JEWEL GATS ► david prat

Il faudrait qu'on commence par raconter ta naissance peut-être, au risque de surprendre tout le monde t'es pas né dans la poche d'un kangourou et oui, je sais, ça risque d'en décevoir plus d'un. T'es pas Mowgli ou Tarzan avoir été éduqué par des bêtes sauvages dans la pampa australienne même si on connait tous la réputation de ta terre natale comme étant l'enfer sur Terre. On s'en fout du nom de l'hôpital où t'as été expulsé du ventre de ta mère, est-ce que ça a vraiment de l'importance pour la suite de ta vie ? Non, alors voilà, on a juste besoin de savoir que c'était à Gold Coast pour la simple et bonne raison que cette ville-là c'est génial comme ça tu peux toujours espérer faire un petit coup de pub. On va peut-être parler de tes parents aussi, ceux sans qui te serais pas là à l'heure d'aujourd'hui. Monsieur et Madame Gats, proche de la quarantaine quand ils t'ont eu, ça commençait à être urgent de faire fonctionner la machine à bébé parce qu'à notre époque les virus qui bavent il faut en avoir à vingt-cinq ans d'après les légendes urbaines les trompes sont bouchées après. Ton géniteur travaillait dans les finances de l'hippodrome de la ville, beaucoup de réunions, de grands mots pour parler de la bourse actuelle et du taux de chance de tel cheval pour remporter le gros lot. Il alliait sa passion des animaux avec son réel amour de l'argent, même si pour toi c'était plus un moyen de se pavaner comme un paon au milieu de la belle bourgeoisie du coin avec ses bottes en crocodile, le cigare coincé entre les lèvres et son chapeau de cow-boy alors que vous êtes même pas américain. Pour faire encore plus dans le cliché, ta mère c'était tout simplement sa secrétaire et pas besoin de faire un dessin de comment ils se sont rencontrés dix ans auparavant, on prend la première belle plante qui passe et la voilà capturer dans une pokéball d'or. Tu sais pas si on peut dire que t'as été un enfant tombé du ciel, un véritable cadeau pour ta famille et la planète entière. Ton père a toujours été gaga de toi, il est devenu un papa gâteau dès ta naissance et ça a la plus grande surprise de tout le monde. T'étais le Gats Junior, le fiston qui allait devenir un emblème de la réussite familiale, le nouveau visage sur le blason familial. Pour ta mère c'était pas pareil, plus distante avec toi, comme si on t'avait collé dans ses pattes de force et qu'elle devait s'occuper de toi pour se faire pardonner d'une bêtise. T'as pas le souvenir d'un bon moment passé avec elle, quelque chose d'innocent et de sincère. T'as l'impression avec du recul que t'étais son boulet, sa malédiction et qu'elle t'en voulait pour ça.

Quel garçon prodige tu es devenu, sportif qui touchait à tout, très bon élève à l'esprit vif, rien ne pouvait plus combler ton père. Bon ouais, t'avais même pas dix ans à l'époque, mais ça compte quand même un peu. T'étais heureux comme un chien qui a la tête à la fenêtre d'une voiture lancée à fond, mais y avait toujours cette inconnue "X" à la façon d'un problème mathématique, ta mère. On pensait qu'elle avait eu le baby blues à ta naissance, ça arrive alors on pouvait pas la blâmer non plus, passer neuf mois à être grosse comme un cachalot et rencontrer un nouvel être ça choque au début. Mais durant tout ce temps rien n'avait changé, enfin si un peu, tu voyais bien le vide sous ses sourires presque grimaçant quand elle posait les yeux sur toi ou la froideur de ses étreintes quand tu venais lui réclamer de l'attention. Clairement venir à tes entraînements de foot pour elle ce n'était pas l'extase, en dehors des moments où elle pouvait retrouver les autres mères et se conduire comme l'une des protagonistes de Desperate Housewives. Tu lui demandais pourquoi elle t'aimait pas parfois, inévitablement ça la mettait en colère et elle te répondait que c'était pas le genre de choses à dire. Alors tu allais voir ton père pour lui poser la même question, vous alliez vous promener dans le jardin pour regarder les oiseaux sauvages et il t'expliquait que parfois certaines personnes avaient du mal à exprimer leur sentiment, mais qu'il ne fallait pas en vouloir à ta mère. Mais toi t'étais qu'un petit garçon qui voulait des réponses, tu voulais que quand tu tombes ta maman vienne te soigner en te calmant au lieu de te dire que c'était bien fait pour toi et que t'avais cas faire attention, qu'en te plaignant comme ça t'avais l'air d'une fillette pleurnicharde. T'avais plus qu'à ravaler tes larmes, baisser les yeux sur tes mains griffées et rougies et ne plus rien dire jusqu'à ce qu'elle te soigne avec de l'alcool brûlant ta chair.

Parfois tu te réveilles encore la nuit, en sueur, quand tu repenses à ce fameux dix-sept janvier deux mille cinq. C'est ton anniversaire alors le réveil c'est de bonne heure et comme chaque année tu dévales les escaliers en manquant de glisser sur le sol ciré. Tu fonces comme un quaterback vers le salon pour qu'on célèbre la onzième année de ton arrivée ici, t'ouvres déjà grands les yeux en imaginant les décorations et le reste. Mais il n'y a rien, aucune odeur de gâteau dans l'air, pas de guirlandes à ton prénom ni même de papiers cadeaux flamboyants, seulement ton père devant la baie vitrée qui te tourne le dos et qui tient une feuille froissée dans sa main. Ce jour-là t'es devenu orphelin de mère si on peut dire ça comme ça, parce que ta mère tu l'as pas vraiment perdu, elle est juste barrée avec ses affaires en laissant une lettre d'adieu, si c'est pas pitoyable. Depuis tu détestes ton anniversaire et tu le fêtes même plus, tu haïs beaucoup de choses depuis cet instant en réalité, et beaucoup de monde par la même occasion, à l'exception de ton père ce héros. Personne ne t'as posé de question dans la famille ou même à l'école, ta vie a repris son cours avec ton cher paternel, l'absence de ta mère se remarquant à peine tant elle ne s'était pas intégrée dans votre quotidien. T'as fais le garçon fort, t'as pas pleuré une seule fois parce que tu te rappelais de ses paroles, et tu voulais pas avoir l'air d'une pédale à chialer après ta maman qui avait levé les voiles. T'as encaissé le coup, t'es devenu un petit homme pour reprendre le dessus parce que ton père il avait du mal lui, il te laissait pas voir sa douleur, mais tu la devinais très bien et t'étais toujours présent pour l'épauler. Vous êtes devenus encore plus proches, tu peux la remercier pour ça parce que ton lien avec ton père il est devenu indestructible et personne ne pourra dire le contraire.

T'auras beau dire le contraire ici on fait un peu ta psychanalyse et moi je sais tout, alors pas de retenu. T'étais toujours le fils à papa qui l'aimait plus que tout, qui lui montrait que vous alliez vous en sortir même sans femme à la maison, que c'était pas si grave que ça en fin de compte. Mais bien sûr que si c'est grave de se faire abandonner par sa propre mère, t'as jamais pu lire sa lettre mais t'es persuadé au fond de toi que si elle est partie c'est à cause de toi, elle a pas supporté ton arrivée et le poids sur ses épaules que ça provoquait. T'avais besoin d'extérioriser cette haine que t'avais, contre elle, contre toi et contre la planète entière. Tu t'es transformé en petite brute épaisse au collège, mais pas celle qui se fait choper bêtement, parce que toi t'as cette intelligence et cette sournoiserie en plus qui t'ont permis de t'en sortir comme un chef. T'étais le tyran de ta classe, plus psychologique que physique parce que les coups ça laissent des traces et t'aimes pas les preuves. Ça va paraitre lâche mais faut assumer, tu t'en prenais surtout aux filles parce qu'avec mon doctorat de psychologue je peux assurer qu'à travers elle tu voyais ta mère. Les femmes c'est devenu ta bête noire, au lycée c'était la même chose avec tes copines, tu les traitais mal parce que c'était devenu ton quotidien d'être machiste, macho, misandre, misogyne, phallocentrique et sexiste, tout ce que tu veux. Parfois tu faisais passer ça pour des blagues un peu beauf, puis aujourd'hui c'est tellement bien ancré dans la société de dévaloriser les femmes que t'as jamais eu trop de problème avec ça puisque t'incarnes par excellence le gars qui serait chef de famille plus tard avec toutes les bonnes valeurs. Seulement sans que tu le veuilles t'en a deux qui ont débarqué dans ta vie, la nouvelle femme de ton père et sa fille. Bordel, t'as cru que tes instincts primaires d'animal qui voulait marquer son territoire allaient surgir de nul part et que t'étais prêt à commettre un double homicide. T'aurais voulu à la façon de Kevin, dans "Il faut qu'on parle de Kevin", leur en faire voir de toutes les couleurs pour récupérer ton chez toi et ton père, mais la chaise électrique ça te fait trop flipper bien que c'est aboli depuis plus de trente ans en Australie.

T'en as bavé mon pauvre, à devoir supporter les cris aigus, les odeurs de parfum sucrés et les culottes qui traînent dans le linge sale. T'avais perdu ta mère pour en gagner deux, même pas de ta famille biologique en plus. T'as toujours été correct avec ta belle-mère, elle a voulu t'apporter l'amour que tu n'as pas eu mais c'était trop tard pour toi, t'es comme ce lion qui a passé quinze ans dans un cirque et qu'on libère, mais malheureusement c'est la fin et il meurt avant d'avoir fouler l'herbe fraiche. Tu fuyais de plus en plus ta propre maison, te rabattant sur le sport et les sorties à la plage pour rentrer dans la nuit, évitant les repas familiaux, les sorties tous ensemble et autres conneries du genre. Mais t'avais pas prévu qu'une gamine de treize ans quand ça a un nouveau "grand-demi-frère" de trois ans son aîné, ça pète littéralement un plomb. Elle voyait sûrement déjà à l'arrière de ton scooter, venir avec toi partout et avoir des souvenirs mémorables, mais toi tu le voyais pas comme ça. T'as rapidement étouffé, et la retrouver parfois dans ta chambre à toucher à tes affaires ou t'emprunter des choses, t'as vu rouge. Tu t'es contrôlé comme tu le pouvais, devenant une sorte de passif-agressif mais parfois tu lâchais les chevaux et d'autant plus les derniers temps avant que tu partes. T'avais envie de la foutre à la porte cette gamine voyant en toi son nouveau jouet, mais toi t'es pas comme ça à vouloir coiffer les filles, leur faire les ongles ou même leur accorder de l'attention. Une fois t'as vraiment frôler le point de non-retour, c'est pour ça que à ton tour tu t'es barré dès que tu as été pris à l'université de Sydney, deux ans de cohabitation c'était trop pour toi. Ton père l'avait autorisé à emprunter ta voiture pour aller en ville sans que tu le saches et à ton retour t'as retrouvé ton bolide avec une large rayure sur les portières, c'était un peu le prétexte pour laisser couler ton mécontentement des dernières années et heureusement pour elle que ton père et ton oncle étaient tous les deux là pour te retenir parce que tu jures qu'aujourd'hui tu serais en train de casser des cailloux avec une pioche à Nauru.

Pendant un an t'as valdingué par-ci par-là, t'as fais le tour du monde pour profiter de ta vie avant de reprendre les choses sérieusement de rentrer plus posé en Australie. T'as gardé contact avec ton père pendant ce temps, jamais vous n'avez reparlé de ta mère ou de l'incident avec ta demi-soeur, même ta belle-mère te passait le bonjour à travers le combiné. T'as remis les pieds en Océanie, mais à Sydney cette fois-ci, histoire de mettre bien dix-heures de route entre toi et ta "famille". T'y es parfois retourné, tu pouvais supporter de passer trois heures en leur compagnie pour les fêtes et réunions entre Gats et tous les dérivés, mais tu t'es jamais excusé non plus, tout le monde faisait semblant que tout allait bien et ton te posait des questions sur ton voyage et tes études en tant qu'astronome parce que ouais, ça surprend drôlement quand on te voit et qu'on sait quel sportif tu es. Ton père doit savoir pourquoi lui, il a encore dans son bureau sous clé le médaillon avec le triangle austral qu'il avait offert à ta mère lors de leur mariage. Pendant deux ans tu t'es pas reposé sur tes lauriers, tu avais déjà en tête d'avoir un dossier en béton pour prétendre à l'intégration d'Harvard, alors à Sydney t'as donné tout ce que tu pouvais aussi bien sportivement qu'au niveau de tes études et implication dans le campus jusque' pouvoir réaliser ton rêve de quitter le continent australien pour officiellement t'installer à Boston.