Georgiana Artega > Giza Lagarce

Ma vie n’a jamais rien eu d’un conte de fées, nous vivions à six dans un petit appartement du Bronx et notre famille comme toutes les autres avait ses petits problèmes mais tu vois, j’ai beau avoir grandi en portant les vêtements de mes frères, j’ai beau avoir davantage joué avec des pistolets à eau plutôt que des poupées Mattel, je crois pas que j’en ai été malheureuse pour autant. Notre père faisait claquer la ceinture quand on abusait mais on savait que si on se tenait à carreaux, maman ferait un super repas et qu’il y aurait peut-être même du dessert et si vraiment on était sages, on avait le droit de regarder la télévision avec nos parents le soir. Evidemment y’avait rien d’intéressant mais c’était bien parce qu’on était tous entassés les uns sur les autres et qu’on aimait bien être ensembles comme ça le soir avant de faire des histoires pour ne pas se brosser les dents. Mon frère Alonzo avait toujours été le plus fort pour se soustraire à ça d’ailleurs parce que Maman, elle vérifiait toujours si la brosse à dent avait été mouillée et si on sentait bon en sortant de la salle de bain. Alonzo je sais qu’il imaginait toujours des stratagèmes pour lui faire croire que c’était fait alors que pas du tout. A l’époque, je le prenais pour un Dieu vivant presque pour ça, aujourd’hui moins parce qu’au final, c’est lui qui a les dents les plus cassées d’entre nous mais hey, des blessures de guerres, ça a son prix !
Je ne considère pas mon enfance comme malheureuse vraiment, loin de là même. L’amour était bel et bien présent dans notre foyer mais…dans un 40m2 fallait bien s’attendre à ce qu’on fiche tous le camps dans la rue pour jouer. On n’était pas de voyous mais pas moins des fauves pour autant alors dès que possible, on allait taper des balles sur le terrain vague ou dessiner à la craie sur les routes et parfois les murs pour les plus couillus d’entre nous. Angel, c’était le meilleur au dessus ! Très jeune il est toujours monté sur les échelles de secours pour dessiner des trucs obscènes sous les fenêtres, un vrai singe. Ça n’a pas toujours été au gout de tous mais c’était son talent et aujourd’hui, il a troqué ses craies contre des bombes de peintures. Il a toujours été l’artiste de la famille là où moi je n’avais aucun talent. D’ailleurs en tant que seule fille de la team Artega, on aurait pu imaginer que j’en aurais quelques avantages mais en fait pas du tout. La protection par exemple, je savais bien qu’au moindre problème, la meute débarquerait pour tailler en pièce celui qui aurait osé me causer du tord mais jamais je n’aurais pensé qu’ils le feraient AVANT que ce se soit nécessaire. Au début je ne comprenais pas pourquoi les mecs avec qui j’accrochais finissaient par me fuir. Ce n’est qu’une fois après en avoir coincé un au détour d’une ruelle qu’il osa m’avouer qu’entre moi et perdre ses boules, il préférait encore garder ses couilles. L’enfoiré, j’ai tapé dedans par principe mais au moins, ça expliquait mon manque de succès chez les mecs. Moi qui étaient persuadée qu’il y avait un problème avec mes oreilles un peu trop décollées ou un truc du genre. En fait non, mon problème, c’était mes frères.
Pour en revenir à l’histoire des talents, mes frères étaient tous mes modèles à l’époque, c’est vrai qu’ils étaient forts et beaux (Alonzo un peu moins avec ses dents moches) mais aucun d’entre eux n’a fait de grandes études. J’ai été tentée de laisser tomber le lycée…s’il n’y avait pas eu la chimie, les maths tout ça. C’est bizarre dit comme ça mais…mais ça doit être un peu comme ces filles qui font du poney et qui coiffent leur crinière, moi c’était presque pareil sauf qu’il fallait que je résous mes formules et je crois que d’une certaine manière, c’est ce qui m’a préservé. Ce qui m’a empêché de tourner comme la plupart de mes copines et finir soit en cloque, soit pute, soit droguée, soit les trois à la fois. Non, pendant qu’Alessa criait sa vie pour expulser son chiard, moi je passais en secret des concours de science. En secret parce que dans ma zone, c’était un peu la honte. Sauf que c’est ce qui m’a valu ma place à Harvard. C’est ce qui m’a ouvert les portes vers un avenir peut-être meilleur.
Sauf qu’Harvard ou pas, on ne se refait pas. Artega je suis, Artega je resterai.