Aloysia Elyott Parker-Wright. Un nom à rallonge pour une personne aussi compliquée que peut être une jeune fille d'une vingtaine d'années. En plus d'avoir des parents plus libertins qu'autre chose, elle n'a jamais réellement réussi à se séparer de son jumeau, resté à Dublin après avoir changé d'avis suite à une dispute.
Commençons tout d'abord par mes parents. Monsieur et Madame Parker. Couple marié depuis une vingtaine d'années, toujours envié pour la confiance que chacun semblait accorder à l'autre dans un univers où les apparences ont toujours été trompeuses. Parents aimants, souriants et chaleureux, l'exemple type de la famille saine, digne d'une série américaine pour une Amérique puritaine. Personne ne se douterait une seule seconde de la mascarade. Pourtant, en s'y rapprochant d'un peu plus près, l'on rencontre rapidement le véritable visage du couple qui n'allait décidément, plus ensemble. Vous l'avez déjà croisé, pour la plupart, déjà reconnu, monsieur était réalisateur de films pour adultes. Un art qui semblait incompris. Selon lui, personne ne pouvait réellement comprendre le cinéma sans avoir vu un film classé X de ses propres yeux. Je n'ai jamais réellement compris cette passion, mais je n'ai jamais fait aucun commentaire là-dessus. Il en était obsédé, de ce métier qui lui prenait tout son temps, fier de ce qu'il appelait ses « chef d’œuvres » qu'il divulguait à ma mère pour lui partager ce qu'il pensait être un exemple pour tous les couples aussi unis qu'eux. Un échange qui avait toujours marché pour tous les deux. A vrai dire, ils ne se voyaient que rarement, chacun ayant des vies remplis. Lorsqu'ils se voyaient, ils s'enfermaient dans leurs chambres toute la journée mais je vous épargne les détails. Lorsqu'il s'en allait pendant plusieurs mois, ma mère n'avait aucun scrupule à avoir des amants, surtout des jeunes, parce qu'elle se considérait encore comme une jeune fille de vingt ans et qu'en plus de cela, elle était riche (argent qui n'était même pas à elle mais c'est une autre histoire). Il était très souvent pris par ses tournages. Tout devait être parfait. Il était aussi minutieux que Spielberg pour ses effets spéciaux. C'en était quelque peu... étrange. Ma mère n'a jamais fait de commentaires. Perdue dans un passé irréparable, elle tentait de me transformer en cette fille qu'elle avait toujours rêvé d'être. Elle supposait qu'en me rendant célèbre, elle serait elle-même célèbre. Un chemin que j'ai longtemps été obligé de suivre. A trois ans, j'étais peut-être aussi connue que la petite Suri des Cruise. Je vous proposais de gouter à mes céréales au chocolat ou d'acheter des couches pour bébé. Situation qui m'a bien vite mis mal à l'aise lorsque j'ai commencé à prendre conscience de ce que je souhaitais réellement faire de ma vie. Le cinéma m'avait toujours attiré, mais pas de cette manière-ci. J'avais dix-sept ans à l'époque. Je faisais du mannequinat, de la publicité et j'animais en plus une émission pour des adolescents pré-pubères sur les nouveaux soi-disant talents que nous offraient l'Irlande. Émission qui ne m'atteignait absolument pas, la trouvant absurde et inutile et ce donc tout naturellement que lorsque celle-ci s'arrêta, c'est bien moi qui suis allée réconforter ma génitrice et non le contraire. Et avec cet emploi de ministre, ma mère trouvait encore le temps de m'emmener multiplier les castings. Elle vivait de ma célébrité. De mon talent. De ma jeunesse. Je n'étais que son pantin, mais je la suivais dans cette voie que je pensais être la mienne. Ce jour-là, mon père venait de terminer un long tournage. La promotion ne commençait que dans quelques jours. Il s'était approché de moi et m'avait enlacé durant de longues minutes, avant de me proposer de le suivre pour découvrir ce qui devrait être mon destin. Une vie de rêve. De princesse. Que tout le monde rêverait d'avoir. Après tout, il fallait que je m'y fasse et que j'entre enfin dans la cour des grands. Il me présenterait à de grands noms. De grands acteurs qui me permettraient d'avancer, puisque je stagnais dans ce rôle d'animatrice et de mannequin sans cervelle qui me collaient à la peau depuis mon arrivée à la télévision. Du jour au lendemain, je faisais le tour du monde, auprès de mes parents, pour la promotion d'un film pas très catholique. Je prenais des cours par correspondance entre deux dîners mondains et ça m'allait très bien. Grâce à ça, j'ai pu découvrir autre chose. Des photographes, des journalistes, des réalisateurs, des maquilleurs. Bien sûr, j'en côtoyais très souvent dans mon milieu mais cette fois-ci, c'était différent. J'avais l'occasion de leur adresser la parole. Vraiment. Pas seulement pour leur demander où étaient les toilettes. Et j'ai rencontré Carter. Jeune homme de vingt-cinq ans, vêtements soignés, posture droite et sourire irrésistible aux lèvres, il m'a immédiatement reconnu comme étant la petite fille aux céréales. Rien d'étonnant, puisqu'ils semblait travailler dans la publicité. Il a passé toute la soirée avec moi. Il était étrangement très intéressé par mon opinion sur l'image que je pouvais renvoyer et il s'est bien vite rendu compte que je n'étais décidément pas fait pour jouer les célébrités. Au contraire. Il s'est mis à me raconter sa vie, depuis le début son envie de devenir médecin et sa découverte de la machine qui a changé sa vie, l'appareil photo. Petit objet simpliste qu'il m'a tendu. Rien de bien passionnant. Pourtant, en me montrant certaines fonctionnalités et en me donnant quelques conseils d'utilisation, j'y ai vu autre chose. Quelque chose de tellement plus profond qu'une simple photographie que l'on faisait entre amis. J'ai passé la soirée à prendre des photos à ses côtés. La fin de la soirée s'est terminé par un petit baiser sur la joue. Etrangement, je ne l'ai plus revu depuis ce jour. Aujourd'hui, je me dis que ce n'était peut-être qu'un rêve. Un signe du destin pour m'ouvrir les yeux sur la véritable carrière qui m'attendait. Je n'ai pas arrêté le mannequinat, ni les castings, mais ce n'était plus ma priorité. Lorsque je l'ai fait savoir à mes parents, j'ai cru voir ma mère faire une crise cardiaque. Nous étions assis dans le salon. Mon jumeau était auprès de moi, le bras autour de mon cou. Mes parents étaient en face de nous, une tasse de café à la main. Le cliché de la réunion de famille.
« Charly et moi en avons discuté et après avoir envoyé nos candidatures, nous voulions simplement vous dire que nous sommes pris à Harvard et que l'on comptait s'installer là-bas dès l'année prochaine ! » Mon père s'est levé d'un bond et a hurlé sa joie en nous sautant au cou. Lui-même n'ayant pas fait de très grandes études, il avait toujours souhaité nous voir réussir dans la vie. Et entrer dans une telle université était la meilleure des choses pour lui.
« Mais voyons Aloysia... tu n'as pas besoin d'Harvard ! Tu as déjà tout ce que tu souhaites ! » A répondu ma mère. Silence. Le plus long silence de toute notre vie. A tous. Mon père s'est tourné vers elle, lui lançant un regard d'incompréhension.
« Qu'est ce que tu racontes ? Bien sûr que si elle a besoin d'Harvard. Face à quelqu'un qui a fait des études, on choisira toujours la plus intelligente que celle qui s'est arrêté après le lycée. » Il parlait en connaisseur.
« Contrairement à toi, elle est déjà assez bien intégrée dans le milieu pour ne plus avoir besoin d'étudier. Et qu'est ce qu'elle va faire là-bas ? Elle apprendra ce qu'elle sait déjà faire. Jouer la comédie. Sourire. Et dire combien elle aime l'Amérique. » Ma mère était plutôt limitée. Elle avait toujours pensé qu'en jouant les petites filles modèles, toutes les portes s'ouvriraient. D'une certaine manière, elle n'avait pas totalement tort, mais elle ne voyait pas tout le travail que cela pouvait être derrière un sourire ou un regard. Charly m'a lâché pour se mettre entre nos deux parents, qui haussaient un peu plus la voix.
« Arrête un peu maman... C'est déjà décidé. Ce n'est pas toi. C'est moi. Je ne veux pas devenir comme toutes ces célébrités déchues à trente ans. Ce n'est pas ma voie. Tu ne peux pas me forcer. » Je ne vous fais pas un dessin. Elle a littéralement explosé. Elle a hurlé que je n'étais qu'une indigne fille, qu'elle avait toujours tout fait pour moi et que c'était ainsi que je la remerciais après des années à m'aider pour devenir ce que j'étais aujourd'hui. Charly a tenté de s'interposer, mais il n'y avait plus rien à faire. Une bombe à retardement qui explosait entre nous. Mon père a bien essayé de nous arrêter, il était trop tard.
« Ce que je suis maintenant ? Qu'est ce que je suis maintenant ?! Je ne suis même pas moi-même. Je sais même plus qui je suis ! Je suis ton pantin. Une marionnette qui ne fait que suivre les ordres d'un tortionnaire. » J'ai cru qu'on allait en venir aux mains. Heureusement, nos deux hommes nous ont arrêté. Ma mère ne m'a plus jamais réellement adressé la parole après ça. Je n'avais déjà pas de réelle relation avec elle, cela n'allait pas mieux en avançant. Et mon père ? Il n'a pas essayé d'arranger les choses. Il est reparti aussitôt pour un nouveau tournage. Et d'une certaine manière, je n'avais aucune envie de me réconcilier avec elle. Plus d'une fois, elle est venue me voir pour me demander d'un ton froid :
« Es-tu vraiment sûre de ce que tu fais ? Tu es en train de gâcher toutes tes chances de devenir aussi connue que Kate Moss. » Et plus d'une fois, je lui répondais :
« Maman, arrête s'il te plait. Regarde un peu comment finissent les tops d'aujourd'hui. » Et la dispute recommençait. Malgré notre relation chaotique, elle n'était pas assez cruelle pour me couper les vivres. Et de toute façon, tout l'argent amassé était à moi. Je n'eus donc aucun regret en quittant Dublin. Sauf peut-être, Charly.
(...)
Charly, c'était ma bouée de secours. Mon rayon de soleil entre deux tempêtes que créait ma mère. Quelques minutes nous séparaient. Jumeau qui ressemblait plus à ma mère alors que j'étais le portrait de mon père. Cheveux en bataille, yeux pleins de malice et petit sourire énigmatique, c'était mon petit prince. Lui et moi, c'était très fort. Partageant les mêmes centres d’intérêt et les mêmes ambitions de rendre complètement fous mes parents, les dîners de famille avaient toujours été un moyen pour nous de nous amuser. Deux gamins qui amusaient la galerie, jouant aux agents secrets durant les vacances, se confrontant très souvent à nos cousins. Nous étions les gentils, ils étaient les méchants à éradiquer. Il nous en fallait peu pour nous comprendre durant les longs silences. Il était présent pendant les difficultés de l’enfance. Premier coup de cœur pour le rebelle de ma classe, premier râteau qui brise les rêves de mariage avec le jeune homme d’une dizaines d'années. Une relation fraternelle qui rythmait nos folles aventures. Nous n’avions que dix ans et pourtant, aucun de nous deux ne se voyait vivre sans l’autre. Un frère et une sœur qui étaient prêts à tout pour rester éternellement ensemble. Complicité impossible à cacher devant les journalistes. Échanges de sourires, petits gestes tendre, mes parents étaient fiers de nous présenter comme des jumeaux à part entière. Plus le temps passait, plus notre relation se fortifiait. Je n'avais pas de petits-amis, mais c'était tout comme avec lui. A chaque fin d'émission que j'animais, il venait me rejoindre pour m'embrasser sur la joue. A chaque défilé, il était dans les coulisses à m'attendre. A chaque fois que j'avais besoin de lui, je savais où le trouver. Et cette relation était réciproque. C'était un tombeur au grand cœur. Et c'était moi qui revenais coller les morceaux lorsque cela n'allait plus entre ses copines et lui. Mais comme toute bonne relation qui se respecte, il fallait que tout ceci se termine par un éloignement. Ce fut très brutal. Assez pour me que j'y pense encore chaque jour. Cela faisait trois ans qu'il côtoyait la même petite-amie. Nous nous voyions moins. Il était avec elle, pendant que je posais pour un nouveau magazine de mode. Il était avec elle, pendant que je passais des castings - où je me faisais toujours recaler pour mon manque de détermination. J'avais besoin de lui, mais sa copine aussi. Elle passait avant moi. J'en étais jalouse. Terriblement jalouse, mais je n'ai jamais rien dit, parce que c'était Charly. Lorsqu'il se disputait avec elle, il venait se blottir contre moi, dans mon lit et nous restions ainsi pendant des heures. Je ne disais rien. C'était différent avec lui. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Je pouvais être très rancunière avec les autres, mais lui, c'était mon jumeau. Si je me disputais avec lui, je me disputais avec moi-même. Et je détestais ça. Nous nous sommes donc éloignés. Sans que cela ne lui fasse rien. Lorsque nous avons été accepté tous les deux à Harvard, alors que sa copine préférait plutôt rester à Dublin, j'ai sauté de joie. Hypocrite, mais j'ai quand même sauté de joie. Tout allait redevenir comme auparavant. J'en étais certain. Charly en était dévasté, mais je reprenais enfin mon rôle de sœur dévouée pour le réconforter... Du moins, c'était ce que j'essayais de faire. Mauvaise humeur, remarque acerbe et autre regard noir de sa part, il ne semblait pas très enclin à vouloir me laisser faire. C'était la première fois qu'il se comportait comme ça.
La veille de notre départ, il était resté toute la journée dans sa chambre, au téléphone avec sa copine. Elle était partie pour San Francisco depuis quelques semaines et ça semblait le tuer à petit feu de ne plus pouvoir la voir. Un couple trop mielleux, trop tout pour que je puisse réellement comprendre leurs sentiments. Quand il aimait, il n'aimait pas qu'à moitié. Ses sentiments étaient très souvent disproportionnés avec la réalité. C'était ce que j'aimais chez lui, mais cela pouvait rapidement se transformer en désavantage pour nous. Il pouvait vous aimer au point de pouvoir tuer pour vous et lorsque cela n'allait plus, il était prêt à vous tuer, vous. De la folie. Mais c'était comme ça aussi, que je l'aimais.
« Charly ? Je peux entrer ? » Il n'a rien dit, j'en ai donc conclu que oui. Je suis doucement entrée et je me suis allongée à ses côtés, mes bras s'enroulant autour de lui.
« Peut-être que maman a raison... peut-être qu'on ne devrait pas aller à Harvard. On en a pas besoin. » Souffla-t-il alors qu'il posait sa tête sur la mienne. Et voilà qu'il recommençait à dire n'importe quoi. Je savais très bien pourquoi est ce qu'il le faisait.
« Tu la reverras tous les étés. Tu l’appelleras tous les soirs. Ça vous permettra de vous rapprocher encore plus à ton retour. » Il s'est redressé et m'a fixé un moment. Il a passé une main dans ses cheveux, puis a remis une mèche derrière mon oreille.
« J'ai pas envie d'y aller. J'ai pas envie de te suivre. J'ai pas envie de devenir ce que tu étais pour maman. » BOOM. Première bombe de son côté. J'ai cru que j'allais mourir à l'entente de sa phrase. Etait-il en train de me dire qu'il devenait mon pantin ? Que je le manipulais, comme avait pu le faire ma mère avec moi ? Je l'ai brusquement repoussé et me suis levée comme une furie pour lui faire face. Il était toujours allongé, ébahi par ma réaction.
« Tu te rends compte de ce que tu dis ?! Mais bon sang Charly, Harvard, c'était NOTRE rêve. NOTRE RÊVE, tu entends ? Et c'est pas une fille pareille qui va y changer quelque chose ! Comment t’oses dire ce que t'as dit alors que tu sais très bien que ce ne sera jamais pareil. » J'ai hurlé. Je le savais. Tout le monde avait dû m'entendre, mais je m'en foutais. Je m'en foutais complètement, parce qu'à ce moment-là, je lui en voulais terriblement. Assez pour que je sorte de mes gonds. Une première dans toute l'histoire. Elyott, s'énerver contre son frère ? Jamais. Et pourtant.
« T'es égoïste Aloysia. T'es égoïste. Tu peux pas supporter le fait qu'une autre femme passe avant toi. Je n'irais pas, c'est décidé. Fais ce que tu veux, mais sans moi. » Les larmes ont commencé à couler. Je le détestais. Il avait raison et je le détestais pour ça. Il s'est approché en voyant mes larmes, mais j'ai reculé pour ne pas craquer plus que ce que je pouvais.
« Je te déteste de m'avoir abandonné. Y'avait que nous deux. On s'était promis que personne ne nous séparerait. J'ai passé tout le monde après toi et toi, tu me fais un coup pareil. C'est mieux pour tout le monde que tu ne viennes pas... parce que je veux plus jamais te revoir. Plus jamais. » Et j'ai quitté la chambre avant qu'il me retienne. Il trouvait très souvent les mots pour me calmer et je n'avais pas envie de me calmer cette fois-ci. C'était trop facile de s'excuser. Et cette fois-ci, je ne pardonnerais pas. Je ne pardonnerais plus. Il a tapé plusieurs fois à ma porte, je l'ai fermé à clé.
Le lendemain, j'ai quitté la maison le plus rapidement possible. J'ai pleuré pendant tout le trajet, mais il valait mieux pour tout le monde que je m'éloigne. Et plus le temps passe, moins je pense à eux.