OKSANNA PETROVA ► eliza taylor-cotter

« Te voilà enfin Oksanna. » me réprimande ma mère, les bras croisés et les sourcils froncés. Elle n'a pas haussé le ton en m'interpellant, mais sa voix s'est tout de même faite assez menaçante pour que je comprenne les enjeux de sa remarque. « Viens vite t'asseoir, nous avons déjà assez perdu de temps. » ajoute-t-elle en me tournant le dos. Je ne tarde pas à m'exécuter, prenant place à côté d'elle sur la banquette du piano du salon. Elle ne m'attendait que depuis dix minutes, mais c'était déjà trop pour elle, qui n'a jamais supporté le moindre retard. L'éducation que m'a inculquée ma mère n'a été que rigueur et travail. Que pouvait-elle m'apprendre d'autre ? Elle était ballerine, son monde n'avait été que souffrance et droiture depuis son plus jeune âge. Je pose mes doigts sur les touches et me rends compte avec horreur de leur état. Ma mère s'en rend compte presque aussitôt. « Qu'est-ce que c'est que cela ? Depuis quand une jeune fille traîne-t-elle dans la terre ? » me fait-elle la remarque, prête à m'empoigner la main pour me l'enseigner de plus près. Mais je cache mes doigts entre mes cuisses, les joues rouges de honte. Si j'étais arrivée en retard, c'est parce que j'avais passé l'après-midi à jouer dehors avec mon amis Misha. Je sais qu'elle n'apprécie pas que j'aille courir les champs. Elle dit toujours n'avoir jamais aimé mon côté aventurière, mais je pense que c'est en réalité ce qu'elle préfère chez moi, qu'elle le veuille ou non. « Je suis désolée mère. » je m'excuse, espérant que cela calme sa colère et qu'elle passe outre mes escapades. Personne n'a jamais envie de s'attirer les foudres de notre mère à la maison, pas même mon père. Elle a toujours eu une réputation de femme froide, mais seuls ceux qui la connaissent peuvent voir à travers ses traits tirés. C'est une femme honorable, admirable même, et bien qu'elle puisse être dure et stricte, c'est une bonne mère, qui a toujours pris soin des siens. « Vas te nettoyer, puis reviens ici. » finit-elle par me dire en lâchant un soupire. Elle pose sa main sur mon épaule avant que je me lève et je lui adresse un sourire. Elle n'a pas besoin de me le rendre car je peux déjà voir dans son regard que je suis pardonnée. En traversant le salon, je lance un regard furtif vers une des fenêtre et perçois le visage de Misha qui m'attendait de nouveau pour aller jouer. Je lui adresse un signe négatif de la tête avant de disparaître dans le corridor.

J'ai mes mains glissées sous son t-shirt, le long de sa taille, lui a les siennes dans les poches arrière de mon jean. Par moments, je dépose un baiser dans son cou, il inspire mon parfum dans mes cheveux et nous nous sourions en nous regardant. Nous nous comportons comme un vrai petit couple Vitaly et moi, mais nous savons tous deux qu'il n'en est rien. Pour lui je n'étais qu'une distraction, la jolie fille qu'il est toujours bon d'avoir sous la main, celle qu'il trimbalait un peu partout mais surtout dans son lit. Pour moi, il n'était qu'un moyen d'attirer l'attention de son frère, Misha, sur moi. « Bon, vous avez pas bientôt finit les deux là ? » nous interpelle ce dernier. Il est souvent là quand Vitaly et moi passons du temps ensembles. C'est un peu mon but, j'ai envie qu'il nous voie, qu'il soit jaloux et qu'il ressente quelque chose pour moi. Alors quand je l'entends râler, je ne peux m'empêcher de sourire, cachée derrière la carrure de son frère. « Ca va Misha, tu vas pas encore nous saouler. Tu vois pas qu'on est occupés ? » lui lance son frère, probablement amusé par sa réaction. Misha soupire et s'assieds bruyamment sur le banc, nous faisant ainsi part de son mécontentement et de son ennui profond. « Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? » je lui demande alors, ayant pitié de le faire attendre avec nous. Il me lance alors un regard qui me rappelle pourquoi j'ai mit en place toute cette mascarade. « J'ai envie qu'on bouge Osky. Qu'on découvre le monde, qu'on fasse quelque chose de fou. J'ai envie de vivre. » me répond-il alors. Et tout mon corps me hurle de prendre sa main et de partir avec lui, de faire ce qu'il a envie car c'est en réalité ce dont j'ai moi aussi envie. J'ai toujours adoré les moment que nous avons passé ensembles à faire les cons, à partir à l'aventure. En grandissant je n'ai pas perdu mon âme d'enfant, mais ça Misha ne doit pas s'en douter. Il pense probablement que je suis devenue snob, surtout depuis que je sors avec son frère. Je sais pas bien ce que je fais au juste avec ces deux là, car tous mes choix, toutes les décisions que je prends vont en réalité à l'encontre de ce que je désire. Mais c'est ainsi. « Plus tard d'accord ? Là on a des trucs à faire. » lui répond son frère avant que je ne puisse dire quoi que ce soit. Il passe son bras au-dessus de mes épaules et m'entraîne avec lui, me laissant juste le temps d'adresser un sourire désolé à mon ami.

Je me laisse tomber sur mon lit, envoyant mon sac valser à l'autre bout de la pièce. Je suis exténuée après cette longue journée de cours. Une journée plutôt monotone, bien que mes études soient passionnantes. Cela fait environs deux ans que j'étudie lles Relation Internationales et les Langues à l'Université de Moscou. Cela me plaît beaucoup car j'ai toujours été douée en langues et j'ai l'espoir que mon futur choix de carrière me permette de voyager et découvrir le monde. Je ne vis que dans l'espoir de pouvoir un jour partir de la Russie. Car malgré tout l'amour que je porte à mon pays de naissance, j'ai besoin de voir autre chose, de voyager. C'est normal me direz-vous, quand on est jeunes on rêve d'aventures. C'est un bel euphémisme pour ma part. J'allonge les bras sur toute la largeur de mon matelas, les yeux fermés et en expirant profondément. Soudain, je sens quelque chose entrer en contact avec mes doigts. Du papier. Je rouvre les yeux et attrape le parchemin pour voir de quoi il s'agissait. En effet, je ne me souvenais pas d'avoir laissé un quelconque document sur mon lit avant d'aller en cours. En regardant de plus près, je reconnais l'écriture de Misha. Ses premiers mots à mon attention me semblent froids, mais cela n'a rien à voir avec le reste de sa lettre. Plus je parcours ces lignes, plus je sens mon coeur se serrer puis enfin se briser lorsque je lis qu'il souhaite ne plus me revoir. Il m'accusait d'être mauvaise pour lui, de me servir de lui et qu'il valait mieux que nous ne prenions des chemins séparés. Il m'avoue tout de même suivre les conseils de son père, l'associé du mien qui m'a toujours vue comme une menace pour ses fils. Je serre les poings, écrasant la lettre entre mes doigts. Mes mâchoires se crispent et je laisse échapper un cri de rage, qui laissera place plus tard aux sanglots. Ainsi, Misha ne souhaite plus me voir. Comme il voudra. J'aurais bien trop de fierté pour courir après lui de toute façon, d'autant plus que je lui en veux à mort pour avoir écouté son père. S'il craignait la fureur de ce dernier, il n'a encore jamais fait face à la mienne.

« Tout va bien Oksy ? » me demande ma meilleure amie. Je ne prends même pas la peine de la regarder dans les yeux pour lui répondre. A vrai dire, je mets plusieurs secondes avant de trouver les mots. « Sans plus. » je finis par lâcher, lasse de dire ce que j'ai sur le coeur. Je regrette presque sur l'instant de me montrer aussi froide avec Anatole, elle qui est venue de si loin pour passer un peu de temps avec moi. Je suis décidément une amie en carton. Je prends ma tête entre mes mains et me maudis d'être aussi stupide. « C'est à cause des derniers événements c'est ça ? » me demande-t-elle d'un ton compatissant. Si par les événements elle parle du décès de ma mère, du décès de mon ancien petit-ami et des dernières frayeurs que j'ai expérimentées par rapport à la présence de certains de mes proches à Harvard, oui, c'est à cause de cela. « Oui, c'est ça ... » je me contente de répondre, ne souhaitant pas m'épancher sur le sujet. « Bon, c'est pas possible, tu peux pas continuer comme ça Oksanna. » me sermonne-t-elle alors en se levant pour mieux me faire face. Je soupire car je n'ai pas envie que nous nous disputions alors qu'elle est venue me voir. Elle et moi connaissons de nombreuses altercations, qui nous conduisent en général à un période de froid, et je souhaite éviter cela aujourd'hui, car j'ai trop besoin de mon amie en ce moment. Je m'apprête à lui dire de ce calmer, que je vais faire un effort, mais elle me coupe la parole et continue sur sa lancée. « Viens avec moi à Harvard. Tu ne peux pas rester ici, à Moscou. Tu es en train de te laisser aller et tu mérite mieux que cela. » A cet instant précis, j'ai envie de lui sauter dans les bras. Elle a toujours sut ce qu'il valait mieux pour moi, même mieux que moi. Je suis donc tentée par sa proposition. Après tout, rien ne m'attend vraiment en Russie et mon père serait ravi de savoir que je vais terminer mes études à Harvard. D'autant plus qu'Anatole n'est pas la seule que j'y retrouverais. Il y a aussi Misha. Je donnerais tout pour le revoir, pour pouvoir lui parler, lui dire tout ce que j'ai sur le coeur. Décidément, c'est une bonne idée que de partir d'ici. « Tu as raison. J'ai plus rien à faire ici. » je confirme à Anatole, presque prête à faire ma valise.

C'est ainsi qu'on en arrive à aujourd'hui. Cela fait quelques semaines que j'ai posé mes valises à Harvard et que j'y ai repris mes études de Relations Internationales et de Langues. Je m'y plait beaucoup, après tout les Etats-Unis sont très différents de la Russie. Je me sens vivre à nouveau, j'arrive à mettre mes dernières souffrances derrière moi. Je n'ai pas encore eu l'occasion de recroiser Misha. J'ai tendance à dire que c'est un manque de chance, mais je pense surtout que je l'évite. Je ne sais pas trop ce que je veux, je pense que je l'aime toujours mais j'ai du mal à me l'avouer. D'autant plus que je ne sais pas trop quoi lui dire quand je le reverrais. Je lui en veux beaucoup pour avoir choisi son père plutôt que moi, que notre amitié. Mais je sais qu'il a aussi ses raisons de m'en vouloir par rapport à mon petit jeu avec son frère. Dans tout les cas, j'espère qu'on pourra un jour se pardonner et reprendre sur de bonnes bases. En admettant que nous soyons capables de mettre de côté nos différents.