FAUVE PEROL ► blanca padilla

L'automne commençait à pointer le bout de son nez, j'observais le regard dans le vide les feuilles qui perdaient leur couleur, prêtent à tomber et à recouvrir le paysage d'un orange rassurant. Je sentais une pression s'exercer sur mes épaules, puis un baiser venait se déposer sur le haut de mon front. Je balançais ma tête en arrière, un sourire béat aux lèvres. Un jeune homme décoiffé dans un accoutrement délabré me regardait, c'était Ulysse. Il venait de se réveiller, c'était sa petite habitude de dormir jusqu'au milieu de l'après-midi le dimanche. Il déposait dans le coin de sa bouche une cigarette, prête à se laisser consumer grâce au briquet que je lui tendais. « Tu crois que je vais m'y plaire là-bas ? ». Ulysse n'était pas de la bourgeoisie parisienne, c'était un acteur, ou du moins il tentait de se faire un nom sur les planches de petits théâtres de la capitale. Ça ne marchait pas très bien. Son appartement ne dépassait pas les vingt-mètres carrés mais il disposait d'une vue incroyable sur les hauteurs du neuvième arrondissement. La rue des martyrs était pleine en ce jour de vide-grenier, pendant que certains négociaient une montre qui ne remarcherait sûrement jamais, une petite fille faisait les yeux doux à sa mère pour qu'elle daigne lui acheter cette poupée qui avait déjà trop vécu. « J'sais pas Fauve, tu as choisi de partir, tu n'étais pas obligée ». Je levais les yeux au ciel, bien évidemment que j'étais obligée de faire des grandes études, j'étais une Perol. Je m'approchais du tourne-disques et je lançais ce qui se trouvait déjà sur la platine. Dans une dizaine de jours je devais quitter Paris pour retrouver Harvard où se trouvait déjà mes frères, parce que c'était comme une tradition familiale et que c'était rassurant de suivre un chemin déjà tracé. Même si j'avais décidé d'étudier le journalisme, faisant un affront brutal aux ambitions de mon père, ma sagesse l'emportait. Je n'étais pas du genre rebelle, bien au contraire. Ulysse le savait, j'étais son contraire quelque part. Je le ramenais sur terre lorsqu'il s'imaginait en haut de la fiche alors qu'il n'avait même pas de quoi se payer une bouteille d'eau. « Tu vas te faire manger Perol, tu le sais, t'es pas prête pour tout ça… mais je suis persuadé que tu seras exceptionnelle, dans dix ans tu seras sûrement à la tête du département mode d'un grand journal, pendant que moi j'serais toujours là, en train de galérer, alors arrête de t'apitoyer sur ton propre sort ». Je lui lançais un regard mesquin, bon dieu ce qu'il pouvait m'énerver. Je m'approchais de lui alors qu'il jetait son mégot par la fenêtre, d'un geste brusque je prenais sa tête entre mes mains pour jouer avec ses cheveux. « Tu arrêtes de dire des bêtises, mais promis dans dix ans je viendrais vérifier ta théorie, pour te prouver que tu avais tort » dis-je avec un clin d'œil, sans y croire vraiment. J'aimais Ulysse, vraiment mais ses ambitions étaient… démesurées et irréalistes. J'étais bien trop gentille pour lui avouer, puis je n'étais personne pour lui dicter sa vie. On avait trop essayé de me dicter la mienne. Alors, je m'emparais une dernière fois de ses lèvres, prête à lui dire au revoir. Prête à tout quitter, mes habitudes et ma vie parisienne. Je n'aimais pas être chamboulée dans mes habitudes, j'étais du genre à éviter le moindre bouleversement pour continuer ma routine. Mais cette fois-ci, je devais sauter, puis ce n'était pas mon genre de me plaindre, je prenais souvent sur moi pour ne pas montrer qui j'étais vraiment, ce petit être naïf mais ambitieux.


« Salut Ulysse, j’espère que tu vas bien. Ça me fait bizarre de t’écrire, vraiment. J’aimerais te dire que j’ai changé, mais non, je suis toujours la même. On a réussi à me mentir des milliers de fois sans que j’y vois quelque chose, on a essayé de me salir sans même que je le réalise mais je suis toujours présente et j’avance, tant bien que mal. Louve est venue étudier à Harvard également, je suis contente de la savoir avec nous, on est tous réunis et c’est sûrement mieux comme ça. On pourrait croire que la folie d’Harvard allait me gagner, mais non, pas un pas de travers, pas une frasque… je ne sais pas si je suis heureuse comme ça. J’aime les gens, j’aime être ici et j’aime profondément ce que je fais. Mais parfois, j’me demande si c’est vraiment ce que je veux tu vois ? J’suis pas du genre à me poser beaucoup de questions, j’avance sur ma petite barque en évitant les courants trop forts… mais j’aimerais parfois qu’une tornade apparaisse sans prévenir. Une tornade comme toi. Je n’ai même pas l’intention de t’envoyer cette lettre, c’est sûrement le plus pitoyable. Je te vois déjà accoudé au bar en bas de chez toi, en train de commander ta bière habituelle. Cette vie si aléatoire que tu as, je n’ai jamais réussi à la comprendre tu vois. Ça me fait rire les gens qui ont besoin qu’on les dévergonde, moi ce n’est pas ça dont je te parle. Moi aussi j’suis capable d’aller me déhancher et d’avaler n’importe quelle substance, j’ai besoin de personne pour ça. Mais ce n’est pas ça dont je te parle, j’ai l’impression de m’ennuyer et que rien ne peut y remédier. En fait je crois que je suis ennuyante comme personne… c’est mon caractère, qui je suis. J’aimerais y changer quelque chose, comme quoi on peut être artiste, altruiste mais ennuyante. C’est le comble quand même. Alors j’attends tranquillement et j’écris dans le vent, sûrement que ça m’aide un peu, puis je ne suis pas à plaindre. Je t’embrasse. Fauve. »