PIPER EVERWOOD ► Kate Harrison

Je me souviens encore de l'odeur des fruits tropicaux qu'Anton m'apportait tous les matins. J'ai toujours été lève-tard, mais avec cette chaleur étouffante du Brésil j'avais tellement de mal à dormir que je restais éveillée jusqu'à ce que mes yeux se ferment d'eux-mêmes, souvent très tard dans la nuit, alors je me réveillais souvent vers midi, afin que mon corps récupère un minimum de sommeil. Anton était un natif, et il avait pris l'habitude de se lever tôt alors que le temps est encore frais pour faire ce qu'il avait à faire en ville. Au début, je vivais dans un hôtel, avec ce cher air climatisé. Anton était l'employé payé par mon père, chargé de s'occuper de moi et me faire découvrir ce pays selon mes demandes. L'idée d'avoir un chaperon ne me plaisait guère au début... mais je ne le remercierai jamais assez de sa présence. Autant vous dire que ce fut ce que j'appelle « l'été de la révélation ».

J'ai toujours eu ce côté sauvage en moi, malgré mon air de pimbêche coincée que j'ai arboré jusqu'à mes dix huit ans. Avec le rang et le compte en banque de mon père, difficile de faire autrement pour une jeune adolescente qui doit se frayer une place dans une école privée exclusive aux filles. Les soirées cocktails de mon père, les soirées de promotion, la grand ouverture d'un nouvel hôtel, j'étais cette princesse qu'on aime regarder, mais qui était totalement sans intérêt pour ces gens d'affaire. Assise au fond de la pièce à siroter un jus de canneberges, ou à suivre mes parents pour saluer les invités, il n'y a rien de plus ennuyeux... Mais ces vêtements de luxe qu'on me faisait porter, et ma mère qui me coiffait et me maquillait en disant à quel point elle détestait ces soirées mondaines, me faisait oublier l'ennui de ces longues heures à venir.

Ma mère, c'était un esprit libre. Australienne de souche et de coeur, elle avait quitté son pays à la conquête des États-Unis pour fuir son passé douloureux. Malgré leurs milieux et leurs caractères très opposés, mes parents sont tombés fou amoureux l'un de l'autre et la richesse de mon père a ouvert la porte vers une vie meilleure pour ma mère. Néanmoins, elle ne s'est jamais laissée enliser par l'argent, car elle n'oubliait pas sa valeur. Humaine, naturelle, accessible, l'entourage de mon père l'adoraient ou la détestaient, aucune zone grise. Je suppose que la jeune femme que je suis aujourd'hui est une vague réplique de ce qu'elle était.

C'est d'elle que me viens ma passion pour les contrées lointaines, je crois. Chaque année, jusqu'à son décès en 2011, elle m'emmenait découvrir un nouvel endroit avec elle. Autant vous dire que les destinations furent variées: de sa terre natale, en Australie où elle m'a initiée au surf, en Islande pour y voir ses magnifique paysages d'hiver, de Berlin jusqu'en Espagne... Très tôt elle avait compris que mon père serait trop occupé pour prendre des vacances en famille, le boulot et beaucoup trop important à ses yeux. Il n'était pas question que je grandisse seulement dans le Manhattan, là où les gens croient tout connaître, elle voulait que je vois d'autres rythmes de vie, d'autres cultures, pour avoir une vision du monde plus élargie que cette population snobinarde.

Elle est décédée en décembre 2011, juste avant Noël. Cette perte a été l'un des moments les plus éprouvants pour moi, mais je crois aussi que c'est ce qui m'a aidée à m'épanouir. Après ma remise de diplôme et le bal de fin d'année, plus rien ne me retenait à New-York, mon corps me criait de partir. Et j'ai suivi cette impulsion, je suis partie pour le Brésil.

À mon arrivée là-bas, j'étais encore cette adolescente hautaine qui croyais posséder tous les droits simplement parce que j'avais de l'argent. C'était mon premier voyage sans ma mère et c'est comme si j'avais oublier comment me comporter en dehors de ma ville natale, tout ce que je voulais c'était oublier ce trou béant en moi, calfeutrer mes blessures émotionnelles à coups de boisson et de fêtes. Anton me détestait, enfin c'est ce que je croyais... je ne lui ai jamais demandé, mais je le voyait dans son regard qu'il ne supportait pas la gosse de riche que j'étais. Jusqu'à un soir. Alors que je rentrais seule à ma chambre d'hôtel, j'ai été suivie par 3 jeunes hommes qui, une fois que je déverrouillai la porte, m'ont poussée à l'intérieur pour piller tous mes biens et ma chambre. J'aurais dû me douter... J'avais affiché ma condition aisée devant tout le monde, comme une idiote. On m'a insultée, craché au visage et rouée de coups. Effrayée, j'ai rampé pour me cacher derrière mon lit après leur départ et la première personne que j'ai pensé à téléphoner fut Anton... Non seulement car c'était la seule personne accessible par le téléphone de l'hôtel qui bloquait les interurbains, mais aussi car j'avais confiance en lui, sans savoir pourquoi.