MELUSINE DWYER ► madelaine petsch

Les voix de mes parents raisonnent dans la pièce d'à côté. Il ne crient pas, cela ne part pas dans les aigus, et pourtant je sais que c'est sérieux. Aussi sérieux que chaque discussion qui précède les fameuses réunions familiales, visant à re-discipliner ma fratrie. Cette fois-ci, je ne m'étais pas faite remarquer pendant six mois, un record quand on sait que je suis la dernière et donc l'une des plus turbulentes de la famille. Mes parents ne supportent pas le désordre ou qu'on leur désobéissent. Ils ont une vision qui leur est propre de la vie, de l'éducation, et il leur est inconcevable qu'on puisse penser différemment. La main de ma grand-mère vient se presser sur mon épaule. Je lève les yeux vers elle et remarque sur regard empli de douleur. Elle n'aime pas me savoir dans une telle situation. Elle m'a toujours dit que j'étais spéciale et que j'étais son rayon de soleil. Tandis que mes parents tentaient d'amoindrir mon imagination et mon hyperactivité, ma grand-mère elle, m'a toujours encouragée. C'en est à se demander si elle est bien la mère de mon père. Tous les sépare, comme tout me sépare de lui. Mes parents finissent par revenir dans la pièce, le visage fermé, les bras croisés sur leur poitrine. Je les entends parler, ils m'annonce que je dois me calmer, que je serais à nouveau punie, jusqu'à ce que je comprenne la leçon. Je soupire, mais je n'essaye même plus de me battre. Je jette un coup d'oeil à mon père avant de monter dans ma chambre, consciente que je ne mangerais pas ce soir ni demain. Il n'y a aucun sentiment dans son regard. Il m'observe comme si j'étais une cause perdue. Il ne sait plus quoi faire de moi. Je comprends, ils ont eu six enfants avec moi, ils sont fatigués et ont peur d'échouer. Parfois, il lui arrive néanmoins de me regarder avec bienveillance, jusqu'à ce que je le déçoive à nouveau. Un jour, ils finiront par se lasser, baisser les bras. Par comprendre qu'ils n'ont pas à vivre à travers moi, mais simplement me laisser vivre.


Je mets toutes mes affaires en vrac dans un gros sac. J'ai pas trouvé mieux, j'avais laissé ma valise à une amie, et il était hors de question que je reste ne fut-ce qu'une heure de plus dans cette chambre. J'essaye de ne pas trop regarder autour de moi. Ne pas remarquer ma lampe de chevet brisée, mon lit en bataille et mes bibelots au sol. Une scène de guerre, une scène de cauchemar. J'ai pas envie de me souvenir de ma chambre de cette façon, mais au fond de moi, je sais qu'il est déjà trop tard. Je ne pourrais plus mettre les pieds ici, ni même au sein du reste de la Cabot House. Je me demande même si j'arriverais à retourner à Harvard demain matin, pour mon prochain cours. J'ai les mains qui tremblent, tout mon corps tressaille lorsque j'entends le moindre bruit dans le couloir. A chaque fois que je ferme les yeux, je me vois, essayant de m'endormir. Puis je sens sa main plaquée sur ma bouche, le poids de son corps sur le mien. La sensation se fait tellement persistante que j'ai l'impression d'y être à nouveau et que je dois me relever pour courir jusqu'au toilettes. Expulser tout ce dégoût qui réside au plus profond de mon être. J'ai toujours su que le monde et sa réalité pouvaient être horribles sans jamais vouloir y croire, mais jamais jusqu'à présent je n'avais ressenti un tel désespoir. Un point de non retour. J'ai perdu mon innocence, pour de bon cette fois, incapable de voir à nouveau la bonté en autrui. Je me redresse en prenant appui sur le lavabo à côté et me rince la bouche. Une fois debout, j'inspire profondément, les yeux clos, puis les rouvre afin de retourner à mes affaires. Je n'ai pas terminé de les emballer.


De la terre séchée sur le bout des doigts, mon bouquin sous le bras, je m'apprête à aller en cours. Je soupire en voyant mon reflet dans le miroir. Une élève studieuse qui a à nouveau réussi ses derniers examens haut la main, mais aussi une élève qui se cache derrière sa carapace et qui ne prend plus le temps de vivre pour elle. Mais dans mon malheur, mes parents eux semblent être relativement fiers de moi. Bien sûr, mon choix d'études ne les réjouit pas, mais au moins je file droit. Ils ont des nouvelles de moi par le biais de ma grand-mère, qui m'envoie une lettre chaque semaine. C'est grâce à elle que je suis à Harvard. D'ailleurs, dans son dernier courrier, elle m'a convaincue de rejoindre à nouveau une confrérie, de préférence la Lowell House et après mure réflexion, je me suis dit que je le ferais peut-être à la prochaine rentrée. Car je ne voulais plus devoir esquiver ses questions sur mon départ de la Cabot House. Elle lit en moi comme dans un livre ouvert, même à travers quelques lettres échangées au cours des années. Elle sait que je ne lui ai pas tout dit, mais je considère qu'il n'y a rien à dire. Je souhaite juste aller de l'avant, montrer ce que je vaux. Être jugée pour ce que je suis capable de faire et non ce que j'ai pu subir. Personne ne sait ce que j'ai vécu et c'est probablement mieux comme ça. Mon propre regard plein de pitié sur moi-même est suffisant, pas besoin d'avoir celui des autres.