Waves of Past

Il ne sait pas ce qu’il affirme. C’est facile à dire. Beaucoup plus difficile à assumer une fois que j’énonce le tout clairement. Chaque fois c’est comme ça. Alors pourquoi ça serait différent avec lui? Parce que y’a rien de pareil avec lui. Allez savoir pourquoi. Il a sa propre logique. Différente de celle du monde. Qu’il lui fait faire des trucs avec lesquels je suis pas habitué de jongler. C’est d’autant agaçant quand il me tient tête, que rafraîchissant quand je ne le vois pas fuir, que très déstabilisant quand, justement, il se rapproche au lieu de fuir. Alors c’est peut-être pourquoi je lui ai montré. Que j’ai accepté qu’il entrevoit ce qui a pu se produire et que j’énonce clairement ce qui me donne des réactions jugées excessives dans la plupart des cas. Et même si ce n’était pas très cru, même si les mots choisis étaient faibles pour évoquer le tout, il a comprit.

Et quand je disais que ses réactions me prennent de court, c’est justement ce qui arrive maintenant. Alors que je m’attends à le voir sortir de la douche et me planter là, il revient plutôt chercher mon contact, ses paumes gagnant d’abord mes avant-bras, les guidant pour que mes doigts regagnent sa peau. À ses hanches, mais je les fais plutôt glisser un peu plus haut, juste sous ses côtes. C'est plus simple et moins désagréable pour moi.

Pendant quelques années, je n’ai pas choisi mes relations et ça m’a pris du temps ensuite avant de les choisir. Mais y’a effectivement personne qui se mêle de ça et qui me dit quoi faire à ce sujet. J’en ai même averti Blondie au tout début, lorsqu’elle a voulu me présenter une fille. Elle gère ce qui se passe sous ses draps sans que je ne dise rien et elle fait pareil pour moi. Le seul temps où je me permettrai d’intervenir c’est si y’a un imbécile qui décide de lever la main sur elle. Mais on est loin là. Et j’ai autre chose à faire dans le moment présent. Comme m'étonner de la présence ses lèvres sur les miennes. Ou de ses paroles. Et pourtant, un vague sourire en coin apparaît sur mon visage.

- T’es là pour l’instant, non? Questionnais-je.

Je peux pas garantir une vie. Je le fais jamais. Par habitude de toujours quitter l’endroit où je vis. Le plus souvent à la hâte et sans possibilités de dire au revoir.

- Et vu ce qui s’est passé hier soir... commençais-je, laissant la phrase en suspens pour l’embrasser.

J’ai besoin de terminer? On aura peut-être besoin de reparler de certains détails si ça vient encore à chauffer et dans un sens que j’aime pas, mais on s’arrangera rendu là.

Je lui ai dit. Je sais pas pourquoi exactement. Mais c'est déstabilisant de le voir m'offrir quelques fois d'affilée de le laisser m'approcher et tenter de passer par-dessus mes réticences. En vérité, c'est pas agressant de le voir insister. Je reconnais son côté entêté, mais c'est pas comme certaine personnes qui me l'ont déjà proposé. Certains se croit le nouveau sauveur ou la bonne mère Teresa qui arrivera à me "guérir". Dans ce cas là, ça prends pas long pour que je les envoie balader et qu'il ne me revoit plus. Y'a de rares personnes que j'ai laissé avancer. La dernière en date, c'était Becca. Elle a essayé de me calmer pendant trois ans ...et j'agis toujours pas comme un être humain normal. Alors est-ce qu'il réussira? J'ai des doutes. Je m'attends pas à des miracles et il doit pas en attendre non plus. Mais...

- Tu peux essayer, répondis-je simplement, hochant vaguement la tête, frissonnant tout de même fortement alors que ses doigts se promènent doucement sur mes avant-bras.

Respire. C'est rien ça. Hier, il s'est rendu beaucoup plus loin. Non seulement ses mains se sont baladées sur les marques, mais sa bouche s'est posée sur les hématomes, sa langue a retracée les cicatrices. Il a comprit ce qui a pu se passer. Et il est toujours là. À me proposer de m'aider avec sa thérapie par le toucher. Y'a que sa partie "Que ton corps s'adapte à moi." qui me bug. Même si c'est graduel comme il le dit, je crois qu'il y a certaines limites qui ne bougeront jamais. Essayer de se rendre juste que là, c'est même pas imaginable. Le dernier qui a essayé, il a finit à l'hôpital. Faut pas déconner avec ça, ça peut rapidement devenir dangereux. C'est plus juste d'attraper une main pour ne pas qu'elle me touche ou descendre une gauche parce que le message est pas passé le premier coup. C'est l'instinct de survie qui entre en ligne de compte. Je ne contrôle plus ma force et je pourrais frapper jusqu'à ce que je ne sois plus capable de lever le bras. Y'a une tare dans mon cerveau.

- Ne me réveille jamais en sursaut, lui indiquais-je. Où en laissant courir tes doigts sur moi, précisais-je. Me secouer l'épaule est encore ce qui fonctionne le mieux, affirmais-je.

Je soupire un coup, baissant la tête. C'est chiant à dire tout ça. Mais je dois le faire. Je n'ai pas envie de lui casser le bras parce qu'il aura voulu me réveiller en caresses.

J'essaie. Je laisse tenter sa thérapie par le toucher. On verra bien ce que ça va donner. Il affirme que je n'ai qu'à lui dire lorsqu'il va trop loin. Quelque chose me fait penser que ça risque d'arriver souvent. Mais bon, on avisera en temps et lieu. S'il se montre entêté sur ce point, ça peut mal se terminer, mais jusqu'à présent, il ne me donne pas l'impression de prendre tout ça trop à la légère. Semblant comprendre que c'est pas des conneries. Il a quand même déjà été témoin de certaines de mes réactions. Et avant qu'il n'en soit victime, je le préviens d'avance. Pour le réveil surtout. Je secoue légèrement la tête, même si le coin de mes lèvres se retrousse, alors qu'il répond à la blague qu'il me laissera indéfiniment dormir pour me regarder, comme un creep pourrait le faire.

- Je veux pas te blesser Jonathan, affirmais-je doucement. Je suis pas comme les Barrows, mais je peux aussi être dangereux. Si tu venais à me réveillé en me tripotant, je pourrais te démolir l'épaule avant de réaliser que c'est toi, expliquais-je.

L'instinct de survie enclenchera en premier et ce n'est que lorsqu'il hurlera de douleur que mon cerveau captera qu'il s'agit de quelqu'un que je connais. Je préfèrerais que ça arrive pas.

- Mais si on dort dans le même lit… commençais-je laissant un instant ma phrase en suspend. T'arriveras pas à simplement me fixer sans que je m'en rendes compte, affirmais-je. J'ai le sommeil léger. Et tu bouges beaucoup, lui fis-je remarquer.

Ça se veut plus moqueur que véritable reproche. Je sais bien qu'il a besoin de bouger. Acquiesçant à sa remarque, je termine de me laver en même temps que lui, sans réel problèmes, et sort de l'espace vitrée. Attrapant une serviette, je m'éponge au mieux et ébourriffe mes cheveux pour les sècher.

- Je vais me changer, l'informais-je. Tu nous commande à déjeuner? le questionnais-je.

Me fixant, il m’assure que je ne suis pas un monstre, martelant ses arguments comme s’il voulait les forger à même ma cervelle. C’est pas parce que tu le dis que ça change les faits, Jonathan. Mais pourtant, quand il développe autant de douceur pour m’embrasser, je suis vaguement tenté de le croire. Ou du moins de reléguer cette information dans un coin sombre de mon cerveau pour me concentrer sur ses lèvres qui effleurent les miennes. Ses lèvres, puis sa langue et la mienne ne prend pas longtemps pour se joindre de la partie, ne le relâchant que lorsque le souffle vient à nous manquer.

- T’inquiètes, tu sauras, lui assurais-je alors qu’il me demande de le prévenir s’il m’empêche de dormir.

Mon visage et mes cernes risquent de le communiquer assez rapidement si je ne pose pas les mots. Il s’en est quand même rendu compte lorsqu’il est arrivé à Miami.

***

Ayant récupéré tous mes effets, je quitte la suite à mon nom pour gagner celle de Jonathan, me glissant sans bruits alors que le service au chambre part en laissant la porte se refermer toute seule. Avant même de pénétrer dans la pièce, la musique parvient jusqu’à mes oreilles. Lente, même si un peu forte. Jonathan a décidé qu’il testait un peu plus l’insonorisation? Mes avis que si je referme bien la porte, à moins de se coller l’oreille sur le battant, on entendra rien. Et puis, c’est pas du heavy metal à vous en casser les tympans. Et si c’était le cas, je n’aurais probablement pas le droit au même spectacle. Au milieu de la pièce et parfaitement dans sa bulle, il se mouve au rythme de la musique, son bassin suivant les variations des notes qui s’élèvent. Sans faire de bruit pour ne pas risquer de gâcher son moment, je dépose sac, malette et baskets. M’appuyant au mur et croisant les bras, je le suis du regard tandis qu’il semble s’amuser. Penchant la tête, mon regard dérive jusqu’au mouvement de ses hanches et remonte lorsqu’il pointe le bout de sa langue pour faire disparaître une part de crème ou un truc du genre, rester sur ses doigts. C’est… comment dire? Tentant. Très tentant. Que ce soit sa danse ou le mouvement suggestif qu’il vient de faire sans se rendre compte qu’il avait un public. Cependant, lorsqu’il réalise que je suis là, sa réaction est assez claire. Un léger sourire trace son chemin sur mes lèvres et j’hausse un sourcil.

- Navré de te gâcher ton plaisir, affirmais-je.

Je m’avance, entraînant mon bagage avec moi pour les reposer moins près de l’entrée. …Et dans un coin où il ne pourra pas se prendre les pieds dedans. Me redressant, j’approche la table, zieutant ce qui s’y trouve. Il a commandé pour une armée!

- T’as oublié qu’on était que deux? le questionnais-je, moqueur, piquant une fraise dans le lot de fruit et mordant dedans.

J'hausse un sourcil à sa réponse. Il ne savait pas ce que je prendrais, alors il a commandé de tout. Légèrement découragé, je me passe une main au visage, sur mes joues fraîchement rasés. Il avait pas à en faire des masses, j'aurais mangé no matter what. Ou il aurait pu attendre et demander, mais… l'habitude de son entourage probablement. De ce qu'il a connu. C'est ce genre de service qu'on offre pour le premier repas de la journée chez lui? Ce genre de service peut-être que j'aurais eu droit aussi si j'avais connu mon père. Secouant imperceptiblement la tête, je le renseigne :

- Je mange de tout, en règle générale. J'ai mes préférences, mais tant que ça ne se constitue pas de tofu ou végé-pâté, normalement ça va.

C'est sensiblement les seuls trucs que je ne suis pas capable. La texture, le manque de goût ou je-sais-pas-quoi qui fait que ça me roule dans la bouche sans que je ne sois capable de l'avaler. Et pourtant, j'ai déjà mangé des trucs que peu de personnes seraient volontaires à seulement goûter.

- Des oeufs, au petit déj, si je peux, affirmais-je finalement. Et du café.

C'est ce que je préfère. Servi un peu sous toutes ses formes. Y'a que les oeufs bénédictines que j'aime moins, mais c'est que je trouve la sauce trop salé. Pour les à côtés : pain, viandes… Classique quoi.

- Des fruits, également. Si y'en a.

Illustrant mes propos, je pique à nouveau sur la table pour piocher un fruit, un raisin vert cette fois, que je gobe sans cérémonie. C'est peut-être parce que ce n'est pas ce qu'on trouvait le plus dans le frigo lorsque j'étais gamin, mais je suis le genre de personne qui préfère encore prendre une pomme qu'une pâtisserie. Je dis pas que je me tiens loin de tout ça et que je fais une diète ultra santé et tout le tremblement. Loin de là. Je bouffe de la friture et je ne fais attention à ma nourriture que pour savoir si c'est quelque chose que j'aime ou non. J'ai juste pas la dent ultra sucrée.

Lorsqu'il me questionne sur le programme de la journée, je me retiens de grimacer. Je n'aime pas ce genre de journée, mais je devrai faire profil bas.

- Je te demanderais de faire ta valise. On ne part pas tout de suite, mais je veux être prêt quand ça sera le temps, expliquais-je. Aujourd'hui, on attends. Je veux voir si je vais recevoir de la visite. Et puisque je n'en connais pas la nature, d'ici là, tu m'as comme co-chambreur, résumais-je.

J'ai vidé ma chambre, mais je n'ai pas régler la note. Donc, je suis techniquement encore enregistré et on entendra si y'a quelqu'un qui va cogner de l'autre côté. Sa chambre n'a pas de balcon, mais ça reste que ce n'est pas si difficile d'en sortir par une fenêtre. J'ai déjà vérifié. Seulement, je n'ai pas besoin de le préciser maintenant. Il n'a pas à s'inquiéter pour ça.