'était pas en ces deux endroits, il était avec Ziggy. C'était le but de sa vie tout ça. Et puis l'année d'après, c'était le choc de sa vie. « Ziggy, Ziggy... ZIGGY ! » Il courait alors vers sa meilleure amie, le sourire grand sur les lèvres et des étoiles pleins les yeux. « Ziggy, tu devineras jamais » Elle était posée face à lui, sourire aussi sur les lèvres, comme s'il avait réussir à être contagieux. « Quoi, t'as réussi à faire poo-poo dans les toilettes des vestiaires ? » Il la regardait perplexe, avant de reprendre son humeur enjouée. « Ugh, non, jamais. Non, c'est pas ça, j'ai eu une conversation avec un recruteur... Un recruteur de Harvard ! » « Depuis quand Harvard envoie des gens recruter au Canada ? » « J'en sais rien, je m'en fiche, ils veulent m'accorder une bourse complète pour que je sois dans leur équipe quand je serai diplômé. Harvard... Ziggy, Harvard ! » Et il la prenait dans ses bras. Elle savait ce que ça voulait dire.. il touchait son rêve de très près. Harvard, il en parlait depuis qu'il avait dix ans. Et là, il avait juste à bien jouer au basket pendant toute sa dernière année pour que les choses se passent bien. « Harvard, toi et moi. Tu viendras avec moi hein ? » C'était pas forcément son rêve à Ziggy, mais Sullivan tentait de la motiver pour qu'elle y aille elle aussi. Parce qu'il ne pourrait clairement pas le faire sans elle, c'est une certitude. Alors il faisait tout en œuvre pour que leurs dossiers soient tous les deux dans les meilleurs. Il l'aidait à remonter ses notes, parce qu'à côté de ça, elle avait tout ce qu'il fallait sur le papier. Puis le jour des résultats d'admission était arrivé. Les lettres étaient reçues et il se rendait chez elle avec sa propre enveloppe pour qu'ils puissent savoir ensemble, en même temps.

Ils l'avaient eu. Cette acceptation. Les deux ont été acceptés à Harvard et leurs parents avaient été plus qu'heureux. Enfin, ceux de Ziggy semblaient particulièrement anxieux. Mais ils avaient été rapidement rassurés par ceux de Sullivan. Du moins en apparence. Mais personne se doutait de ce qu'ils avaient fait. Ni Sullivan, ni Ziggy, encore moins leur entourage. Qu'importe, ils allaient tous les deux à Harvard et c'était tout ce qui importait. Il avait intégré l'équipe de Basket, il suivait des études poussées dans les mathématiques et la physique. Il n'y avait que sentimentalement que les choses étaient plus compliquées. Sullivan, il n'avait jamais connu de fille. Jamais. Celle qu'il voulait, c'était Ziggy. Sa meilleure amie, il en était amoureux depuis des années, peut-être même le premier jour. Mélangé à ça son incapacité à parler aux filles et son introversion et voilà qu'on se retrouve avec un célibataire endurci qui n'a jamais connu de relation amoureuse. Peut-être qu'un jour ça changera... ou peut-être qu'un jour, Ziggy lui avouera être amoureuse de lui et... non, ça sert à rien de rêver, il n'y croit plus vraiment. Du moins, c'est ce qu'il essaye de se convaincre.