APOLLINE O. IOANNIS ► Erin Heatherton

N'oublie jamais ce que je t'ai appris Apolline... il ne faut jamais mentir à ceux que l'on aime ! Ce furent les derniers mots que la jolie grecque entendit de la bouche de son père, emporté par un cancer foudroyant en quelques mois à peine. Sur son lit de mort, elle lui avait promis de tout faire pour ne pas rester une crève misère et pour, envers et contre tout, toujours dire la vérité à celles et ceux qu'elle aimait. La famille Ioannis, pourtant connue dans la belle ville d'Athènes, se contenta d'une incinération et d'une petite cérémonie des plus discrètes, préférant pleurer dans son coin. Mais la blondinette, elle, crevait de hurler sa douleur. Ce père, ce modèle perdu, lui manquait atrocement, au moins autant qu'à sa mère. Pourtant, malgré son caractère flamboyant, à aucun moment Apolline n'alla contre le désir de sa génitrice. Jamais. Elle respecta jusqu'au bout sa façon de supporter le deuil, se contentant de son côté de partir près d'une petite colline, où les cendres de son père avaient été jetées dans la mer, pour lui parler quotidiennement. Une façon de communier avec l'âme de ce modèle dont elle aurait tellement besoin des conseils...


De longs mois s'étaient écoulés depuis le terrible drame, et Iris, la mère de la jolie grecque, courbait l'échine sous une montagne de dettes laissées par son mari. Dettes dont Apolline découvrit par hasard l'existence, un soir, alors que sa génitrice faisait les comptes en la pensant couchée. A l'entendre ainsi parler seule, s'exprimer et se demander comment elles pourraient s'en sortir sans un miracle glaça littéralement le sang de la jeune adolescente, alors âgée de dix-sept ans à peine. Sur le moment, elle remonta dans sa chambre, incapable de dormir, son esprit bouillant sous la montagne d'idées fusant de part en part. Il fallait soulager sa mère, et la soulager vite... quoi de mieux pour cela que de partir étudier à l'étranger ? Son dossier était bon, cela valait le coup d'essayer. Ce fut pourquoi, le lendemain, elle se mit en quête de toutes les universités les plus prestigieuses du globe, envoyant son dossier en priorité à Harvard. Ce fut le déclic... surtout qu'elle eut une réponse de cet établissement en premier lieu. Il ne fallait ensuite qu'amasser l'argent suffisant pour le billet d'avion et les frais annexes, ce qu'elle fit en multipliant les petits boulots : cours aux plus jeunes de son quartier, concours de danse, babysitting... la blondinette ne reculait devant rien pour réussir à soulager sa mère d'une part, et à réaliser son rêve de voyager d'autre part. Une fois la somme suffisante amassée, l'adolescente se pointa sa lettre en main devant sa mère, pour lui présenter les faits. Est-ce que tu es devenue folle ? Tu crois que je vais te laisser partir à l'autre bout de la planète sur un coup de tête ? Tu ne connais pas les États-Unis ! Ce ne fut pas évident de la convaincre, et pourtant, Apolline avait pris sa décision. Je suis au courant pour les dettes. Je sais que tu ne t'en sors pas avec moi... non, inutile de me dire le contraire, je t'ai entendue dernièrement ! Partir, c'est te sauver, et me sauver moi aussi. La suite de la discussion fut particulièrement houleuse, sa mère refusant qu'elle prenne ce prétexte pour partir à l'autre bout du monde. Mais la situation s'apaisa quelques semaines plus tard, alors que la date fatidique du départ arrivait... une façon comme une autre de lui faire comprendre qu'elle avait réfléchi et que ce qu'elle désirait n'était pas extravagant... mais incroyablement altruiste. J'aurais voulu que ton père soit là pour assister à tant de détermination de ta part... tu vas atrocement me manquer ma chérie, et j'ose espérer que tu reviendras au pays pour voir ta vieille mère de temps en temps mais je n'ai pas le droit de t'empêcher de vivre ta vie. Je devrais plutôt m'estimer chanceuse d'avoir une fille jolie et ambitieuse !


Impossible d'imaginer que, peu de temps avant le départ d'Apolline pour les États-Unis et sa nouvelle vie pleine de promesses, elle et sa mère seraient entendues par les autorités. L'adolescente fut au bord de l'implosion alors qu'on lui décrivait son père, aujourd'hui décédé, comme le responsable du meurtre d'un jeune enfant d'à peine sept ans. Une balle dans la tête. Si sa mère demeura complètement stoïque durant tout l'entretien - prouvant qu'elle était au courant de l'affaire - la future étudiante s'écroula littéralement, s'échappant de la salle d'interrogatoire, les larmes s'écoulant traîtresses contre ses joues. On lui laissa quelques minutes pour digérer, et durant ce laps de temps, son esprit réclama Emrys. Son ami d'enfance qui bénéficiait d'une confiance aveugle de sa part, certes, mais pas seulement. A ses yeux, il avait toujours été bien davantage. S'il avait fait ne serait-ce qu'un geste, un signe, la jolie grecque aurait fondu dans ses bras comme neige au soleil. Un sentiment ne l'ayant jamais quittée, et qui ne la quitterait probablement jamais car effacer son premier amour relevait du crime... mais leurs chemins s'étaient éloignés l'un de l'autre. Suite au décès de son père, aux multiples petits boulots qu'elle avait dû fournir pour se garantir une chance d'intégrer Harvard, Apolline elle-même n'avait pas été en mesure de lui donner beaucoup de nouvelles... jusqu'à ce qu'elle sache que l'aîné Zacharias n'était plus à Athènes. Lui aussi vivait désormais sa vie, loin, même si égoïstement, aujourd'hui elle aurait rêvé pouvoir se blottir dans ses bras. Tout oublier. Rien qu'une toute petite fois. Hélas, on l'a tira rapidement de sa rêverie, la tirant par le bras pour la ramener jusqu'au bureau du responsable interrogeant encore sa mère. Cette dernière était désormais responsable d'une ultime dette : celle des dommages et intérêts dus à la famille de l'enfant défunt. Coup de massue pour Apolline, qui tenta de soutenir sa mère en rentrant à pied jusqu'à leur maison. Mais sa génitrice ne dégoisa pas le moindre mot. Au début, la jeune fille pensait qu'elle accusait simplement le coup, mais non, elle maudissait intérieurement son mari de l'avoir laissée seule avec les emmerdes...


Les jours passèrent et Apolline tenta à maintes reprises de proposer à sa mère de lui donner son pécule récolter, afin de l'aider à payer une partie de la dette. Petite partie bien entendu, puisque ladite dette s'avérait conséquente. Mais Iris refusa en bloc. Et piétiner ton rêve parce que ton père a pété les plombs ?! Hors de question jeune fille ! Tu vas t'en tenir à ton plan initial, à savoir prendre ton avion dans trois jours, partir à Harvard, suivre un brillant cursus et surtout, rendre ta mère fière, tu m'entends ?! La voix de sa génitrice n'aurait pas souffert la moindre contradiction de toute manière, si bien que la jolie grecque cessa bientôt d'insister, se contenta de changer les idées à cette dernière tant qu'elle le pouvait, tant qu'elles se trouvaient sur le même continent. Tu veux pas que j'sois la fille du meurtrier en vrai, c'est ça m'man ? Tu veux que j'aille vivre loin, où personne me connaît... mais toi dans l'histoire ? Toi tu s'ras sa femme, c'est pire ! C'est injuste. Injuste pour toi. Il fallait que ce soit dit. Iris aurait pu pousser une nouvelle beuglante, tenter de raisonner sa fille têtue mais c'était peine perdue, surtout qu'elle avait totalement saisi le pourquoi du comment elle la poussait à maintenir son départ, quoi qu'il advienne. Elle s'assit sur le lit, entraînant sa fille avec elle pour mieux la serrer dans ses bras. Tu as toute la vie devant toi, mon petit ange. Tu vas vivre des expériences merveilleuses, tomber amoureuse, te révolter contre le monde, effrayer les américains avec ta façon de parler grossière... si on ne te passe pas la bouche au savon, tu auras de la chance ! Rire commun. Je veux que tu vives tout ça, et que ce ne soit pas entaché par les erreurs de ton père. Jamais. Tu vas m'en faire la promesse, aujourd'hui, maintenant. Prendre cette avion sans te retourner. Après avoir pris le visage d'Apolline en coupe et planté profondément son regard dans ses yeux émeraudes, sa mère attendit sa promesse orale. Une promesse qui lui permettrait au moins de ne pas trop s'en faire pour elle. J'te le promets m'man... murmura-t-elle avant de la serrer à nouveau dans ses bras, tandis que sa révolte intérieure ne faisait que croître de seconde en seconde. Trois jours plus tard, elle prit effectivement cet avion pour sa nouvelle vie, et Harvard, en se faisant à elle-même la promesse de devenir avocate. Afin qu'aucune autre bavure de ce genre n'advienne plus jamais et qu'aucune autre mère de famille respectable n'ait à payer pour les erreurs de son mari défunt...