FÉLINE B. SHAKESPEARE ► nina agdal

b]« Tu m’emmerdes, me suis pas !! »[/b] grogna Féline sans l’ombre d’une douceur, en espagnol, en pleine rue face à sa petite sœur de douze ans. Un peu dur comme traitement surtout lorsque l’on savait les problèmes de santé de la pauvre poupette. L’anglaise avait mal dormi, cauchemardé et pourtant, le petit déjeuner que sa mère avait fait livrer à son appartement avait rattrapé toute cette sale nuit. Seul aiguille dans la botte de foin, le fait qu’on ne lui colle sa sœur pour la journée ! Elle était occupé aujourd’hui, n’avait pas le temps ! En théorie, Féline n’était jamais occupé à rien d’autre qu’à emmerder son monde, prendre des risques inconsidérés et le tout avec un sourire qui aurait pu être utilisé pour une pub de dentifrice. Du moins, lorsqu'elle ne bossait pas son droit avec un acharnement proche de la folie. On s'attachait pourtant à la croire la dernière des branleuses lorsqu'il s’agissait de se pencher sur son cas. Insupportable, grossière, arrogante… l’équation parfaite. Souvent, elle n’était pas aussi injuste en présence de sa petite sœur, véritable merveille à ses yeux mais là, il fallait vraiment qu’elle se rende ailleurs et l’avoir dans les pattes ne pourrait que la retarder ou pire… percer son secret à jour. Mais il fallut que la brune ne l’entende pleurer pour se stopper net dans la rue, son sac de sport en main, affaissant soudainement les épaules pour éviter de hurler. « Ça va, chiale pas je t’emmène ! » décida-t-elle de but en blanc tout en soulevant la poupée aux longs cheveux châtains pour mieux la porter dans son dos, tandis qu’elle s’accrochait à son aînée comme à une bouée de sauvetage. Ils avaient énormément d’années d’écart – l'étudiante ayant vingt-quatre ans et la petite princesse seulement douze – mais sûrement était-elle celle la comprenant le mieux. Féline avait beau être la fille prodigue, la préférée de ses parents parce qu’elle savait briller en société comme personne – sans parler de son extraordinaire façon d’entourlouper son monde en à peine trois mots prononcés – mais hélas, le lourd poids que d'être héritière du nom « Shakespeare » lui pesait bien trop souvent sur les épaules et devoir s'occuper de sa jeune sœur ici, à Boston, tandis que ses parents vivaient à Londres... il y avait plus simple. Quant à lécher le cul de hautes personnalités ? Plutôt crever ! Féline préférait sa petite vie pépère, sans emploi du temps fixe, à demeurer un simple fils de la haute sans fortune tandis que sa mère continuait de ne pas tarir d’éloge sur sa personne et ce depuis qu’elle ouvert un œil sur ce monde injuste.

« Ça va t’es accrochée princesse ? » s’enquit-elle au bout de quelques secondes alors qu’elles allaient à pied à la conquête de Cambridge sans que Serena n’ait la plus petite idée de l’endroit exact où elles se rendaient au juste. Elle ne voulait simplement pas être en compagnie d’une énième nounou mais plutôt en compagnie de sa sœur adorée, qu’elle n’avait que trop peu vu lors de ces dernières semaines. Il faut dire que Féline l’avait plutôt évitée, sans lui donner d’explication particulière car c’était ainsi qu’elle agissait : la brune pouvait se la jouer pot de colle pendant des jours entiers et ne plus donner la moindre nouvelle pendant les mois qui suivraient. Sauf que là, en invitant son petit gnome à la suivre, elle se mettait lui-même en danger, personnellement. Enfin, le mot « danger » était un peu extrême surtout lorsque l’on savait ce qu’elle avait à cacher lui... mais Féline n’avait aucune envie d’être raillé jusqu’à la Trinité, elle ne le supporterait sûrement pas, au même titre qu’elle n’avait juste pas envie d’être connue de tout un chacun juste pour son nom et rien d'autre. Qui le méritait, après tout ? Tous ceux qu’elle connaissait n’étaient rien d’autres que des faux derches, des manipulateurs, des pisse-vinaigre… en dehors de ses amis proches bien entendu, bref, le gratin du gratin en un mot comme en cent ! « Maman a dit qu’il fallait pas que tu rentres trop tard… mais on va où Line ? » Du haut de ses douze ans, Serena ne manquait jamais de répéter le discours surprotecteur de leur mère, et ça, Féline en aurait donné sa main à couper. Mais il y avait néanmoins quelque chose de follement important à retenir dans les deux phrases prononcées par la petite princesse : elle était bien la seule personne sur cette planète qu’elle autorisait à l’appeler Line. Cela lui donnait l’impression d’être spéciale et puis… Serena avait toujours été une VIP en présence de sa secrète de frangine. La preuve, elle venait juste de la déposer sur l’une des nombreuses estrades à l’intérieur d’un cirque manifestement désert à cette heure-ci, et dans lequel elle avait autant d’habitudes que d’entrées. Sauf que la jolie brune voulait s’entraîner seule, sans public, et lors de ses rares représentations, elle avait toujours un masque : il fallait qu’elle pense à son anonymat après tout ! « C’est ici qu’on allait, princesse. Maintenant, je vais juste te demander d’ouvrir tes p’tits yeux et de ne pas poser de questions connes, okay ? Tu veux bien faire ça pour moi ? » Si sa mère l’entendait dire des mots interdits à l’éponge lui servant de sœur… elle se prendrait une baffe, à coup sûr. Mais par chance, aucun de ses deux parents n’était justement là pour se repaître du spectacle, ni même pour constater que justement, leur fille prodige n’était autre qu’un trapéziste au talent de virtuose…

Serena tint sa promesse : elle ouvrit grands ses yeux, sans mot dire, s’émerveillant devant la souplesse de sa sœur sur un trapèze, qu’elle soit à visage découvert ou bien yeux bandés. A de nombreuses reprises, elle applaudit en fan qu’elle se sentait déjà être, et ce bien que Féline ne l’entendait en aucune façon, bien trop concentrée qu’elle était à effectué les nouveaux mouvements qu’elle souhaitait expérimenter. Hélas, l’un deux n’eut pas l’effet escompté et machinalement, elle tomba dans l’immense filet en beuglant tout ce qu’il savait. « Putain, y’a pas idée d’avoir du matériel de merde à ce point ! Note à moi-même : acheter du matos qui valent vraiment le coup !! » L’anglaise était trop occupée à grogner qu’elle n’avait même pas vu sa petite sœur accourir vers le filet en larmes. Ce n’est que de longues minutes plus tard qu’elle s’en aperçut, émettant une grimace car vraiment, s’il y avait bien une fille ne sachant jamais ce qu’elle était censé faire face aux larmes d’une femme même miniature, c’était bien elle. Forcément, Féline descendit, tapotant soudainement l’épaule de Serena sans que sa grimace ne l’ait quitté d’une semelle. « Là, là » murmura-t-elle, persuadée d’avoir l’air d’une conne. « Tu devrais pas monter aussi haut ! Et même que moi je t’aime Line !! Et je veux pas que ton petit cœur il exploseuh ! » L’espace de quelques secondes, la jeune femme écarquilla deux grands yeux surpris avant d’éclater d’un rire brut. « Vraiment, si t’existait pas, faudrait t’inventer ! D’où tu sors ces conneries en prime ? Laisse-moi deviner, c’est Maman qui te surveille parce qu’en théorie elle veut pas que je fasse de sport, pas vrai ? Faudrait qu’elle me dise d’ailleurs si le sport en chambr… laisse béton c’est du ciment. Mon cœur va pas exploser ! Allez, viens-là espèce d’idiote ! » En théorie, il n’allait pas exploser. Mais Féline était la première à être consciente qu’une telle activité physique, qui plus est en altitude comme ça finirait par avoir sa peau. Pourquoi s’en faire pour son toc d’acheteur puis de jeteur compulsif, pour sa future carrière ou même pour tous les cœurs qu’elle laissait toujours brisés derrière elle ? Au moins, actuellement, elle faisait ce qu’il aimait le plus, en dehors du droit, dans l’anonymat le plus complet, avec l’aide d’un fou de trapèze… et enfin trapéziste lui-même. N’était-ce pas le meilleur ? Il ne demandait rien à personne, se foutait des conséquences, y compris du fait de mourir jeune. Elle n’aurait pas à s’en faire pour sa retraite au moins, et c’était sûrement la principale raison pour laquelle elle refusait de se trouver un boulot plus « stable » ou freinait des quatre fers dès qu’on l’emmerdait à ce sujet. « Allez princesse, on va rentrer, mais pas un mot à Maman ou j’t’arrache tes couettes. » plaisanta-t-elle en reprenant sa petite sœur sur le dos, trop contente que ses parents soient à Londres et uniquement disponibles sur Skype en ce moment. Au moins, Féline savait que Serena garderait sûrement son secret bien gardé, et continuerait à venir la voir faire joujou sur un trapèze aussi longtemps qu'elles vivraient ensemble à Boston...