PIPPA MÉTYS LEANDROS ► Luca Hollestelle

Dans ma vie, il n'y a eut que deux choses qui ont comptées. Réellement, je veux dire. Il y a eu l'écoute, l'écoute de la musique, de mon instrument que je maniais avec maladresse au début. De ce bijoux que je considérais comme mien à présent. J'écoutais, je ressentais, j'aimais. Je tombais amoureuse d'un son et d'une mélodie. Mes parents devaient me prendre pour une dingue à aimer autant un simple instrument de musique … Oui, sauf que ce n'était pas juste un simple instrument. C'était plus. J'ai repris goût à la vie grâce à ça, j'ai ressenti ce que c'était que d'avoir un peu confiance en soi.

Puis il y a eu la vue. C'était sûrement ce que je chérissais le plus en moi après mon don pour la musique. Rien n'était plus beau que de pouvoir observer un coucher de soleil, de regarder un dessin animé et d'apprécier les expressions du visage des personnages, de lire et de pouvoir imaginer … Elle me fut enlevée tellement violemment. Arrachée si soudainement, il n'y avait eu aucune préparation psychologique avant que je ne perde la vue. Ca n'a pas été progressif mais agressif.

J'ai vécu dans la capitale de la Grèce pendant longtemps. Mes parents avaient tous deux un travail qui leur rapportait assez pour que ma sœur et moi puissions vivre convenablement. Je n'ai pas été la sœur que tout le monde pouvait imaginer. J'étais la plus introvertie, discrète et timide alors que ma sœur était le parfait opposé. Je ne lui en voulais pas d'être si extravertie, si joyeuse … elle était ainsi et je ne pouvais que l'aimer seulement mon comportement créa une distance entre elle et moi. Une sorte de fossé que je n'ai jamais réussi à combler. A mon grand regret.

Ma mère et moi étions très proches. Et nous le sommes encore aujourd'hui. Je la considérais comme un modèle et elle ne cessait de m'encourager dans la voie qui me plaisait. Au contraire de mon père qui s'efforçait de rester buter sur ses principes rigides, ne comprenant pas ma passion pour le violoncelle. Il considérait que j'étais faites pour être une fille prodige, faire des études dans la médecine, les sciences politiques ou même les langues. Tout sauf le monde de l'artistique. Mon père voyait en horreur cette voie qui ne me promettait rien de concret. Et bien que je le comprenais, c'était la seule chose pour laquelle je lui tenais tête. Je ne voulais pas me laisser faire et qu'on me dicte mes passions, jamais.

En dehors de cela, j'ai eu une adolescence mouvementée. Mes années au collège et au lycée se sont rythmées de notes satisfaisantes mais d'une solitude extrême. Je n'avais que très peu de fréquentation. Je ne me mêlais pas aux autres et préférait rester seule, supportant parfois les regards intrigués ou méprisants que pouvaient poser sur moi les autres élèves. Beaucoup se demandaient pourquoi je ne faisais pas partie d'un groupe à proprement parlé … Je n'étais ni laide selon certains ni étrange … Juste extrêmement timide. Puis vers ma terminale, j'ai commencé à connaître la vie en communauté. J'avais une meilleure amie rencontrait lors d'une fête o avait réussi à me traîner ma petite sœur. J'étais réellement heureuse de pouvoir parler, me confier à quelqu'un et j'eus même droit à un copain …

Son nom n'a aucune importance et je n'en parlerais que brièvement. Il était juste beau, sportif et avait une certaine culture. Tout ce que je pouvais apprécier, au final. Bien que la beauté me paraissait superficielle, j'aimais que les gens aient une certaine conversation. C'était le cas avec lui. Il fit mine de s'intéresser à moi, de flirter avec moi et j'eus le béguin assez vite. Lorsque le drame arriva, cela faisait plusieurs mois que nous étions ensembles. Bien qu'il me préférait souvent à son sport, je ne lui en tenais pas rigueur, trop heureuse d'avoir un petit ami. Moi, la petite timide réservée, j’avais un copain … Et pourtant … Lors d'une soirée bien arrosée, je décidais de rentrer car bien trop fatiguée. Je lui demandais donc de me ramener et il accepta sans broncher, étrangement. Il était fortement éméchée mais je ne m'en inquiétais pas, naïvement. Il ne cessait de me jeter des coups d’œils sur la route. Enjôleur, il laissait planer sa main sur ma cuisse, ma poitrine et mon visage. Bien trop nerveuse pour lui dire d'arrêter, je ne pipais mots et le laissait faire, jusqu'à ce qu'il veuille détacher mon shirt. Choquée, je le repoussais violemment alors qu'il était en train de conduire. Ce n'était qu'un réflexe et lui, totalement sous l'emprise de l'alcool il continuait à tenter d'empiéter sur mon corps. Je ne le voulais pas et je n'avais qu'une envie : sortir de cette voiture. Il s'énerva alors, ne regardant plus la route et je hurlais et hurlais encore, pensant vainement qu'il arrêterait. Je ne remarquais aucunement que la voiture commençait à vriller et ce ne fut qu'à la dernière minute que je vis la voiture prête à nous percuter.

Je fus quelques semaines dans le coma. Les médecins avaient peu d'espoir de me voir me réveiller. J'étais une loque et quelle ne fut pas mon horreur lorsque je découvris qu'un voile noir et profond recouvrait mes yeux. Les voix de mes parents me paraissaient si proches, je ne les voyais pas, je ne les sentais pas près de moi. Je paniquais et commençais à pleurer, comme une petite fille apeurée. Je n'étais plus rien, perdue dans les tréfonds de mon désespoir. Je me sentais lâche, j'avais juste envie de me rendormir et de ne plus jamais revenir. Et mes parents ? Ma sœur ? Mes amis ? Égoïstement, à ce moment précis, je me fichais d'eux, de leur envie, de tout. Je voulais mourir, pour ne plus ressentir ce manque.

Quand le calme fut revenu en moi, j'appris que lors de l'accident j'avais perdu deux choses. Mon copain, mort sur le coup … et la vue. Le choc que j'avais reçu à la tête avait touché une partie de mon cerveau, celle qui contrôlait ma vue. Les seules chances que j'avais pour retrouver la vue était une opération lourde et encore très peu expérimentée. Je refusais. Non pas par peur mais car je savais que mes parents n'avaient aucunement les moyens de me payer cette opération. Je savais alors que j'allais devoir faire face à une nouvelle vie qui ne serait pas de tout repos … et plonger dans l'obscurité.

Mes parents se renseignèrent pour moi, se remettant peu à peu du choc qu'ils avaient ressentis en pensant me perdre. Moi, je tombais seulement dans un mutisme profond, ne m'alimentant que très peu, plongeant peu à peu dans un état larvaire. J'eus droit à un chien. Il fut désigné comme mon nouvel ami. J'avais toujours voulu un chien et que ce soit dans ces conditions que l'on m'en fasse cadeau me rendit encore plus amère. Je mis un certain temps à m'habituer à cette nouvelle vie.

Par un certain miracle, j'eus la force de continuer mes études. Je terminais ma terminale en travaillant à la maison et mes notes commencèrent peu à peu à remonter. Avec une certaine réserve et peu d'espoir, j'envoyais différentes candidatures aux universités les plus prisées. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'appris qu'Harvard m'acceptait. Mes parents n'en furent que plus fières et moi, je n'y crus tout simplement pas.

Il fallut bien que j'accepte la réalité et tout ce qu'elle impliquait et quelques semaines plus tard, j'arrivais sur le sol américain, anxieuse et toujours autant déprimée par ce qui m'arrivait.

Mes premières années au sein d'Harvard furent difficiles, je me perdais facilement, que mon chien soit là ou pas et refusant de me trimballait avec une canne de vieux. J'étais redevenue la fille timide et réservée que j'avais si longuement supportée auparavant, ne me mêlant plus à personne. Par peur des moqueries, d'être un boulet pour les autres et d'être encore une fois trahie. En effet, depuis mon accident je n'avais plus aucune nouvelle de ma soi disant meilleure amie et des autres personnes à qui j'avais pu parler. Mon copain était mort et étrangement -ou pas- je n'avais ressenti aucune tristesse. Perturbant pour une fille comme moi qui était capable d'une grande empathie.

Je ne me fis donc que peu d'amis pendant mes deux premières années mais depuis sept ans que je suis ici, j'ai bien été obligée de me lier aux gens à un moment ou un autre. Je suis, à présent, plutôt bien intégrée. Voilà deux ans que j'ai repris le violoncelle, l'objet auquel je me raccroche le plus, j'ai du mal à assumer ma cécité mais elle ne m'handicap plus autant qu'avant … C'est devenu mon fléau et je le porte seule. Sans aucunes plaintes. Je m'aide grâce à la musique, en m'ouvrant un peu aux autres, en retentant de sourire, de rire, de faire toutes ces choses que je n'arrivais pas à faire avant mon accident. Réapprendre à vivre est pour le moment mon seul objectif.