CASSIE VON LIECHTENSTEIN ► Olivia Holt

Petite réception au palais. Toute la famille était particulièrement apprêtée pour l’occasion. Je lissais du bout des doigts quelques plis sur le tissu de ma jupe et mon regard vrilla ensuite sur la droite. Vers ce garçon. Le fils d’amis importants de mes parents mais surtout, celui qui faisait battre mon petit cœur d’ado. Mes prunelles ne cessaient de se diriger vers lui depuis le début de la soirée, mais il ne me calculait pas. En même temps ce soir, on ne parlait pas de Cassandra. Ce soir, on fêtait le succès des jumelles.  « Tu dois être fière de tes sœurs ? » Je relevai les yeux vers mon interlocutrice, l’une de mes tantes, lui jetant d’abord un regard sombre. Si j’étais fière de mes sœurs ? Bien sûr. Si j’étais contente pour elle ? Bien sûr. Alors pourquoi cet air blasé sur mon visage me direz vous ? Peut être parce que c’était la 20ème fois de la soirée que je devais répondre à une question du genre.  Je sentis le regard sévère de mon père se poser sur moi et je me repris. Mes lèvres s’étirèrent. Un sourire feint, mais éclatant et convaincant, dont seuls ceux qui me connaissaient réellement savaient y déceler les nuances fausses. « Je suis ravie. » On trinqua donc, à la réussite de Cece et Aria aux examens. Mes parents vantant leurs brillants résultats, citant les commentaires élogieux de leurs professeurs auprès de nos amis. Et je me soumis à l’exercice, docilement. J’avais tout essayé, pour être moins transparente. L’option être sage, mais cela semblait illusoire, puisque tout le monde s’accordait à dire que c’était l’attitude qu’on attendait d’une princesse, et dans tous les cas je n’égalais jamais Aria. Lorsque je tentais par mes frasques de me faire remarquer, on me riait alors au nez, on disait que j’essayais de calquer mon attitude sur ma rebelle de sœur, sur Cecilia… Mais j’oubliais un peu tout ça, j’oubliais un peu mes sœurs, au moment où mon prénom s’échappa des lèvres du jeune homme, un peu plus tard dans la soirée. Il m’entraina plus loin, pour un petit aparté et mon cœur s’emballa. Il m’avait remarqué? Il voulait me parler ? Je n’en revenais pas. Je relevai le visage vers le sien, et remarquai qu’il paraissait gêné. « Ca ne va pas ? » Il m’expliqua, mal à l’aise, qu’il devait m’avouer quelque chose, que ce n’était pas quelque chose de simple à dire, qu’il ne savait pas comment s’y prendre… Il semblait si nerveux, si touchant, si attendrissant… Est-ce qu’il s’apprêtait à m’avouer ses sentiments ? L’espace de quelques minutes, j’y crus vraiment, à cette théorie. Le dévorant des yeux, buvant ses paroles. Et le verdict tomba : « Est-ce que tu crois qu’Ariana voudrait bien sortir avec moi ? » Mon sourire s’effaça sur le champ remplacé par un air contrarié. Impossible de jouer la comédie. C’était trop. « Je dois y aller désolée… » soufflai-je en m’éloignant.



J’étais la benjamine. J’étais la numéro trois. Celle qu’on ne voit pas. La petite sœur de Cecilia et Ariana.



Je ne savais pas contre qui j’étais le plus en colère : contre mes sœurs, d’être si belles, si intéressantes, si parfaites ; contre mes parents de les mettre autant sous les feux des projecteurs ; ou contre moi même, de ne même pas être fichu de me faire remarquer, même par ce garçon… Je fulminais et avançant comme une furie dans le couloir, je disparus derrière la première porte que je croisais. Je me cachais pour m’effondrer. Parce qu’à la minute où je me retrouvais seule dans la pièce mais yeux s’embrouillèrent, gorgés des larmes que je refusais de laisser couler. De rage, je fonçais vers un chandelier resté allumé sur la table et je dirigeais les flammes sur la nappe qui s’enflamma sur le champ. Ca eut le don de me calmer, de m’apaiser… Mon pouls ralentit, ma colère redescendit d’un cran. Je regardais, fascinée, le feu qui grignotait doucement le tissu. Il y avait quelque chose de beau, de captivant, de relaxant là dedans. Le crépitement que faisait le bois de cette table massive qui partait peu à peu en fumée, c’était magique… J’étais dans un autre état, ailleurs. Je ne calculais pas. L’alarme qui se déclenchait, les domestiques qui arrivaient, les invités qui criaient… Et en un regard, mes parents, eux, avaient compris.


On prétextera un accident, on minimisera l’incident. Après tout, il n’y avait pas eu de blessés, qu’une table calcinée à déplorer, qu’une réception gâchée… En soit rien de grave. Mais moi, j’allais payer le prix fort. Une fille pyromane, ça faisait tâche au sein d’une famille royale. Et c’est ainsi que je m’étais retrouvée là, dans ce pensionnat tenu par des religieuses, à apprendre la rigueur, l’ordre, le respect, à réciter des sonnets bibliques, à chanter des –je vous salue Marie- Et si il n’y avait que cela…


Ca avait dégénéré ensuite rapidement. Mes sœurs, ma famille, me manquaient terriblement et lorsque cette mère supérieure à la main leste et aux châtiments un peu ancestraux était arrivée au pensionnat et en avait pris la direction, je pris la résolution de tout faire pour sortir d’ici. Et ça commençait par jouer les parfaits petits culs bénis. Prières. Comportement irréprochable. Sage comme une image. Sage comme un orage oui… Un mea culpa convaincant auprès de mes parents, et les voilà embobinés. Ils me promirent de me laisser quitter ce pensionnat austère, mais à une condition : que je décroche une réponse positive quand à une admission à Harvard, la plus prestigieuse des facultés du monde. Etudiant avec une assiduité hors pair, me démarquant ainsi par des résultats brillants, peaufinant un dossier irréprochable. Et ça paya. Aujourd’hui, je venais de recevoir une lettre, cachetée d’Harvard. Mes résultats aux Sats. J’allais retrouver mes sœurs, j’allais retrouver une vraie vie, le vrai monde, loin des sévices et punitions injustes de ces religieuses rigides.



Aujourd’hui, je disais au revoir au pensionnat et bonjour à Harvard. Aujourd’hui, tout était possible. J’allais pouvoir être de nouveau moi même. J’allais pouvoir de nouveau être Cassie… Cassie la sage ? Cassie la pyromane ? Cassie la none ? Non, Cassandra Von Liechtenstein. Tout simplement.