ZAEL FERGUSON ► Michael Bakari Jordan

Zael cligna plusieurs fois des paupières, secoua vigoureusement la tête et se força à ouvrir les yeux au maximum. Il n'avait pas beaucoup dormi ces derniers jours et n'avait pourtant pas hésité à prendre la route. Il savait bien qu'il n'était pas prudent de conduire dans un tel état de fatigue, mais il n'avait pas vraiment eu le choix. Il baissa le pare-soleil pour jeter un coup d'oeil dans le miroir intégré: malgré ses traits tirés et ses cernes prononcés, il était hors de question de faire une pause au bord de la route. À l'instant même, il aurait volontiers troqué sa vie actuelle pour une semaine de calme absolu. Il en avait plus qu'assez de travailler comme un damné pour seulement arrondir les fins de mois. Il voulait prendre du recul, fuir le plus loin possible, se donner une deuxième chance. Tout plaquer et parcourir des centaines de kilomètres, c'était le plan. Son nouvel objectif. La voiture atteignait un bois lorsque qu'un choc violent et percutant à l'arrière le balança contre le volant puis contre le dossier du siège. Malgré ses efforts pour maîtriser la situation, il perdit le contrôle du véhicule. La voiture sauta le talus, se renversa, fit plusieurs tonneaux dans un fracas assourdissant de tôle froissée et de vitres cassées avant de s'encastrer contre un arbre. Puis plus rien. L'obscurité totale et apaisante.

Sick of waking up in darkness when the sky is always painted blue. There's a method to my madness, it's clear that you don't have a clue.

La pièce était spacieuse, le décor confortable, presque élégant. Quelques tableaux ornaient les murs, encadrés d'un chêne sobre assorti au mobilier. Seuls les appareils clignotaient et lançaient de petits signaux sonores indiquaient qu'il s'agissait d'une chambre d'hôpital. Une fois de plus, Zael avait passé une nuit agitée, peuplée de cauchemars en tout genre. Il s'éveilla déjà fatigué, l'esprit torturé. Il ne parvenait toujours pas à se souvenir de quoi que ce soit; ni son nom, ni son adresse, ni même un visage familier. Son esprit semblait vide. L'angoisse le rongeait. D'où venait-il? Qui était-il? Avait-il de la famille ou bien des amis? Il se sentait seul, complètement perdu. Il bougeait doucement pour tenter de trouver une position plus confortable, en vain. Chaque geste, chaque effort lui étaient douloureux. Il se sentait au bord des larmes. Qu'allait-il devenir? Aucune idée.

Come on now, who do you think you are? Hahaha bless your soul! You really think you're in control?

Les jours succèdent aux jours, les années aux années, dans une belle sérénité. Le jeune homme cabossé et décousu n'existe plus. Encore incapable de se prononcer sur les événements passés, il s'est accommodé à la vie étudiante avec plus ou moins de facilités. Harvard est son nouveau souffle, son renouveau et surtout, son gagne-pain. Inutile de mentir, Zael est beaucoup trop paresseux pour décrocher un véritable job. Il se plaît à vivre au crochet des étudiants, dénichant des secrets désireux de rester confidentiels. Oui, Zael est un maître chanteur. Les fils à papas viennent à lui, le chèque fraîchement signé en main, priant pour que leur prison intérieure s'assouplisse un bref instant. Seulement elle va réapparaître cette prison, plus douloureuse, plus rigide, plus oppressante. Mais ça, il se garde bien de leur en parler. Son business en prendrait un coup et puis, pour être complètement honnête, il s'en contre-fou. Chacun sa merde, n'est-ce pas? Empocher pas mal de fric et détenir un semblant de pouvoir sur ces pauvres âmes perdues, il n'en demande pas plus. L'argent facile c'est le pied, non?