LOU-SWAZIK LYZLOV ☼ ANDREJ PEJIC.

Quand est-ce qu'une vie devient-elle assez intéressante pour mériter d'être narrée ?
INTÉRESSANT ▬ qui est digne d'intérêt ; qui n'est pas ennuyeux ; qui excite la sympathie ; qui est utile à quelqu'un ; qui charme l'esprit ou le cœur. L'intérêt est donc une notion subjective qui varie en fonction de l'individu, de son passé, de ses idéaux et de ses envies.
La question devrait plutôt être : quand commence-t-on à vivre ?
VIVRE ▬ être en vie. Définition d'une naïve simplicité. D'autant plus intime, comme interrogation.

C'est lorsqu'il appose sur une feuille vierge son crayon à papier, sur une copie quadrillée son stylo à bille, ou encore sur la touche circulaire de son appareil photo son doigt fin, qu'il se sent le plus vivant. Depuis toujours, il se réfugie dans l'art. Peu importe son état d'esprit, qu'il se sente mal, triste, nostalgique ou heureux. Chacune de ses émotions, il les utilise, les canalise pour créer. Faire crier les mots qui fâchent, les mots démodés.

Garçon-fille, l'allure stupéfiante. Son physique androgyne lui est tout aussi défavorable qu'il peut lui être avantageux. Ambigu jusqu'au fond des yeux. Cheveux longs, blanc décoloré, des traits fins, une silhouette filiforme. Sans genre. Son côté féminin est physiquement exacerbé au possible, mais ne se ressent pas réellement dans sa personnalité. Si tant est qu'il y est différentes personnalités selon le sexe de la personne... Il joue de son allure féminine pour 'combattre l'homophobie'. Il ne ment à personne, dit les choses de façon tortueuse mais jamais fausse. Il ne cache pas qu'il est un homme, mais ne dément pas le fait d'être une femme. Et ces hommes généralement trop virils et incroyablement machistes tombent sous le charme de cette frêle demoiselle au visage anguleux. L'instant magique où l'image se brise, où le voile se relève pour laisser place à la réalité, est simplement immanquable. Le grand choc pour les plus vicieux. Il n'y a, pour le moment, eu aucune représailles, les victimes de ce jeu se trouvant bien trop humiliées pour oser donner suite et risquer d'ébruiter cette histoire honteuse. Avouez que je vous ai bien eu.

Il arpentait souvent les trottoirs de Samara, vendant son corps trois fois rien. Non pas qu'il ait eut besoin de ces quelques billets pour pouvoir vivre décemment, mais il ne souhaitait rien devoir à ses parents. Sa vie, il estimait que c'était bien suffisant. Il n'était pas forcément fier de la façon dont il parvenait à gagner sa vie, mais il aimait cette vengeance sur sa famille. Alors même que personne ne devait savoir ce qu'il faisait lorsqu'il sortait jusqu'à tôt dans la matinée. Pas qu'il n'aime pas ses parents, non plus. Seulement, rebelle et provocant, il était dans une période où il aspirait à vivre seul, prendre son indépendance. Il voulait courir le monde, qu'il s'offre à lui, tout dominer, s'asseoir au sommet. Prince de la ville, qui s'illumine. Mais les rêves sont fait pour être brisés, ou au moins pour ne pas être exhaussés ; sinon, quel espoir nous reste-t-il ? Se prostituer était excitant, lui plaisait. Il était désiré, payé pour faire quelque chose qu'il aimait, on lui offrait toutes sortes de choses plus ou moins dispendieuses et on l'invitait dans les soirées les plus appréciées. Jusqu'au jour où le vernis s'écailla et que les paillettes ne brillèrent plus... On finit vite sur le trottoir, perdus cette nuit. À intervalle régulier, il marchait dans des ruelles sombres, peu fréquentées, malfamées. Parfois seul, parfois avec un ami. Son seul véritable ami, en fait. Cette nuit-là, il était seul. Les alentours n'étaient pas différents de d'habitude, lui non plus. « Dis-moi, dis-moi combien tu coûtes ? » Un groupe d'hommes, qu'il avait entendu arriver de loin mais auquel il n'avait pas prêté attention. Le meneur s'avance, un sourire malsain collé aux lèvres. « Combien faut-il pour que je goûte à tes talents, tes baisers ? » Cette rencontre, il ne la sent pas bien. Perché sur des talons trop hauts dans un short de cuir noir, il maintient un sourire de circonstance mais sa gorge se sert et son cœur cogne douloureusement dans sa poitrine. « Dis-moi, dis-moi si ça te chantes que je te prennes par les hanches, une jambe de chaque côté ? » La suite... Mélodramatique. Un véritable cauchemar. Violé, tabassé, laissé pour mort. Avant de sombrer dans une inconscience bénéfique, quelques mots lui parviennent, ironiques : « T'es qu'une pute des bois, tant pis pour moi. », et une orgie de rires gras. Je m'endors dans l'asphyxie générale.

Et on se prend la main. Quelques semaines plus tard, il s'enfuit de Samara avec son ami pour gagner Cambridge, dans le Massachusetts. Préalablement il a 'emprunté' quelques milliers à ses parents, qu'il se promet de rembourser si un jour il le peut. Il troque le prénom de Aelig pour son second, Lou-Swazik ; dans l'optique de laisser derrière lui tout ce qu'il souhaite simplement oublier. Il passe les examens d'entrée à Harvard avec brio et suit depuis maintenant deux ans des études de psychologie.