ROMY OSWALD ► alycia debnam carey

Je bascule la tête sur la gauche et sent un courant d'air me fouetter le visage alors que j'esquive un coup de poing. Le ton vient d'être donné, ce soir, c'est bagarre générale. Je profite qu'elle soit déséquilibrée pour l'attraper par la taille et la faire tomber par terre avec moi. J'entends déjà les sonneries de l'établissement retentir, je peux deviner les pas précipités des éducateurs dans les couloirs. Mais ça ne m'empêche pas de me mettre à califourchon sur elle pour bloquer ses mains au sol alors qu'elle essayait déjà de m'attraper par les cheveux. Elle crie, elle hurle, elle scande qu'elle va me tuer, me le faire regretter. Un large sourire sur le visage, je peux pas empêcher un rire de s'échapper de mes lèvres ensanglantées. Elle ne me fait pas peur, personne ne me fait peur. Par même le directeur du foyer, pas même les familles de déjantés où on ne cesse de m'envoyer. Beaucoup ont compris que j'étais une cause perdue, on dit même que c'est le système qui m'a foutue en l'air. Certains mettent ça sur le facteur génétique mais c'est toujours compliqué de tenir de tels propos lorsque les parents d'un gamins sont restés inconnus. Ma mère, mon père, je les connais pas. Dès mon plus jeune âge, j'ai été bercée par la violence de ce monde et c'est cette dernière qui se cache dans le poing que je viens écraser sur le nez de mon adversaire avant que deux adultes ne viennent m'attraper par les bras pour me mettre au cachot.

J'ouvre la fenêtre de ma nouvelle chambre sans faire le moindre bruit. Ma capuche sur la tête, mon sac à dos sur le dos, je passe une jambe puis l'autre par l'appui de fenêtre avant de calculer la distance qu'il y a entre moi et le sol. Je souris, sans une once de peur, car j'ai déjà sauté de plus, car j'ai déjà fait largement pire. La dernière fois, j'ai réussi à parcourir cinquante kilomètres avec une cheville foulée avant qu'on ne finisse par me rattraper. Cette fois ne sera pas différente des autres, c'est pas le saut qui m'attend qui va me faire reculer. Sans un regard en arrière, je me faufile donc jusqu'au bord de toit de la maison de ma nouvelle famille d'accueil. Je suis arrivée cette après-midi chez eux et ils ne m'ont pas encore renvoyée au foyer. Ils ont l'air de vouloir me garder mais moi j'y compte pas. Et comme je ne compte pas me blesser à nouveau, je prends mes précautions et essaye d'amortir ma chutte en me laissant pendre par les bras à la goutière. Une seconde plus tard, mes pieds touchent la pelouse nette du jardin et me voilà en train de courir à travers les rues, cherchant une gare routière ou n'importe qui qui accepterait de me prendre en stop. Tous les moyens sont bons pour disparaître et vivre par mes propores moyens quelques semaines. Avec le temps, j'ai finit par accumuler l'expériences et les connaissances nécessaires pour passer entre les mailles du filet. Me volatiliser est devenu mon domaine de prédilection.  

Assise sur mon nouveau lit, j'étudie chaque recoin de ma nouvelle chambre, cherchant à nouveau un moyen de m'échapper. C'est vraiment devenu un réflexe chez moi, une mauvaise habitude dont je ne peux me défaire. Pourtant, quelque chose me pousse à laisser tomber. Peut-être l'aspect de cette nouvelle maison, qui n'a rien de parfait et qui me ferait presque sentir à ma place. Peut-être la liberté que m'accorde mes parents adoptifs. Bizarrement, ils n'essayent pas de me submerger avec les règles de vie chez eux ou bien à quel point ils sont heureux de m'avoir. Il m'ont juste dit qu'ils espéraient que je me plairais ici et que le dîner serait prêt dans une heure. C'est peut-être ça, ou peut-être que c'est l'autre fille qui vit ici et son regard qui en dit long. L'espace de quelques secondes, je finis par me dire que c'est peut-être mon terminus. Que je devrais leur donner une chance. Nous donner une chance. J'ai jamais vraiment rêvé d'avoir une famille mais je pense pouvoir être séduite par cette idée. Puis, Romy Oswald, ça sonne plutôt.

Ce soir, j'ai prévu de retrouver Jazmin, ma meilleure amie. On a prévu de passer une soirée tranquille mais je la connais et si je suis en retard, elle va m'en vouloir. Elle a toujours été plus sérieuse que moi et heureusement car j'ai pas besoin d'une nouvelle fréquentation pour m'attirer des ennuis, je me débrouille déjà assez bien sans aide. Elle a ce don de voir ce qu'il y a de bon en moi, de me recadrer sans pour autant m'opresser. Je reboutonne mon jean et pars à la recherche de mon t-shirt, perdu dans un coin de cette salle de cours. Note à moi-même : essayer de garder à l'oeil où finissent mes vêtements quand je suis dans les bras de quelqu'un. Je lance d'ailleurs un regard agacé à ce dernier, l'air de dire "ce serait sympa que tu m'aides" mais tout ce qu'il fait c'est me répondre à travers un sourire amusé. Ca le fait rire, il profite de la vue. Puis ça me retarde. Il a essayé de me convaincre de rester ici ou bien d'aller piquer des trucs dans le bureau d'un prof. C'est notre petite habitude, traîner ensemble, boire, coucher ensemble, faire des conneries. Dans cet ordre ou dans un autre d'ailleurs. Mais pour une fois, j'ai refusé sa proposition parce que j'avais mieux à faire. L'espace d'une seconde, je me demande s'il n'a pas fait exprès de cacher mes fringues. Ce serait bien son genre tiens. Mais je finis par retrouver mon t-shirt sous une table, vulgairement projeter en boule. Je l'enfile puis me dirige vers la porte avant de lui lancer un "à la prochaine".

Je suis désolée, je suis désolée. Je répète ces mots, une fois à voix haute, une fois à voix basse, une fois dans ma tête. C'est tout ce que je suis capable de dire, de penser. Tout ce qui me vient à l'esprit, alors que je ne les avais jamais prononcés auparavant. Romy elle s'excuse pas, elle doit rien à personne. Sauf qu'aujourd'hui, Romy s'en veut vraiment, sincèrement. Ouais, je m'en veux parce que je peux rien faire pour Jazmin alors qu'elle se bat pour sa vie dans mes bras. Je peux rien faire parce qu'elle s'est pris une balle dans la poitrine à cause d'un taré qui a pété un câble. Je peux pas l'aider, je peux pas appeler les secours. Tout ce que je suis en mesure c'est la regarder perdre la vie, s'étouffer dans son propre sang et tenter d'adoucir ses derniers instants. Embrasser son front brûlant, serrer sa main dans la mienne, essayer d'ignorer le torrant de larmes qui ruisselle le long de mes jours. Je suis pas conne vous savez, je suis pas du genre à avoir de l'espoir alors que je sais que tout est foutu. Je sais très bien que c'est mauvais signe quand quelqu'un crache du sang après une blessure par balle. Que c'est d'autant plus mauvais signes qu'on peut aussi bien rester coincées dans cette bibliothèques des heures avant que la police ne puisse intervenir. Oui, je suis vraiment désolée, pour moi, pour Jazmin.  

Assise sur le pont du voilier, j'essaye d'appercevoir les poissons ou les dauphins. Si il y a un an on m'avait dit que je serais sur un bateau en plein milieu du pacifique, j'y aurais pas vraiment cru. J'aurais haussé les sourcils puis lâché un rire moqueur. Il est loin le temps où j'étais qu'une simple étudiante à Harvard. Aujourd'hui, je ne sais pas ce que je suis, mais je sais que je ne suis plus la même. Romy Oswald pourrait bien être morte aux yeux de ses proches. Mes parents, ma soeur, mes amis. Plus personne n'a eu de nouvelles de moi depuis facilement six mois car j'ai décidé de disparaître à nouveau. Faire ce que je sais faire de mieux. Feryel ne sait pas où je suis, pas plus que cette fille que j'ai quitté sans un mot, ou ce mec qui ne verra plus ma tronche sur notre petit spot secret. J'ai pas vraiment envie de savoir ce qui peut bien leur passer par la tête quand ils pensent à moi. D'ailleurs, j'ai pas envie de penser à eux. Ils ont plus de place dans ma vie, plus personne n'en a, sauf ce fameux croate dont j'ai croisé la route la semaine dernière. Il m'a offert une place dans son bateau alors je lui en au offert une dans ma vie. On s'entend bien, on se complète bien. Il y a même des chances que je sois amoureuse, mais ça je ne l'admettrais jamais vraiment. Romy Oswald ne s'handicape pas avec des sentiments. Elle vit à outrance, elle prend ce qu'elle veut, elle fait ce qu'elle veut. Elle profite parce qu'elle sait que rien ne dure jamais vraiment.

Je lâche un long et profond soupire alors que je pose finalement mes bagages sur le bitume de Boston. Etats-Unis me revoilà. Harvard me revoilà. Je ne sais pas ce qui m'a pris de faire ça. D'ailleurs, je ne pense pas que ça soit une bonne idée. Revenir ici, après tout ce qui s'est passé il y a un an et demi. La mort de Jazmin, toutes ces personnes qui doivent m'en vouloir d'être partie. Toutes les bonnes choses ont une fin et il est probablement temps pour moi de rentrer, de reprendre le cours de ma vie où je l'avais laissé. De toute façon, j'avais plus assez d'argent pour continuer à vivre au quatres coins du monde. Si j'avais pu ne jamais revenir, je l'aurais fait, mais là je suis pieds et poings liés. Il faut que je revienne à la réalité. Mais j'ai pas prévu de m'excuser ou recontacter qui que ce soit. J'assume ce que j'ai fait et j'en suis fière. Les gens le prendront comme ils le prendront, ils me pardonneront ou pas. Moi je continue ma route, qui m'aime me suive.