JAROD&SOANE | oops, my bad

La fatigue me frappe d’un grand coup alors que mon réveil sonne pour la troisième fois. J’ai l’impression que jamais je n’arriverai à me bouger le cul pour reprendre les cours. Le Summer Camp m’a littéralement mise KO. Et si je pouvais me mettre en KO technique pendant un bon mois, juste histoire de savourer des vacances un peu plus calmes et de me remettre d’aplomb pour cette nouvelle année, croyez-moi que je le ferais. Mais sans doute mes parents m’achèveraient-ils, surtout papa. Et mieux vaut ne pas se frotter à cet homme, bien qu’il ne soit pas fondamentalement mauvais. J’ai tout de même pris soin de me préparer correctement, pour ne pas être pouilleuse dès le premier jour – on sait tous que la rentrée est un grand jour dans la vie d’une femme ! J’ai fait en sorte de camoufler mes cernes avec la magie du maquillage, de coiffer mes longs cheveux bouclés afin d’en faire jalouser toutes les autres nanas du campus, et, évidemment, de ne pas faire de faux pas en matière de mode – enfin, quoique, je m’en branle. J’essaye de sourire en sortant de mon 4x4 Mercedes, garé non loin du campus, mais Dieu en a décidé autrement : je tire la tronche jusqu’à parterre. Mal réveillée, la nana. J’ai même aidé quelqu’un à se ramasser la tronche sur l’une des allées du campus, et j’ai mis environ 3 minutes à tilter avant de faire demi-tour pour aller l’aider – sans doute trop tard. « Bordel, désolée ! Ca va, j’espère ? T’as besoin d’aide ? »

Nouvelle année, nouvelle rentrée. J’me tenais devant Harvard, sur le parking, les mains dans les poches tout en soufflant. Les études de droit… c’était intéressant et j’étais loin d’avoir terminé mais à côté… Je n’avais rien, ma vie était morne et ça me hantait. Sanaa était partie, elle avait laissé un vide immense et en parlant de vide… mon portefeuille n’avait pas gonflé pendant l’été. Je soufflais tout en me demandant bien ce que je foutais l’air. Sur le bord du trottoir, je ne remarquais pas qu’un 4x4 s’approchait dangereusement de moi, le véhicule avait beau être gros, les nouveaux moteurs quasiment hybrides devenaient dangereux à cause de leur faible bruit. À peine j’avais eu le temps de me retourner que je me prenais le rétro de la bagnole dans le dos. J’avais eu le temps de me décaler assez rapidement pour évider les moindres dégâts, malheureusement la manœuvre me faisait perdre l’équilibre et voilà que j’me retrouvais le cul par terre. J’observais la voiture se garer tout en restant par terre, halluciné par la situation grotesque. J’voyais alors une jeune femme sortir et se précipiter vers moi, visiblement encore plus choquée que moi. « Non ça va, j’ai juste… pas l’habitude de me faire rouler dessus. » Je n’avais rien, je m’en tirais bien. Je me relevais l’instant d’après tout en tapant mes fringues histoire d’enlever la poussière et ne pas jouer les clodos. J’regardais la jeune femme en face de moi qui semblait désemparée. « J’t’assure, ça va. » J’me mettais légèrement à rire en voyant sa mine de dix mètres de long. Je ne pensais pas me faire tailler un costard dès la rentrée…

La honte m’envahissait alors que je fixais l’homme à terre. Preuve de ma forte fatigue, je m’étais même pas rendue compte que je l’avais tapé avec le rétro de ma voiture. Terrible. J’étais choquée, apeurée, je me faisais un sang d’encre pour ce type que je connaissais ni d’Eve, ni d’Adam. Le pauvre, quand même. Faudrait peut-être que je finisse par me réveiller, et rapidement. « C’est bien la première fois que ça m’arrive… » soupirai-je. C’est vrai, j’avais eu la chance de n’avoir jamais tapé qui que ce soit malgré la taille de ma Mercedes. Mais en même temps, heureusement, j’ai envie de dire. On m’aurait sûrement retiré mon permis depuis, autrement. Il m’assurait une nouvelle fois que tout allait bien et que c’était plus de peur que de mal, mais sait-on jamais, la douleur a tendance à arriver dans les heures qui suivent le choc. Rien que les muscles qui se sont brusquement contractés au moment du choc peuvent donner de sales crampes. « Je suis vraiment, vraiment désolée. Si jamais par la suite t’as des douleurs, ou je sais pas, quelque chose qui va pas… Je peux te donner mon numéro, et tu me contactes, si jamais ? » Sait-on jamais s’il faut faire jouer une quelconque assurance ou même s’il faut poser quelques billets. J’espérais en tout cas que personne d’autre n’ait rien remarqué, je préférais autant ne pas passer pour une folle. J’avais fini par souffler, tentant de me détendre un minimum puisqu’il avait vraiment l’air de se porter bien. « La honte, j’espère que personne n’a rien vu ! » Mais ça me faisait quand même rire tellement la situation était bête en soi, et je me demandais sérieusement, non seulement comment j’ai fait pour ne pas le voir, et comment lui avait fait pour ne pas voir le 4x4 arriver en plein sur lui… « Je m’appelle Soane, si jamais. » lançai-je en affichant un léger sourire, toujours aussi désolée, tout en tendant ma main pour serrer la sienne.

Ouais j'venais de me faire renverser et ouais j'étais un peu choqué par ce qu'il venait de se passer mais je n'en montrais rien. « J'te rassure, c’est ma première fois aussi. » J’me mettais à rire, ouais je n’avais pas forcément l’habitude de me faire écraser ou percuter par une voiture. Je tentais de me redresser en observant si tout allait bien. J’étudiais mes muscles, mes os, me concentrait sur ma posture. Après tout j’étais pompier non ? J’intervenais sans cesse dans ce genre de cas, du moins lorsque je n’étais pas appelé pour décoincer un chat d’un arbre. Je me redressais totalement et tentais de rassurer la jeune femme qui était visiblement plus inquiète que moi. Pourquoi ? Je l’ignorais, les nerfs du choc sans doute. Je reprenais ma respiration et plantais mon regard dans le sien. « Si tu veux mais ce n’est pas nécessaire tu sais… » Je regardais un instant son énorme Mercedes, comment un si petit bout de femme pouvait conduire un si gros engin ? Je n’étais pas matcho, loin de là, c’était juste limité impressionnant… J’éclatais de rire alors qu’elle espérait que personne n’ait vu l’accident. « Tu veux faire disparaitre les témoins c’est ça ? » Je la regardais d’un air suspicieux puis je me remettais à rire, je tentais de détendre un peu l’atmosphère. J’attrapais sa main alors qu’elle se présentait. « Enchanté Soane, je suis Jarod. J’espère qu’au passage je n’ai pas abimé ton 4x4, juste… ça doit pas être évident de conduire un truc aussi énorme, non ? »

Ce qui venait de se passer était lamentable, et très con à la fois. La fatigue ne me réussissait pas du tout, c’était certain. Je l’avais fixé d’un air ahuri alors qu’il me sortait que c’était sa première fois… c’était tellement bizarre que ça avait fini par me faire rire. Vraiment, c’était terrible. « J’espère bien que ce n’est pas ton hobby, ce serait inquiétant ! » A part si le type appréciait de se faire fracasser par de grosses voitures, ça me semblait en soi logique – et j’espérais. La situation était tellement grotesque que même si j’étais hyper inquiète pour lui – et pour mon rétro – je ne pouvais m’empêcher de sourire bêtement. Je hochais simplement la tête alors qu’il me disait que ce n’était pas nécessaire, car après tout c’était à lui de voir, pourvu qu’il ne se retournait finalement pas contre moi ! « C’est ça. Et puis si quelqu’un l’a vu, on le retrouvera au fond de la rivière dans quelques jours après une disparition inquiétante… » lançai-je en ajoutant à ma bêtise un rire machiavélique, digne des plus grands méchants de dessins animés. Mais manquerait plus qu’il y ait vraiment une disparition dans les prochains jours, je pouvais être certaine de retrouver les flics devant ma porte ! Je saisissais sa main à mon tour alors qu’il se présentait. « Je dois t’avouer qu’en fait, je mets des échasses pour conduire parce que j’arrive pas à toucher les pédales, et trois gros coussins sous mon cul pour être à la bonne hauteur… » disais-je d’un air très sérieux avant de me mettre à rire. « T’insinues qu’une nana, aussi petite soit-elle, est incapable de conduire un monstre ? » Bah, c’est vrai que j’étais plutôt petite, mais tout de même ! Heureusement pour lui que j’avais le sens de l’humour et de l’autodérision, et que je ne prenais pas mal sa petite question…

« Je pense que je ne serai plus en un seul morceau surtout. » Je me mettais à rire avec elle, elle avait un rire communicatif qui faisait plaisir à entendre. Voilà que je conversais et que je prenais du plaisir à parler avec la femme qui avait bien failli me tuer. Mais j’étais comme ça, de bonne pâte, je me mettais toujours en quatre pour les autres, pour les aider au maximum, un vrai Quincy après tout. « Tu es une femme très surprenante, on en dirait pas comme ça mais tu ferais presque peur. » Je riais davantage, j’appréciais son humour, j’aurais certainement dit la même chose si j’avais été à sa place. Je croisais alors les bras contre mon poitrail puis je fixais un moment sa grosse bagnole. A vrai dire je me sentais coupable puisque j’étais un peu envieux. Une bagnole comme ça je rêvais de m’en procurer une, pas pour crâner, simplement pour le plaisir de la conduite. Ça faisait tellement longtemps que je n’avais posé mes mains sur un volant… Pour un passionné de mécanique et conduite comme moi ça craignait mais c’était la vie au quotidien lorsque l’on n’a pas assez d’argent, ouais j’étais trop fauché pour m’acheter une caisse. « C’est donc ça ton secret. » Je prenais un air faussement sérieux puis je m’inclinais pour l’idée. Je lâchais alors sa main après nos présentations puis je me contentais de faire la moue avec mes lèvres. « Non pas du tout, disons que c’est plutôt rare de voir une jeune femme conduit ce genre de voiture. Au contraire, c’est surprenant, pas dégradant. »

J’avais sans doute beaucoup de changer d’être tombé sur un type comme lui. Un autre m’aurait fait un scandale pour l’avoir bousculé avec le rétro de mon 4x4, ou peut-être même étripée. Je me serais certes défendue, mais ce serait sacrément parti en vrille. Alors que là, avec ce certain Jarod, non. Ca me faisait plaisir et ça me soulageait à la fois. Et puis, après tout, s’il allait bien, y avait pas de quoi en faire une crise nationale. « C’est vrai, tu serais sacrément mal en point ! » La situation était tellement bizarre que ça me faisait rire. Et l’imaginer en cinq morceaux était plutôt drôle. « Mais au moins, t’aurais eu le meilleur costume d’Halloween qui soit si t’étais en plusieurs morceaux. » Il faut toujours voir le bon côté des choses, non ? J’avais lâché un rire machiavélique alors qu’il disait que j’étais une femme surprenante au point où je pouvais faire peur. Etrangement, ça me faisait plaisir. Mais je ne m’étais pas plus attardée et attaquais directement mon secret de conduite d’un tel engin. Des échasses et des coussins, rien de mieux pour une fille aussi petite que moi. « Ca t’en bouche un coin, avoue ? » répliquai-je en souriant toujours, avant de faire la fausse offusquée alors qu’il semblait sous-entendre qu’une femme ne pouvait pas conduire une si bonne caisse. « Je suis une femme surprenante sur tous les points, c’est que le début tu sais. » Sous-entendus ou non, j’étais plutôt fière de ma réplique et mon sourire s’était agrandi. « Je suis sûre que t’es jaloux parce que je suis canon et que ma merco aussi ! » Très drôle, hein. Je m’étais une nouvelle fois mise à rire mais de manière plutôt douce, alors qu’habituellement je riais… très bruyamment.

J’aurais pu réagir méchamment, être un gros con à l’insulter, porter plainte pour gagner un quelconque centime mais honnêtement je m’en foutais. Si la nana, ou le mec, avait daigné me voir, prendre de mes nouvelles, peut-être que je l’aurais fait… ouais en y réfléchissant, même si la personne en face méritait que je lui fasse une crasse, je ne l’aurais pas fait car ça n’avait jamais été dans ma nature. Je soufflais tout en passant une main sur mon épaule, rien à voir avec l’accident mais j’avais encore quelques séquelles de mes derniers combats. « T’as raison, un costume maison. » Depuis que Sanaa était partie, plus rien ne me retenait à vrai dire. J’faisais ce que j’pouvais pour survivre, pour gagner un peu de blé et ne pas arrêter mes études, même si je n’avais plus forcément l’envie ou la force de continuer. « J’avoue, je m’incline. » Je m’inclinais également au sens physique en baissant mon buste vers le sol. La conversation avait dérivé sur la mécanique et pauvre Soane, elle n’était pas prête de m’arrêter ! Dans l’ensemble, le contact passait bien entre nous, on aurait pu nous prendre pour de bons amis alors que je venais seulement de la rencontrer. Je croisais les bras contre mon poitrail et j’admirais sa voiture tout en glissant un léger rire. « Je ne suis pas trop merco mais d’accord, j’attends de voir la partie cachée de l’iceberg. » Sous-entendu les points sur lesquels elle pouvait me surprendre. Au fil de la conversation, j’en venais presque à zapper mes cours, heureusement que je ne commençais pas avant un bout de temps.

Mieux valait rire de la situation qu’en pleurer, après tout. J’étais bien heureuse que Jarod ne m’avait pas fait un scandale devant tout le monde. Enfin, quoiqu’en tournant la tête de droite à gauche, il n’y avait personne ou presque. Uniquement des personnes passant par là sans trop prêter attention au reste. Tant mieux ! Et puis, son geste me fit réagir assez rapidement : j’avais posé mes affaires au sol, j’avais fait un demi-tour autour de lui et je m’étais mise à masser délicatement son épaule, puisqu’après tout, il la touchait et semblait avoir mal. « Voilà, j’en étais certaine ! Tu t’es fait mal. Je vais t’aider, je m’y connais un peu ! » Avec tous les sports que je pouvais pratiquer, il était vrai que j’avais un minimum l’habitude de masser pour estomper la douleur un minimum. Mais je n’étais pas kiné pour autant, évidemment. Il était pourtant clair que je n’arriverais pas à le masser correctement s’il s’inclinait ! « Bouge pas, calme-toi petit Jarod ! » Toujours une touche d’humour peu importe la situation, c’était important. Il fallait obligatoirement détendre l’atmosphère. Après un petit moment de massage, je m’étais finalement installée sur un espèce de rocher en tirant mes sacs avec moi, non loin de lui. « Allez, fais pas genre, je suis sûre que tu rêves d’avoir le même ! Mais en ce qui concerne la partie cachée de l’iceberg… elle est si grosse qu’il va t’en falloir du temps pour la découvrir ! Pas sûre que t’aies la patience… » Et puis après tout, on venait tout juste de se rencontrer, non ? Il était vrai qu’on se comportait à la manière de deux bons amis. Est-ce qu’on s’est connu dans un passé plus ou moins lointain ? Ou dans une autre vie ?

« T’inquiète, j’ai l’habitude tu sais… euh… » J’me tenais l’épaule sans faire vraiment attention, c’était un réflexe que j’avais pris au cours des années. Une fois en intervention j’avais traversé un toit après un incendie et j’étais lâchement tombé sur mon épaule. Du coup ce n’était pas vraiment de la faute de Soane en soi me percuter avait juste réanimé une ancienne douleur. Je la regardais alors poser son sac et passer derrière moi en riant, c’était quelque chose cette jeune femme. « Okay… J’fais ce que j’peux mais… hum c’est cool. » Elle en venait même presque à m’engueuler de ne pas être détendu. En même temps si elle me connaissait vraiment, elle saurait que détendu n’était pas un mot qui faisait partie de mon vocabulaire, oh non. J’en venais presque à apprécier ses mains sur mon épaule, à vrai dire elle s’y connaissait bien, j’étais surpris que ses doigts de fées arrivent à calmer un peu la douleur. Je pinçais alors mes lèvres en une émotion satisfaite. « Merci, t’es douée en effet. » Heureusement que le parking était vide, on aurait pu nous prendre pour deux fous. Si quelqu’un avait examiné la scène, il serait sûrement resté perplexe. D’abord elle me percute, ensuite on rit et elle me masse, quelle drôle de surprise. « Je plaide coupable. Ne serait-ce que d’avoir une voiture me rendrait heureux en même temps tu sais. Et pour le reste, j’ai tout mon temps, ou presque. Tu n’as pas cours ? » Je regardais une nouvelle fois son véhicule puis je me questionnais à propos des cours qu’elle devait probablement avoir, après tout c’était la raison de sa venue à Harvard non ? C’était la plus plausible en tout cas à mes yeux.