LA FLEUR DU MAL
Il aime cette ville bruyante où la misère se camoufle d’un air de fête, pleine de couleurs ignorées, d’échoppes rigolotes, de petits cafés au bord de l’eau, de mafiosi en blouson de cuir, de prostituées à la jeunesse si émouvante.
11h20,
Une mélodie stridente sonnait le glas dans tout l’appartement. Réveil difficile. Ramassant un bout de tissu qui trainait par terre, le jeune homme l’enfila aveuglement. Il fit quelques pas autour de lui, voyant l’apocalypse soufflait dans le miteux appartement. Lendemain de soirée, certains diraient. Il regarda longuement, voyant quelques corps comateux allongés par terre, entendant quelques renflements alcooliques ou quelques cris de plaisir de lèves-tôt en quête perpétuel de luxurieux désir. Un matin comme presque tous les autres. Après de longues minutes comateuses, il prit dans sa main son cellulaire. Quatre appels manqués, un nouveau message et deux textos. Un premier soupir s’échappa de la bouche de Thor. Tout cela était le fruit d’un même auteur, Cora. La jolie Cora. Il ne prit pas la peine d’écouter le message, ni même de les lire. Il savait pertinemment ce qu’ils disaient. Non, ce n’était pas qu’il avait un don inné. A moins que connaitre quelqu’un était un don inné, je vous laisse me le dire. Et sans attendre une réaction de ses camarades éphémères, dont leurs noms lui échappaient, il partit à la recherche de ses habits afin de s’habiller.
‘‘Je suis en retard ? – A ton avis ? Tu n’es pas venu tout à l’heure alors qu’on s’était donné rendez-vous pour prendre un café et enfin bref... Tu as fait la fête hier soir, je me trompe ? – Euh… ouais, pourquoi ? – Parce que tu pues l’alcool. Enfin, j’espère que tu t’es bien amusé cette fois-ci … – Cora , je te promet, je n’ai couché avec personne… –J’espère. – Je t’ai…’’. Et les murmures bourdonnants s’éteignirent lorsque le cellulaire du jeune homme se mit à vibrer sur la petite table. Aussitôt, il le prit dans ses mains. Lisant furtivement le message qui venait de s’afficher sous ses yeux. Le loup est dans la bergerie. Le numéro était inconnu, l’auteur aussi donc. Instinctivement, Thor leva la tête et regarda autour de lui. Autour de lui, des gens. Des étudiants dans un grand amphithéâtre à écouter la leçon du jour dictait par l’une des profs. Il chercha. Chercha du regard qui aurait bien pu lui envoyer cela. Il avala avec difficulté le surplus de bave qui se trouvait dans sa bouche. ‘‘Ca va ?’’ lui demanda alors Cora dans un murmure maternel. Les yeux du norvégien se déposèrent sur le visage de la jeune fille à la recherche de réconfort certainement. Puis son regard glissa sur l’écran de son téléphone portable. Sans un mot, il ne répondit pas à sa question. De toute façon, il aurait répondu faussement d’un ‘oui, ça va…’. Ca aurait tellement pué le faux. La main de la jolie brune vint kidnapper l’objet moderne qui semblait tant attirer l’attention du jeune homme. Elle allait certainement lire le message de ce quidam. Très certainement. ‘‘J’ignore qui ça peut-être, mais ce n’est pas la première fois que je reçois ce genre de message…’’ dit-il, tête baissée comme honteux de ce qu’il venait de recevoir. ‘‘Enfin quand ils en auront raz-le-cul avec leurs conneries, ils arrêteront. Ne te fais pas de soucis.’’ reprit-il. Ne te fais pas de soucis, Cora. Thor rangea donc son portable dans la poche de son jean et reporta son attention en face de lui. Puis il se tourna une nouvelle fois vers sa camarade, qui était bien plus que cela à vrai dire à ses yeux, et lui prononça à nouveaux quelques mots. ‘‘Au fait, t’aurais pas du papier et un crayon ? J’ai un peu oublié… mes affaires… on va dire.’’. Elle leva les yeux au plafond, lâchant un petit soupir de désespoir trahissant ses pensées. Un petit sourire et un air désolé se peignirent sur le visage de Thor. Elle lui tendit une feuille vierge et un stylo bille noir. A présent, il pouvait écrire. Ecrire tout ce qu’il voulait. Ecrire le cours, ses pensées, sa vie. Raconter sa vie en quelques mots, quelques lignes, oui maintenant, il était en pouvoir de le faire. Parle-nous de toi, Thor. Parle-nous de ta vie. Bien entendu, ne le fait pas. Ce serait trop simple comme ceci. Quelques mots furent griffonnés par le jeune homme pendant le temps restant dans le grand amphithéâtre, cage des étudiants félins.
14h38,
‘‘Vous avez cinq nouveaux messages. Message reçu à 11h02. Tu t’es barré avec mon portefeuille ce matin. T’as intérêt de me le rendre au plus vite ou je te défonce ta belle gueule de viking. Allez bisous ma couille. Message reçu à 11h30. Salut, c’est Ely. C’est Milo qui m’a passé ton numéro. J’espère que tu te rappelles de moi… c’est la fille de la soirée… tu sais celle que tu insinuais qu’elle avait un balais dans le cul. Enfin bref… je voulais savoir si on ne pouvait pas se revoir un de ces quatre ? Je t’embrasse. Message reçu à 12h00. Dis, t’as encore de la beuh ? Rappelle-moi, Milo. Message reçu à 13h40. Ouais, c’est Maya. Je ne sais même pas pourquoi je te laisse un message en fait, même pourquoi je t’appelle. Tu peux m’expliquer pourquoi tu veux te la jouer petit gars bien rangé maintenant ? Il est où le Thor qui se roulait un joint en cours, celui qui s’en foutait de ses cours, celui qui se foutait de la gueule de tout le monde et ne faisait pas attention à son image, celui qui faisait ce qu’il voulait. TOUT ce qu’il voulait. Le mec sans limite. Tu me déçois, sache-le. Message reçu à 14h17. Arrête de filtrer mes appels et d’ignorer mes messages. Pauvre type. Tu me reconnaitras. ’’
14h42,
‘‘ Pssst ! C’est lui dont je t’ai parlé l’autre fois. Celui qui a fait de la taule apparemment. A ta droite, veste en jean pourrie. Je me demande bien ce qu’il a fait. Enfin ça se voit à sa gueule qu’il n’est pas net. Pas clean du tout. Il cache quelque chose lui. Quoi ? Ne me demande pas. – Sérieux ? Putain, j’ai fait une soirée avec lui en plus. Le mec super coule qui me passe quelques cachets d’exta, je l’aurais bien payé en nature… Quoi ? Ne me regarde pas comme ça… enfin… t’as raison, il n’est pas très net. Tu penses qu’on devrait faire attention à lui ? – Carrément, t’as envie de te trouver un couteau dans la gorge ou quoi ? Je suis sûre qu’il a tué quelqu’un. Regarde, ses yeux noirs… – Là, tu deviens parano. – Non, j’émets juste des hypothèses. Et puis attendant un peu, les rumeurs courent vite sur lui. Nous verrons bien ce qu’elles diront sur notre viking.’’ Les langues de vipère sont de sorties.
16h01,
‘‘Thor ! Coïncidence ? Cora venait justement de me parler de toi ! – Ah ? – Elle t’aime, tu sais. – Les chiottes ont des oreilles, tu sais. – Pardon ? – Allons ailleurs si tu tiens vraiment à parler. – D’accord… […] – Tu voulais quoi alors, Alo ? – Rien de spécial, juste savoir comment tu allais. – Tu pouvais le demander à Cora, non ? – En effet, mais ça faisait un moment que je n’avais pas vu ta petite bouille ! Elle m’avait manqué, tiens. – Ouais… – D’ailleurs, elle m’a dit que tu faisais beaucoup d’effort pour elle, pour votre couple. Je crois bien que c’est la première fois que je la vois autant amoureuse d’un garçon. En fait malgré tout ce qu’on peut entendre à ton sujet depuis un certain temps, t’es vraiment un type bien ! – Hum… Un type bien, apparemment ce n’est pas l’avis de tous. Bref, je vais te laisser. Tu diras à Cora que je l’embrasse. – Vous ne devez pas vous voir ce soir normalement ? – Je ne sais pas…’’.
21h12,
‘‘Putain, il fout quoi ? Toujours en retard celui-là. – C’est bon relax, il va venir. Tu sais bien comme il est. – Ouais, il doit être entrain de percho une nénette au lieu de venir prendre un verre avec nous. Tiens, d’ailleurs, je vais commander un autre verre. J’ai soif bordel ! – Moi aussi, tu paies ta tournée ? – Ouais vas-y. – Hé attend, ce n’est pas lui là-bas ? – Là-bas où ? – Dehors, près de l’arrêt de bus ! –T’as que ça à faire toi ? Mater les gens par la vitre ? Asy, je vais nous commander boire, tu racontes que de la merde. –Non, je te jure c’est lui. Je te parie tout ce que tu veux c’est lui. Hé… il est avec une fille… putain ce n’est pas l’autre avec lui ? Quelle bouffonne celle-là, une pauvre fille. Bordel qu’est-ce qu’il fout avec elle. Attend, je vais lui faire un signe ! – Il ne va pas te voir, bouffon. – Ah t’es revenu ! Mais… Tu savais qu’ils se connaissaient toi ? – Ils sont dans la même promo, donc c’est un peu logique qu’ils se parlent ouais. Après c’est sûr que de les voir l’un et l’autre bras dessus-dessous… Putain, mec. Bois. On dirait deux gros voyeuristes là, enfin surtout toi. – Dixit le mec qui se branle en lisant le magasine de sa petite sœur. Ahah.’’
22h39,
‘‘Eh bah quand même !’’ s’exclama Icare. ‘‘Ca fait plus d’une heure qu’on t’attend. Tu te tenais la verge ou quoi ?’’. Rictus amusé, Thor ne dit pas un mot. Ecoutant solennellement son ami se donnait en spectacle en toute vulgarité. Et sans attendre un ordre de sa part, il s’installa à la table de ces deux potes. ‘‘Putain, y a une soirée chez l’autre tapette, ça ne te dit pas d’aller remuer tout ça ? Ca va grouiller de petites filles sages, ça m’excite déjà. Putain, y en plus y a la petite blonde d’hier soir, Nelly. Ce soir, je vous le dit, je vais baiser !’’. Du Sheldon, du grand Sheldon. ‘‘Tu sais, tu nous dit cela à chaque soirée. Au nul, tu baises personne, ma couille.’’ Fit remarquer Thor. Puis il ajouta : ‘‘je viens avec vous, mais alors, Shelly, tu me prouves que t’es pas puceau.’’. Le dit Shelly roula des yeux sous les rires significatifs de deux jeunes hommes. Un brin vexé, il leur dit s’il n’était pas grand temps qu’il y aille à cette soirée. A cette fameuse soirée. Ils n’y étaient pas conviés, mais après tout est-ce que cela servait-il à quelque chose d’être inscrit ou non sur la liste des invités ? Non. Sur le chemin de l’orgie, Thor en profita à se munir de son téléphone portable et d’envoyer un message à Cora. Je suis désolé, je ne pourrais pas venir tout à l’heure. On se voit demain et s’il-te-plait ne m’en veut pas. Je t’aime. Il l’aimait. C’était certain cela. Un amour secret. Un amour fort. Un amour sincère. Un amour réciproque. Et pourtant chaque jour, il devait faire comme si ses sentiments étaient inexistants. Refouler ses sentiments. Oui parce que pour vous, un pauvre type n’avait pas le droit à l’amour d’une fille…
11h20,
Une mélodie stridente sonnait le glas dans tout l’appartement. Réveil difficile. Ramassant un bout de tissu qui trainait par terre, le jeune homme l’enfila aveuglement.
∞∞
Tes journées ne riment à rien, Thor. Elles ne riment à rien du tout. Ta vie ne rime à rien, et rien ne rime ta vie. Tu es ce type que l’on dit ne pas avoir d’avenir. L’avenir, c’était ce concept inventé par les gens prétentieux, par les gens ambitieux et dédaigneux, c’était votre concept tout simplement. Le votre, mais pas le sien fallait-il croire. Les autres un jour vont-ils se taire, peut-être pas, c'est plus fort qu'eux. On te colle une étiquette sur ton joli cul aussi facilement que ces filles qui écartent les cuisses pour te saluer. C’est les nouvelles tendances de notre monde, du tien comme du mien, Thor. On suit les codes et les normes comme des moutons. T’as vingt-et-un ans, tu te fous du tiers comme du quart. Allongé dans ce lit, nu, un drap cachant tes parties intimes, tu regardes le plafond de ta chambre. Tu penses à tout et à rien. Tu penses à rien surtout, en fait. Penser à rien. Ne plus penser du tout. Tu ne fais que singer tes idoles. Peut-être vivras-tu plus vieux que tes idoles de vingt-sept ans . Des fois, tu t’imagines une autre vie, non pas meilleure (cela ce n’est que pour les optimistes ou les utopistes). La Norvège, terre natale, ton père, ta mère, une petite blonde dont son nom t’échappait, les tasses de chocolat chaud près du feu, la pêche avec papy, soulever les jupes des filles pour les faire râler, les batailles de neige, attraper un rhume toutes les deux semaines, les chants paillards, c’était tout cela ton enfance. Des mots, des images indélébiles. On a tous une âme d’enfant qui brille au fond de notre sombre âme.