MARY-V. BELSHAZZAR ► Adèle Exarchopoulos

C'est une fille ! - "Nous avons l'immense joie de vous annoncer la naissance de Mary-Victoria, le 10 Novembre 1997 dernier à 5 heures du matin ; les visites à la maternité Barkantine sont les bienvenues." Mary grandit dans un petit appartement au cinquième étage d'un immeuble comme les autres à Tower Hamlets, facade repeinte en rose tout les cinq ans, tentative hypocrite d'imposer la gaïté dans un endroit où les aides financières seraient pourtant plus convoitées que les coups de pinceaux. Sa mère porte la famille à bout de bras, le dos un peu plus courbé à chacun de ses ménages, et son père, lui, pourtant bien présent pendant les premières années, se lasse vite de cette vie modeste et erre dans le quartier, entre relations adultères et beuveries amicales. La petite Mary se révèle être très éveillée au monde qui l'entoure, parfois trop au goût de sa mère qui la réprimande beaucoup. À l'école primaire, elle impressionne par sa maîtrise de la langue de Shakespeare, sa façon de penser très concise et ses réflexions étonnantes sur l'actualité. Elle voit naître Allen, de trois ans sa cadette. La fratrie ne connaîtra jamais de complicité folle, mais les premières années de vie de Mary resteront celles durant lesquelles elle se sentit la plus proche de sa petite sœur, veillant sur elle quand sa mère était au travail. Malgré les suggestions appuyées de ses professeurs, Mary n'est pas envoyée à l'internat prestigieux qui lui ouvrait les portes, mais au collège de son district, faute de moyens financiers. La jeune fille est plutôt sociable, elle se fait des amis sans pour autant en chercher et se retrouve souvent au centre des conversations sans vraiment avoir ouvert la bouche.

Le grand méchant loup - "Incident dans la nuit du 22 au 23 septembre à Tower Hamlets, une jeune adolescente a prévenu les services de police d'une agression commise à son encontre par son propre père. La victime, âgée de 13 ans, attendait en bas de son immeuble, vêtue d'un pyjama ensanglanté, à l'arrivée des forces de police. Dans l'appartement, l'équipe à découvert l'homme d'une quarantaine d'années blessé au ventre de trois entailles, ainsi qu'un couteau de cuisine laissé au sol. L'homme et sa fille ont été entendus séparément. Le père alcoolisé aurait menacé sa fille avec l'arme, qui se serait finalement retournée contre lui. La mère a été prévenue et a rejoint sa fille au poste de police. S'il s'agit probablement d'un cas de self-defense, un procès familial pourrait être le seul moyen de déméler le faux du vrai." Cette nuit-là, la vie de Mary avait pris un tournant bien plus important qu'elle ne l'imaginait. C'était en 2010, son père était rentré, comme à son habitude, saoul, vers 11 heures du soir. Il avait poussé Mary du canapé et cherchait la télécommande, en râlant sur la chaîne d'information politique, et sur sa fille qui "ne savait pas regarder les télé-réalités comme tout les gosses de son âge". S'en suivirent des insultes lui étant destinées, puis la phrase de trop : "J'ai refusé cette putain de bourse pour ton collège de grosses têtes et tu viens quand même nous faire chier avec tes infos à la con. Putain, je savais, je l'ai dis à ta mère que d'te donner un prénom d'richos, c'était naze..." La télécommande, jusque là cachée derrière le dos de l'adolescente, fut lancée de son petit bras avec rage, et vint percuter violemment le crâne chauve de son paternel. Il se leva d'un bon, cria comme un ogre et se jetta sur elle, l'enfermant dans le coin de leur petite cuisine, prêt à l’assommer. Attraper le couteau dans l'évier avait été le seul échappatoire possible, mais pourtant, les autorités s'interrogeaient quand à un certain "acharnement" ayant été au delà du self-defense. Mary ne savait plus, elle ne se souvenait que du bien que le premier coup de couteau lui avait prodigué, puis de sa course dans les escaliers, et enfin de la panique. Ainsi son père jaloux et ivrogne s'était mis en travers de ses rêves, lui cachant l'obtention d'une bourse à l'époque où elle allait rentrer en sixième, lui obstruant l'accès à une éducation que tous ses professeurs lui souhaitaient. Alors elle prit les choses en main. D'une main de fer, utilisant les talents d'oratrice dont elle avait toujours fait preuve, la victime d'à peine quinze ans s'imposa en tant qu'avocate hors pair, éclipsant la véritable avocate assignée sur l'affaire, gagnant son procès haut la main, encourageant sa mère à témoigner des coups qu'elle-même recevait et envoyant le dangereux connard en prison pour violence familiale.

Amour, gloire et beauté - À seize ans, Mary laissait cette histoire derrière elle, retrouvait les longues nuits de sommeil dont elle avait tant manqué durant le procès, et rattrapait sans trop de mal le rythme des cours au lycée. Plus réservée, elle adoptait une attitude calme, et même si les injustices du monde lui causaient des tempêtes intérieures, celles-ci ne ressortaient que par des discours raisonnés. Le récit de ce procès hors-norme s'était apparemment ébruité au large de l'océan Atlantique puisqu'un matin, elle trouva dans sa boîte au lettres une proposition de bourse complète, un aller simple pour Harvard. Les vidéos de ses "plaidoiries" avait intéressé et on voulait maintenant lui faciliter une ascension certaine dans le monde des affaires. Ses dernières années d'études secondaires furent donc un long préparatif pour son départ. La demoiselle attirait admiration et jalousie, et restait pourtant d'une modestie transcendante. Elle refusa de changer de lycée et finit ses études dans celui de son quartier, un établissement en zone défavorisée qui lui convenait très bien. Pour couronner le tout, la petite génie devenait bien jolie, et accepta à cette époque quelques contrats dans la pub et le mannequinat, histoire de ramener un peu de sous à la maison. Elle avait des amis, comme toujours, mais toujours pas de petit copain, de relation amoureuse ou même juste ambiguë, ce qui, vers cet âge, devint un vrai questionnement pour elle. Elle se mit à regarder des films d'amour, classiques comme plus loufoques, et bien que de l'attendrissement devant l'écran lui prouva qu'elle n'était en aucun cas sociopathe, elle n'avait aucun souvenir d'avoir un jour ressenti des sensations amoureuses comme elles étaient décrites dans ces films. Sa conclusion mit fin à cette petite angoisse : elle était sûrement asexuelle, du moins pour le moment, et peut-être un jour croiserait-elle quelqu'un qui sera responsable de cette réaction physique qu'on lui décrivait partout. Au-delà de la pression sociale, pourtant, elle ne ressentait pas le besoin d'avoir un partenaire à ses côtés, pas plus à Londres qu'à Harvard. Sa meilleure amie, Ashley, avait fini par arrêter de la harceler sur le sujet, et depuis que Mary a quitté l'Angleterre, les deux s'efforcent de garder contact : Snapchat est parfait pour ce genre de choses. À son arrivée à Harvard, elle choisit comme par évidence un majeur en journalisme ainsi que des études complémentaires en droit, et se senti vite, au sein du campus, comme un poisson dans l'eau.