« I CAN'T MAKE MY OWN DECISIONS »
On dit souvent qu'on ne choisit pas sa famille. Personnellement, j'en suis bien conscient. Si j'avais eu le choix, je n'aurais sûrement pas demandé un père absent et trop familier avec les bouteilles d'alcool. Je n'aurais sûrement pas demandé une mère dépressive, accroc au médicaments en tout genre. Je n'aurais sûrement pas demandé...si. Elle, si, je l'aurais demandée. Ma moitié, mon âme sœur, celle qui me complète. Celle sans qui je ne survivrais pas. Elle et moi, on a toujours eu cette connexion, comme si un fil invisible nous liait. Elle souffre, je souffre. Elle rit, je ris. Penser à son rire m'égaye le cœur, et fait naître en moi une émotion disparue depuis longtemps ; la joie. Qui est suivie des remords, puis de la tristesse. Je baisse la tête, et contemple mes poignets d'un air absent. Elles sont presque invisibles. Elle serait fière de moi. Parce qu'elle m'a toujours soutenu, quoi que je fasse. « Juuuuuuude, viens jouer avec moi », elle me dit en souriant. Nous avons beau avoir le même âge, elle paraît bien plus jeune, bien plus enfantine. Je lève la tête de mes cahiers – pour une fois que je m'efforçais à réviser – et regarde la beauté aux yeux verts qui m'attend. Je l'ai toujours trouvée belle, plus belle que n'importe qui. C'est mon rayon de soleil. « M'appelle pas comme ça, tu sais que je déteste ça. Il est quelle heure? » Je sais qu'elle déteste quand je lui pose cette question. Mais je veux être certain que personne ne nous dérangera. Elle regarde sa montre d'un air nerveux, presque paniqué. « Presque dix-neuf heures. » Elle se mordille la lèvre – et je fais de même. Puis je me lève. « On s'en va », je dis d'un air sûr, comme si j'essayais de me convaincre moi-même que c'était possible « Cale...Matt, tu sais qu'on peut pas. Il nous retrouvera quand même. » Je fais les cents pas dans la pièce qui me sert de chambre, passe une main puis deux dans mes cheveux. L'anxiété me gagne, je commence à tirer sur mes boucles, ma respiration s'accélère, je continue les allers-retours dans la chambre. Il faut que je l'éloigne de tout ça, je refuse qu'il pose ne serait-ce qu'un doigt sur elle, je serais incapable de me pardonner s'il lui arrivait quelque chose, il faut vraiment que je... « Caleb. Eh. » Je n'ai même pas remarqué qu'elle m'avait stoppé, et que ses petites mains se trouvaient sur mes joues – sûrement rougies. « Ne t'en fais pas. Il ne fera rien. » Je la regarde comme si elle venait de me dire une énorme bêtise. J'attrape durement son poignet, et lui montre les bleus qui décorent sa peau pâle, dans l'intérieur de son bras. « Ah oui ? Et qu'est-ce que c'est que ça, alors ? » Les larmes lui montent aux yeux. Peut-être que je suis trop agressif, encore. Je la prends dans mes bras et tente de la calmer. « Désolé. C'est juste que ça me tuerait s'il osait te toucher encore une fois. » Mes souvenirs sont flous, je me souviens à peine de ce qu'il s'est passé ensuite. Les seules choses dont je me souviens sont la douleur affreuse le long de mon dos, le sang qui coule le long de ma tempe, et ses poings, fermes et énormes, qui s'abattent sur moi, comme si j'étais un moins que rien. Peut-être est-ce vrai. Peut-être que je suis un bon à rien.
« I DON'T GO WHERE YOU DON'T WANT ME »
Je sens la poudre s'insinuer en moi, tentant de se frayer un chemin jusqu'à mon cerveau, déjà bien endommagé. Ressasser ses souvenirs ne font qu'agrandir ma culpabilité envers elle, et ça me tue. Ça me donne envie de tout jeter – et de me jeter par la fenêtre par la même occasion, d'en finir de tout ça. Pourquoi je l'ai laissée ? Pourquoi, putain ? J'ai fait preuve d'une immense lâcheté quand j'ai fait ça, je le conçois. Mais si je ne me serais pas éloigné d'elle, il serait parti à sa recherche, au lieu de la mienne. Si je faisais le coup de la fugue, il la laisserait tranquille. Et c'était tout ce que je voulais. « Tu t'en vas vraiment ? Si elle l'apprend... » Je ferme mon sac d'un coup sec et regarde ma tante, qui vient de faire irruption dans le salon. Mais qu'est-ce qu'elle fait debout à une heure aussi matinale ? « Elle l'apprendra, de toute façon. Elle ne me verra pas dans son lit, ni dans ma chambre, et elle sera enfin en paix, elle pourra enfin profiter de la vie. Je peux te l'assurer, elle sera soulagée de ne plus me voir. » Et je pense vraiment ce que je dis, sans aucun regret. J'ai envie de partir, je le fais pour elle – uniquement pour son bonheur. Je ne veux plus voir aucune larme sur son beau visage, je refuse de la voir triste et apeurée à nouveau, ces seize ans ont déjà largement suffit. Ma tante ignore quoi dire, et je profite de ce moment pour l'enlacer. « Tu lui diras que je suis désolé. Et que je l'aime. » Sur ces derniers mots je suis parti, refusant de regarder en arrière. Plus jamais je ne regarderais en arrière. Et je ne l'ai pas fait, je me suis contenté de me débrouiller, trouvant par-ci par-là quelqu'un pour m'héberger – toujours des amis, jamais de la famille. Je ne voulais plus jamais avoir à faire avec la famille. « À boire, Statham ? Tu m'as l'air assoiffé. » Je me retourne, et un sourire en coin se forme sur mon visage, creusant sûrement une fossette sur une de mes joues. Ce grand gaillard à la coupe de cheveux bizarre, je l'ai toujours trouvé cool – et plutôt sexy, malgré notre différence d'âge. Il me tend un verre, que j'accepte volontiers. Je bois une gorgée, laissant l'alcool me chauffer les entrailles. Je grimace même un peu – après tout, je n'ai que seize ans et je n'ai jamais rien bu d'aussi fort que du café noir. « Première fois, huh ? Ça fait toujours cet effet-là. » ; « Qu'est-ce que c'est ? » je demande d'un air assez innocent, jetant un œil à l'intérieur de mon gobelet si gentiment offert. « Cognac. » Je ne peux m'empêcher de rire. « Quoi ? » ; « Attends, tu me sers du cognac dans un gobelet ? Je suis sûr que ton père va te tuer pour lui avoir piqué sa bouteille. » ; « Fais gaffe à ce que tu dis, gamin. Je pourrais te botter le cul pour t'être moqué de moi. » Il est dangereusement près de moi. Je louche sur ses lèvres, puis ses yeux, et sens mes joues chauffer. « Ça te gêne que je sois aussi près ? » J'ai envie de lui dire oui. De le repousser en gueulant 'sale pédé ew me touche pas' et m'enfuir, mais mes pieds refusent de bouger, ainsi que mes mains qui serrent le verre. Nous sommes dans la cuisine, personne n'y a mis les pieds depuis une bonne heure. Je sens son souffle, à l'odeur mentholée mélangée à l'alcool, et soudain je sens ses lèvres. Ses lèvres, chaudes, pressées, contre les miennes. J'en laisse tomber ma boisson par terre, sous le choc. Ce n'est pas la première fois qu'on m'embrasse – loin de là, au lycée je m'amusais à rouler des pelles aux filles derrière l'arbre à côté du stade – mais venant de la part d'un garçon (que dis-je, un homme), c'est la première fois. Du moins, quand ce n'est pas un accident. Après d'interminables secondes, je sors de mon état de choc, et lui rends son baiser avec ferveur, presque de l'empressement. Cette sensation, c'est aussi la première fois que je la ressens. Le désir.