« C’est qui tous ces gens … » le petit garçon de huit ans fut poussé vers l’arrière par sa sœur, tandis que l’aîné ferma aussitôt les rideaux de la fenêtre. Vexé. Il était vexé qu’on le mette à l’écart. Qu’on ne lui dise pas ce qu’il était en train de se passer. Qu’on le prenne encore pour un enfant alors que « non, il était le plus grand de sa classe » et que ça voulait tout dire. Alban semblait nerveux. Il faisait les cents pas dans le corridor en se frottant le visage s’attendant à tout moment à recevoir « ces gens » qui n’allaient pas tarder à sonner à la porte.
« Charlie, emmène Heath à l’étage. » Oui, Charlie. Elle n’avait même pas besoin de lui dire, ni de lui demander quoique ce soit, Heath était du genre à la suivre partout où elle allait, à faire limite tout ce qu’elle disait parce qu’il le voulait, parce qu’il en avait envie. Quand on trouvait Charlie, on trouvait souvent Heathcliff, c’était comme ça. Ca ne le serait plus pour très longtemps. Ces gens étaient définitivement là pour le récupérer, mais ça, il ne tarderait pas à le savoir. Il peinait à réaliser que sa mère n’était plus de ce monde, mais étant donné qu’elle n’avait pas été très présente à la maison, il était plus attristé par le fait d’être séparé de sa sœur et de son frère. Charlie avait bien essayé par la suite de lui expliquer ce qu’il se passait, mais il n’y avait rien à faire. Il ne voulait pas partir, se retrouver au milieu d’inconnus. il ne l’acceptait pas. Jamais il ne le pourrait. Comment il le pourrait …
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« Vincent ! Qu’est-ce que tu fais ? » « A ton avis ? Je vais aller rendre visite à notre cher voisin… » répondit-il sèchement armé d’une batte de baseball et marchant d’un pas décidé vers la porte d’entrée
« Non ! Ne fais pas ca ! » « Et qu’est ce que tu crois que je dois faire hein ? Faire comme si de rien n’était ?! Ma femme me trompe avec mon voisin depuis… douze ans ! BORDEL ! Aucun de ces trois foutus morveux n’est de moi hein ?! » Chaque mot prononcé de sa bouche déferlait comme un coup de couteau en pleine chair sur toutes oreilles attentives à la conversation. Bien évidemment les trois dits morveux se tenaient tranquillement dans leur chambre, chacun à leur occupations de pré-adolescent lorsque la dispute venait de prendre un nouveau tournant, tel qu’ils n’en avaient jamais vu auparavant. Les gens se disputent puis se réconcilient, c’est normal. Sauf que là, du haut de ses onze ans, Heath le pressentait : c’était le début de la fin. Et pourtant étant perspicace, il avait tout de suite mis le doigt sur le fait qu’aucun des deux enfants des Graham ne ressemblaient au père, pas même quelques traits. Lui avait été recueilli par cette famille à l’âge de huit ans après avoir passé quelques mois en foyer. Madame Richards ne cessait de lui dire qu’il avait eu de la chance d’avoir été placé aussi vite dans une famille aussi charmante.
Il était vrai que les Graham avaient toujours été bons envers lui, ont toujours essayé de l’intégrer, mais faut dire que Heath avait décidé de ne pas leur rendre la tâche facile. La famille, le jeune homme en connaissait le terme et la valeur, mais pas avec eux. Il avait une famille lui aussi, et ce n’était pas les Graham qui allait combler ce manque, c’était l’idée qu’il s’était mis en tête, et il se trouve qu’il est du genre très convaincant alors … Il essaie du mieux de ne pas se montrer trop désagréable parce qu’au fond, ca lui faisait du mal de devoir agir ainsi vis-à-vis de cette famille mais il est du genre têtu le petit Heath. Quelque part, il devait penser qu’en étant ainsi, on l’apprécierait moins, et que peut être les Graham déciderait de « le rendre » au foyer dans lequel il a été laissé quelques années plus tôt maintenant, et que par un heureux hasard, un Lestwood viendrait le chercher. Mais c’était peine perdue. Sauf qu’à onze ans, tous les rêves étaient permis.
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« Tu es certain que c’est ce que tu veux ? C’est une grande décision, et ce n’est pas une petite école. Il va falloir travailler tu sais ? » Honnêtement, s’il avait pu, il leur aurait crié qu’il n’était plus un gosse et qu’il était, sans prétention, plus intelligent que tous les mômes avec qui il avait grandi dans ces écoles. Mais il avait un plan. C’est qu’il est plutôt malin le petit Lestwood, et qu’il y a beau avoir eu des années qui se sont écoulées depuis qu’il ait été séparé des siens, il n’a jamais oublié les noms et les visages de ce qui était sa famille. Il en avait retrouvé une, Charlie. C’était avec un heureux hasard, en surfant sur le web, qu’il était tombé nez à nez avec le nom de sa grande sœur sur un site d’une des plus grandes universités au monde. Voir sa bouille enfantine dissimulé derrière quelques mèches rousses lui réchauffait le cœur. Et il s’était mis en tête de la retrouver par tous les moyens qui soient. Tous ! C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à jouer le gentil garçon, le fils modèle depuis quelques semaines pour essayer d’amadouer un peu les esprits de ses ‘parents’.
« Oui je sais. Et… je sais que j’en suis capable. » Un internat à trente minutes du campus d’Harvard. C’était ça dont il était question. Ce n’était pas la première solution, mais disons que c’était la plus réalisable. Passons les idées farfelues qui lui étaient venues à l’esprit pour retrouver ses frangins, on pourrait le prendre pour un fou. Assis dans le fauteuil, en face du couple qui l’avait accueilli chez eux, il commençait à s’impatienter sous les jets de regards à la fois interrogateurs mais satisfaits. Il devait se faire violence pour ne pas les supplier ironiquement de prendre plus de temps.
« Bon… et bien c’est d’accord, mais … » « C’est vrai ?! » s’exclama-t-il en se relevant presque instantanément. Et voilà, la nouvelle était tombée comme une bombe, mais il savait bien qu’ils ne lui refuseraient pas bien longtemps cette requête. Ils marmonnaient quelques mots qu’il ne parvenait pas à entendre tellement il était heureux. Après la fin de la discussion, il fila dans sa chambre préparé un grand sac. Il allait bientôt retrouver Charlie. Et par la suite Alban. C’était tout ce qui comptait.